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Impression 3D en milieu hospitalier : l’innovation ouverte durant la crise du COVID-19

Benoit Tezenas du Montcel_VF
Benoit Tezenas du Montcel
maître de conférences à l'Institut Mines-Télécom Business School
Charlotte Krychowski_VF
Charlotte Krychowski
maître de conférences à l'Institut Mines-Télécom Business School
En bref
  • Durant la crise du COVID-19, les hôpitaux universitaires du Grand Paris ont expérimenté l’innovation ouverte pour faire face aux pénuries d’équipements médicaux.
  • Pour ce faire, une soixantaine d’imprimantes 3D étaient disponibles, avec des ingénieurs, dans l’un des hôpitaux du réseau.
  • Au total, d'avril à décembre 2020, plus de 33 000 unités ont été imprimées dont la majorité d'entre elles (87 %) étaient des équipements de protection.
  • Cette proximité des ingénieurs envers les équipes a permis un transfert de connaissances rapide permettant de renverser les procédures hiérarchiques habituelles.
  • Au-delà des nouveaux produits, ce dispositif a apporté des innovations en matière de gestion et de processus de fabrication tout en améliorant la satisfaction au travail.

Lorsque la COVID-19 a frap­pé, les hôpi­taux uni­ver­si­taires du Grand Paris (AP-HP) ont été con­fron­tés à une grave pénurie d’équipements de pro­tec­tion indi­vidu­elle et de four­ni­tures médi­cales. En mars 2020, un chirurgien de l’AP-HP et le PDG d’une start-up spé­cial­isée dans les ser­vices médi­caux d’im­pres­sion 3D ont pro­posé de met­tre en place une « ferme 3D » de 60 imp­ri­mantes dans l’un des hôpi­taux du réseau. Soutenue par 1,7 mil­lion d’eu­ros de fonds privés, la plate­forme a été mise en place et opéra­tionnelle en quelques semaines. Pour faire face au défi que représente l’ap­pro­vi­sion­nement d’une telle organ­i­sa­tion, la plate­forme a innové grâce à la cir­cu­la­tion des con­nais­sances entre les étab­lisse­ments, ce qui en fait un cas d’é­tude de pre­mier ordre sur l’ap­proche de « l’ inno­va­tion ouverte ».

Ce par­a­digme organ­i­sa­tion­nel remonte au début des années 20001, dans le sil­lage de la révo­lu­tion de l’in­for­ma­tion. À l’époque, le pro­fesseur Hen­ry Ches­brough de Berke­ley avait pos­tulé que l’in­for­ma­tion était dev­enue si répan­due que l’in­no­va­tion pou­vait sur­gir de n’im­porte où, et que les entre­pris­es qui voulaient rester à la pointe devaient s’ou­vrir aux idées extérieures. L’in­no­va­tion ouverte a démon­tré son poten­tiel dans le secteur de la san­té, en par­ti­c­uli­er lors du développe­ment et des essais rapi­des d’un nou­veau vac­cin con­tre la COVID-192. Cepen­dant, le milieu hos­pi­tal­ier n’est pas une page blanche et néces­site des flux de con­nais­sances spé­ci­fiques au sein d’un réseau dense d’or­gan­i­sa­tions publiques et privées. Com­pren­dre les flux d’in­for­ma­tions et les inter­ac­tions au sein d’un tel envi­ron­nement pour­rait con­tribuer à ren­forcer l’in­no­va­tion dans cet écosys­tème com­plexe. L’ini­tia­tive de l’AP-HP offre une étude de cas rare pour répon­dre à cette ques­tion cen­trale : l’in­no­va­tion ouverte peut-elle fonc­tion­ner dans un hôpital ?

Création de valeur : immédiate et évidente

L’in­vestisse­ment dans la plate­forme d’im­pres­sion 3D a rapi­de­ment porté ses fruits. En neuf mois (d’avril à décem­bre 2020), plus de 33 000 unités sont sor­ties des imp­ri­mantes. La majorité d’en­tre elles (87 %) étaient des équipements de pro­tec­tion, mais il y avait aus­si d’autres objets, comme  des instru­ments chirur­gi­caux per­son­nal­isés, des sup­ports pour bouteilles d’oxygène, des pièces de rechange pour machines de net­toy­age, et même des appuie-tête pour les patients en soins intensifs.

