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Le mystère des tremblements de terre dans des zones dites « calmes »

Eric Calais
Éric Calais
professeur à l'École normale supérieure (Paris), spécialiste des régions sismiques actives du globe
Jean-François Ritz
Jean-François Ritz
directeur de recherche CNRS au Laboratoire Géosciences Montpellier
En bref
  • Si les séismes proviennent du choc des plaques tectoniques entre elles, certains peuvent aussi se produire à l’intérieur des plaques : ce sont les séismes intraplaques.
  • Les séismes intraplaques restent mystérieux et peuvent se déclencher dans des endroits inattendus, avec des magnitudes plus ou moins fortes.
  • Parmi les théories avancées pour expliquer l’origine de ces séismes, la plus récente concerne les petits phénomènes : érosion, pluies ou fonte glaciaire pourraient être des éléments déclencheurs.
  • Il est nécessaire d’intensifier les recherches afin de comprendre ces séismes et d’être en mesure de calculer les risques futurs.

La sur­face de la Terre est découpée en dif­férentes plaques tec­toniques, sur lesquelles reposent océans et con­ti­nents. Mou­vantes, elles coulis­sent, s’entrechoquent ou se chevauchent. Les fron­tières de plaques se défor­ment, la pres­sion s’accumule jusqu’à un « trop-plein » : elle est brusque­ment relâchée grâce à un glisse­ment bru­tal le long des failles. Voilà l’origine bien com­prise des trem­ble­ments de terre1. À l’intérieur des plaques tec­toniques, on est loin de l’agitation des fron­tières de plaques, dans des zones sup­posées « calmes » et sans défor­ma­tion… et pour­tant des séismes ont lieu. Ils ques­tion­nent la com­mu­nauté sci­en­tifique, qui pro­pose de nou­velles théories pour expli­quer l’origine de ces séismes. Exit la tec­tonique des plaques ? Éro­sion, cir­cu­la­tion de flu­ides ou encore fonte des glac­i­ers pour­raient déclencher ces trem­ble­ments de terre.

Les séismes intraplaques

De quels trem­ble­ments de terre par­le-t-on exacte­ment ? Ces séismes – enreg­istrés loin des fron­tières de plaques tec­toniques – sont qual­i­fiés d’intraplaques. « Bien qu’on en con­naisse sur tous les con­ti­nents, ils sont assez dis­parates et nous les enreg­istrons seule­ment dans quelques zones du globe », décrit Éric Calais. En 2017, un séisme de mag­ni­tude 6,5 survient au Botswana, dans une zone sans mou­ve­ment tec­tonique a pri­ori. En 1811–1812, qua­tre séismes intraplaques impor­tants (mag­ni­tude 7 ou plus) sec­ouent la région de New-Madrid le long du Mis­sis­sip­pi aux États-Unis. Des séismes intraplaques ont égale­ment lieu au cen­tre de l’Australie, au nord de la Suède ou encore en Guyane … mais aus­si en France mét­ro­pol­i­taine, une zone con­sid­érée comme intraplaque2. En 2019, un séisme de mag­ni­tude 4,9 dans la val­lée du Rhône sur­prend la com­mu­nauté sci­en­tifique. « Avant ce séisme, la sis­mic­ité enreg­istrée était rel­a­tive­ment faible : 39 séismes ont été mesurés entre 1962 et 2018 dans cette zone, tous de mag­ni­tude faible (inférieure à 3), détaille Jean-François Ritz. La faille à l’origine de ce séisme n’était pas non plus iden­ti­fiée comme une faille active, c’est-à-dire ayant le poten­tiel de génér­er des séismes. Elle sem­blait calme depuis 20 mil­lions d’années ! »

Richter Earth­quake Mag­ni­tude Scale and Classes

« Les séismes intraplaques peu­vent attein­dre des mag­ni­tudes impor­tantes, mais ils sont beau­coup plus rares que ceux situés aux fron­tières des plaques », pré­cise Éric Calais. Depuis les pre­miers enreg­istrements sis­miques en 1974, seule une ving­taine de séismes intraplaques impor­tants (de mag­ni­tude au moins 6) sont dénom­brés à tra­vers le monde3. De plus anciens sont con­nus grâce aux archives his­toriques ou aux traces lais­sées dans les paysages géologiques. Autre par­tic­u­lar­ité : leur fréquence. « En fron­tière de plaque, un même séisme tend à se répéter à une fréquence vari­able, par exem­ple quelques cen­taines d’années en Cal­i­fornie, pour­suit Éric Calais. Ce com­porte­ment répéti­tif n’est pas observé pour les séismes intraplaques : cer­tains sem­blent être des séismes “orphe­lins” sur des failles inac­tives depuis des mil­lions d’années. »