Dans un sys­tème où « l’in­no­va­tion » est sou­vent con­finée dans des silos spé­cial­isés, la plate­forme a ouvert ses portes à tous. Les ingénieurs ont été inté­grés sur le site, ce qui leur a per­mis de recueil­lir des idées auprès des médecins, des infir­mières, des thérapeutes, des tech­ni­ciens et du per­son­nel de main­te­nance, ren­ver­sant ain­si les struc­tures hiérar­chiques habituelles. La col­lab­o­ra­tion étroite avec une start-up externe spé­cial­isée dans l’im­pres­sion 3D, notam­ment ses ingénieurs, son four­nisseur et ses parte­naires uni­ver­si­taires (par exem­ple, des écoles d’ingénieurs français­es), a stim­ulé l’in­no­va­tion d’une manière qui n’au­rait pas été pos­si­ble avec la seule inno­va­tion interne, car la sous-trai­tance de ces ingénieurs aurait été trop coûteuse.

La prox­im­ité a per­mis un trans­fert tacite de con­nais­sances, car, en se ren­dant à pied de leurs étab­lis aux lieux d’applications de leurs pro­duc­tions, les ingénieurs ont pu créer et tester des pro­to­types en quelques heures plutôt qu’en plusieurs mois. Ce qui provoque en plus du gain de temps une améliroa­t­ion rapi­de des solu­tions avancées. De plus, cela a non seule­ment per­mis de répon­dre à des besoins urgents, mais égale­ment d’éclairer des défis cachés et de créer des occa­sions d’in­no­va­tion par ric­o­chet, par­fois en réu­til­isant des équipements dans dif­férents services.

Au-delà des nou­veaux pro­duits, la plate­forme a apporté des inno­va­tions en matière de col­lab­o­ra­tion inter­dis­ci­plinaire sur site et d’innovation des proces­sus par la fab­ri­ca­tion local­isée. Cette dernière per­met de réduire les délais, d’amoindrir les coûts et  d’éviter  les rup­tures de stock. Elle sem­ble égale­ment avoir amélioré la sat­is­fac­tion au tra­vail en don­nant au per­son­nel les moyens de résoudre des prob­lèmes pratiques.

Capture de valeur : une initiative innovante, mais peu ciblée

Un tour­nant s’est pro­duit en sep­tem­bre 2020. Sans la force de con­cen­tra­tion de la pandémie Mon­di­ale, et loin de la néces­sité urgente de fournir des équipements de pro­tec­tion indi­vidu­elle, il était temps d’imag­in­er plusieurs façons de fonc­tion­ner pour la  plate­forme sur le long terme. Les pos­si­bil­ités allaient de la pro­duc­tion de dis­posi­tifs médi­caux régle­men­tés à l’oc­troi de licences pour des con­cep­tions 3D inno­vantes à d’autres hôpi­taux, en pas­sant par le dépôt de brevet de con­cep­tion. Dans cette mod­éli­sa­tion, les droits de licence des mod­èles devaient égale­ment être partagés avec l’in­ven­teur, ce qui pou­vait attir­er des médecins promet­teurs et com­penser la com­plex­ité admin­is­tra­tive réputée de l’AP-HP et son bud­get de recrute­ment limité.

La pro­duc­tion interne devait égale­ment per­me­t­tre de maîtris­er les coûts d’ap­pro­vi­sion­nement, à amélior­er les soins, à con­serv­er le con­trôle des don­nées des patients liées aux dis­posi­tifs per­son­nal­isés et à amélior­er l’en­seigne­ment et la recherche. Les pistes d’une for­ma­tion dédiée à d’autres hôpi­taux, afin qu’ils puis­sent déploy­er une plate­forme sim­i­laire, ont égale­ment été étudiées. L’un des pro­jets les plus avancés était le pro­jet « 3D Print for Africa », qui prévoy­ait de for­mer le per­son­nel et d’aider à la mise en place de l’im­pres­sion 3D dans cinq hôpi­taux d’Afrique de l’Ouest.

Encour­agés par sa poly­va­lence et ses nom­breuses débouchées, des ambi­tions per­ma­nentes ont été esquis­sées pour accroître le rôle de la plate­forme, tout en amélio­rant sa cap­ture de valeur. En théorie, ces pro­jets répondaient à la triple mis­sion d’un hôpi­tal uni­ver­si­taire : soins aux patients, recherche et enseigne­ment. Dans la pra­tique, cepen­dant, plusieurs obsta­cles organ­i­sa­tion­nels et financiers ont entravé les pro­grès. L’in­vestisse­ment de la phase 2 était estimé à 1,4 mil­lion d’eu­ros, avec des coûts de fonc­tion­nement annuels éval­ués à 1,2 mil­lion d’eu­ros. Si les hauts dirigeants recon­nais­saient les avan­tages des plans pro­posés pour la phase 2 en matière de soins aux patients, il était dif­fi­cile de soutenir un mod­èle clair de revenus ou d’é­conomies. L’a­gence d’ap­pro­vi­sion­nement de l’hôpi­tal s’est égale­ment opposée au pro­jet sur le sujet de la régle­men­ta­tion des dis­posi­tifs médi­caux, craig­nant notam­ment que les pro­to­types pro­duits par la plate­forme ne répon­dent pas aux normes de con­for­mité liées aux équipements médi­caux. La vis­i­bil­ité sur l’ex­pan­sion de l’in­stal­la­tion était faible, car la petite taille ini­tiale de la plate­forme, qui s’é­tait avérée cat­aly­tique pour l’in­no­va­tion, lim­it­erait égale­ment son développement.

Trois con­di­tions essen­tielles ont été iden­ti­fiées pour ren­dre une telle inno­va­tion durable : la cul­ture de l’in­no­va­tion, l’aligne­ment des intérêts et la clarté des récom­pens­es attendues.

Les querelles internes his­toriques ont égale­ment été intro­duites dans la prob­lé­ma­tique : dans la pra­tique, pen­dant la pre­mière phase de vie de la plate­forme, les hôpi­taux les plus proches de la ferme 3D étaient les plus sus­cep­ti­bles d’u­tilis­er le ser­vice. Alors que la deux­ième phase était à l’é­tude, les par­ties prenantes ont exprimé leurs craintes que la répu­ta­tion de l’AP-HP en matière de con­cur­rence interne, qual­i­fiée par une per­son­ne inter­rogée de « guer­res de ter­ri­toire », ne lim­ite l’ac­cès de cer­tains par­tic­i­pants du réseau aux équipements. En l’ab­sence de con­sen­sus sur les objec­tifs et les portes régle­men­taires fer­mées, le con­trat avec le parte­naire externe a été résil­ié début 2021.

Innovation réussie et état d’esprit

Mal­gré ses lim­ites, notam­ment la nature excep­tion­nelle de la pandémie de COVID-19, la petite taille de l’échan­til­lon (une étude de cas) et la spé­ci­ficité de la cul­ture de l’AP-HP, cette recherche met en lumière le poten­tiel de l’in­no­va­tion ouverte dans un con­texte hos­pi­tal­ier. Elle mon­tre com­ment un pro­jet peut être rapi­de­ment aban­don­né si la cap­ture de valeur n’est pas définie claire­ment et rapidement.

Notre recherche iden­ti­fie trois con­di­tions essen­tielles pour ren­dre une telle inno­va­tion durable. La pre­mière est une cul­ture de l’in­no­va­tion. La rigid­ité bureau­cra­tique, la prise de déci­sion hiérar­chique et les con­traintes finan­cières ont freiné l’élan jusqu’à ce que la direc­tion nomme un directeur et un chef de pro­jet dédié. Sans struc­tures et cham­pi­ons engagés, les flux de con­nais­sances externes ont du mal à s’im­planter. La deux­ième con­di­tion est l’aligne­ment des intérêts. Toutes les par­ties prenantes internes – non seule­ment les clin­i­ciens, mais aus­si les admin­is­tra­teurs et les ser­vices de sou­tien – doivent pou­voir voir claire­ment leurs rôles et leurs récom­pens­es. Dans le cas de l’AP-HP, le désaligne­ment des com­pé­tences et la per­cep­tion de men­aces sur les ter­ri­toires ont sapé les pro­grès. La troisième con­di­tion est la clarté des récom­pens­es atten­dues. L’o­rig­ine du pro­jet en tant qu’u­sine d’EPI d’ur­gence a brouil­lé son impact poten­tiel à long terme. La direc­tion recher­chait des ren­de­ments financiers , mais d’autres gains plus dif­fi­ciles à mesur­er sont aus­si noti­fi­ables, tels que l’ef­fi­cac­ité, le moral et la sou­veraineté des don­nées. En l’ab­sence de con­sen­sus, l’ini­tia­tive a per­du son sou­tien poli­tique et financier.

La « ferme 3D » d’o­rig­ine a lais­sé un héritage. En 2024, l’AP-HP a lancé une nou­velle plate­forme de fab­ri­ca­tion. Le pro­jet a tiré les leçons de son expéri­ence précé­dente : cette fois-ci, il dis­pose d’une gou­ver­nance formelle, d’un réseau de treize autres hôpi­taux publics de recherche et d’une mis­sion claire con­sis­tant à pro­duire à la fois des équipements médi­caux et de main­te­nance au sein du sys­tème de santé.

1https://​papers​.ssrn​.com/​s​o​l​3​/​p​a​p​e​r​s​.​c​f​m​?​a​b​s​t​r​a​c​t​_​i​d​=​2​4​27233
2https://​www​.sci​encedi​rect​.com/​s​c​i​e​n​c​e​/​a​r​t​i​c​l​e​/​a​b​s​/​p​i​i​/​S​0​1​6​6​4​9​7​2​2​2​0​01912

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