Comprendre le séisme pour s’en protéger

Mieux com­pren­dre ces séismes est fon­da­men­tal : leur mag­ni­tude mod­érée à élevée les rend poten­tielle­ment très destruc­teurs. Ils affectent en effet des régions sou­vent mal pré­parées, et peu­vent se déclencher à très faible pro­fondeur. Le séisme du Teil – qui s’est pro­duit à moins de 20 kilo­mètres de deux cen­trales nucléaires – s’est déclenché seule­ment 1 km sous terre4. Il a endom­magé sérieuse­ment 900 bâti­ments, fait 3 blessés et provo­qué une perte économique de plusieurs mil­lions d’euros. En France, un zon­age régle­men­taire impose des normes de con­struc­tion para­sis­mique pour le bâti. Il s’appuie sur la carte nationale d’aléa sis­mique, dans laque­lle des séismes inat­ten­dus comme le séisme du Teil ne sont pas reflétés. « Depuis quelques années, la com­mu­nauté sci­en­tifique a pris con­science que des séismes intraplaques peu­vent sur­venir dans des lieux inat­ten­dus et que les mod­èles tec­toniques sur lesquels se basent les cal­culs d’aléa sis­mique clas­siques ne per­me­t­tent pas de refléter ce risque », racon­te Éric Calais.

Des séismes intraplaques peu­vent sur­venir dans des lieux inat­ten­dus et les mod­èles clas­siques ne per­me­t­tent pas de refléter ce risque.

La recherche est active sur ce domaine car les impli­ca­tions sont impor­tantes, comme l’écrivent des sci­en­tifiques français5 : « Ce manque de con­sen­sus […] con­duit à des incer­ti­tudes impor­tantes dans la car­ac­téri­sa­tion de la sis­mic­ité et de l’aléa sis­mique asso­cié. » Pen­dant longtemps, la com­mu­nauté sci­en­tifique a pen­sé que seule la tec­tonique des plaques expli­quait ces séismes. L’intérieur des plaques se déformerait très légère­ment, à des taux telle­ment faibles qu’il serait impos­si­ble de réelle­ment les mesurer.

Petits phénomènes, grandes conséquences

Mais aujourd’hui une toute nou­velle expli­ca­tion est avancée. De petits phénomènes, très rapi­des à l’échelle des temps géologiques (quelques mil­liers d’années voire dizaines d’années), seraient à l’o­rig­ine de ces séismes6. Il peut s’agir de la cir­cu­la­tion de flu­ides : la pluie qui s’infiltre en sur­face ; ou encore des gaz ou liq­uides qui provi­en­nent du man­teau, à plusieurs dizaines de kilo­mètres de pro­fondeur, et remon­tent à tra­vers la plaque tec­tonique. Ils aug­mentent ain­si la pres­sion à tra­vers les roches jusqu’à déclencher des séismes intraplaques, comme cela est sug­géré pour le séisme du Botswana en 20177.

Autres élé­ments déclencheurs : la fonte des glac­i­ers ou encore l’érosion. En allégeant la sur­face de la Terre, ces phénomènes entraî­nent un léger mou­ve­ment de la plaque tec­tonique, sim­i­laire à un rebond. Pour le séisme du Teil, la fonte des glac­i­ers à la fin de la dernière glacia­tion impor­tante (il y a 12 000 ans) est pro­posée comme l’une des hypothès­es8. « Le rap­port d’expertise sur le séisme du Teil9 con­clut qu’il est pos­si­ble que l’extraction de roches – allégeant elle aus­si la croûte ter­restre – au niveau d’une car­rière proche ait con­tribué au déclenche­ment du séisme, ajoute Jean-François Ritz. Il est cepen­dant clair que ce sont les forces tec­toniques qui expliquent sa mag­ni­tude. »

Si ces petits phénomènes sont la clé de la nou­velle théorie, ils ne sont en effet pas seuls en jeu. « Ils sont les élé­ments déclencheurs du séisme, mais il faut bien com­pren­dre que ce sont les faibles con­traintes accu­mulées – par­fois depuis plusieurs mil­lions d’années – qui sont le moteur du séisme, ajoute Éric Calais. Sans élé­ment déclencheur, ces con­traintes restent en réserve et aucun séisme n’aurait lieu. » À une échelle de mil­lions voire dizaines de mil­lions d’années, les mou­ve­ments des plaques tec­toniques fluctuent : cer­taines plaques changent de direc­tion, d’autres se mor­cel­lent, ou se sta­bilisent … Ces anci­ennes défor­ma­tions qu’elles subis­sent con­stituent ce « réser­voir de con­traintes » répar­ti à tra­vers la plaque tec­tonique. « Nos obser­va­tions sur la faille ayant généré le séisme du Teil sug­gèrent que la fonte des glaces ou l’érosion peu­vent aus­si génér­er des séismes réguliers, mais à des fréquences très longues de l’ordre de 10 000 ans10 », pointe égale­ment Jean-François Ritz.

Reste que les séismes intraplaques sont peu nom­breux, il est donc dif­fi­cile de quan­ti­fi­er leur com­porte­ment. Les chercheurs les repro­duisent dans des sim­u­la­tions numériques, mais il est com­pliqué d’identifier de façon claire le rôle de chaque phénomène (tec­tonique des plaques, éro­sion, cir­cu­la­tion de flu­ides, etc.). Les retombées sont impor­tantes, comme le décrit Éric Calais : « Avec ces séismes spé­ci­aux, il est très com­pliqué de cal­culer des risques futurs, d’autant plus qu’ils peu­vent par­fois n’avoir lieu qu’une seule fois à un endroit don­né. Nous man­quons d’indicateurs objec­tifs pour éval­uer la sis­mic­ité intraplaque future. » En France, les travaux se pour­suiv­ent autour du séisme du Teil à la recherche de traces de séismes passés. « Nous pou­vons raisonnable­ment penser que la faille où s’est déclenché ce séisme va rester calme un bout de temps, mais d’autres failles exis­tent dans la zone, con­clut Jean-François Ritz. Je ne doute pas qu’une réé­val­u­a­tion de l’aléa sis­mique région­al sera réal­isée d’ici quelques années, il faut lancer beau­coup plus de recherch­es et d’observations dans ce domaine, et revoir notre copie ! »

Anaïs Marechal
1Hiroo Kanamori and Emi­ly E Brod­sky 2004, The physics of earth­quakes, Rep. Prog. Phys. 67 1429
2Ritz, J‑F., et al, 2021, New per­spec­tives in study­ing active faults in met­ro­pol­i­tan France ; the “Active faults France” (FACT/ATS) research axis from the Resif-Epos con­sor­tium, dans Seis­mic­i­ty in France, Comptes Ren­dus Géo­science, Vol­ume 353, issue S1, p.381–412
3Calais, E., Camel­beeck, T., Stein, S., Liu, M., and Craig, T. J. (2016), A new par­a­digm for large earth­quakes in sta­ble con­ti­nen­tal plate inte­ri­ors, Geo­phys. Res. Lett., 43, 10,621–10,637, doi:10.1002/2016GL070815.
4Delouis B., et al., (2021), Con­strain­ing the point source para­me­ters of the 11 Novem­ber 2019 Mw4.9 Le Teil earth­quake using mul­ti­ple relo­ca­tion approach­es, first motion and full wave­form inver­sions, CR Géo­sciences, ISSN (elec­tron­ic) : 1778–7025
5Maz­zot­ti, S., et al., 2020, Process­es and defor­ma­tion rates gen­er­at­ing seis­mic­i­ty in met­ro­pol­i­tan France and con­ter­mi­nous West­ern Europe, BSGF Earth Sci­ences Bul­letin, 191, 19.
6Calais, E.,  Camel­beeck, T.,  Stein, S.,  Liu, M., and  Craig, T. J. (2016),  A new par­a­digm for large earth­quakes in sta­ble con­ti­nen­tal plate inte­ri­ors, Geo­phys. Res. Lett.,  43,  10,621– 10,637, doi:10.1002/2016GL070815.
7Gar­do­nio, B.,  Jolivet, R.,  Calais, E., &  Leclère, H. (2018).  The April 2017 Mw6.5 Botswana earth­quake: An intraplate event trig­gered by deep flu­ids. Geo­phys­i­cal Research­Let­ters,  45, 8886– 8896. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​2​9​/​2​0​1​8​G​L​0​78297
8Ritz, JF., Baize, S., Fer­ry, M. et al. Sur­face rup­ture and shal­low fault reac­ti­va­tion dur­ing the 2019 Mw 4.9 Le Teil earth­quake, France. Com­mun Earth Env­i­ron 1, 10 (2020). https://doi.org/10.1038/s43247-020‑0012‑z
9Delouis B., et al., Rap­port d’évaluation du groupe de tra­vail (GT) CNRS-INSU sur le séisme du Teil du 11 novem­bre 2019 et ses caus­es pos­si­bles. Rap­port d’expertise CNRS, 11 Décem­bre 2019
10Ritz J‑F, et al., The 2019 Le Teil sur­face-rup­tur­ing earth­quake along the La Rou­vière Fault with­in the Cévennes fault sys­tem (France): What does pale­o­seis­mol­o­gy reveal. Journées AGAP, March 2022, Numéro spé­cial de la col­lec­tion E3S Web of Con­fer­ences – Journées Sci­en­tifiques AGAP Qual­ité 2022, pub­lié par EDP Sci­ences (pro­ceed­ing 04001).

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