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Pourquoi autant de doutes autour du passeport vaccinal ?

Etienne Minvielle
Etienne Minvielle
directeur de recherche CNRS et professeur en management de la santé au sein du Centre de recherche en gestion de l’Institut interdisciplinaire de l'innovation (I³-CRG*)

Selon une enquête du Con­seil économique, social et envi­ron­nemen­tal 1, 67% des Français se dis­ent « très défa­vor­ables » à l’adoption d’un « passe­port vac­ci­nal » Com­ment expliquez-vous cette opposition ?

Le passe­port est un moyen de rou­vrir les lieux actuelle­ment fer­més et de recom­mencer à voy­ager, mais nom­breux sont ceux qui le perçoivent comme une forme d’atteinte aux lib­ertés indi­vidu­elles et une source poten­tielle d’inégalités. Le passe­port est sup­posé être un fac­teur d’incitation à la vac­ci­na­tion… mais les con­di­tions d’accès aux vac­cins sont encore prob­lé­ma­tiques, et le généralis­er main­tenant reviendrait à priv­ilégi­er les hap­py few qui ont pu en béné­fici­er. Cela créerait des iné­gal­ités à l’échelle inter­na­tionale comme nationale, ali­menterait l’amertume des non-vac­cinés, et les sus­pi­cions de passe-droits. La crise met à l’épreuve la cohé­sion sociale, et les réti­cences liées à la mise en cir­cu­la­tion de ce passe­port en est un témoignage.

Qui sont ceux qui s’opposent à ce passeport ?

Il y a une peur dif­fuse de la sur­veil­lance chez la majorité des Français, et le passe­port – en accrois­sant la traça­bil­ité – aug­mente cette crainte. Beau­coup de per­son­nes ont égale­ment des doutes sur les risques et l’efficacité des vac­cins. On voit bien cela avec la con­tro­verse autour des dos­es d’AstraZeneca : elles sont inquiètes du manque de recul et craig­nent de poten­tiels effets secondaires.

Mais les réti­cences ne con­cer­nent pas unique­ment la sphère clin­ique. Beau­coup de per­son­nes com­pren­nent le ratio médi­cal bénéfices/risques, mais sont scep­tiques sur les inten­tions des per­son­nes qui les inci­tent à se faire vac­cin­er. Il y a un rejet social, presque iden­ti­taire, des élites poli­tiques et médi­cales. Ce scep­ti­cisme peut con­fin­er au com­plo­tisme quand les citoyens en vien­nent à imag­in­er une col­lu­sion entre élites et lab­o­ra­toires phar­ma­ceu­tiques. On voit donc émerg­er une forme de résis­tance, basée sur le rejet du dis­cours des élites, et en pre­mier lieu du gouvernement.

Il y a une peur dif­fuse de la sur­veil­lance chez la majorité des Français, et le passe­port – en accrois­sant la traça­bil­ité – aug­mente cette crainte.

Com­ment peut-on con­va­in­cre ces per­son­nes de l’efficacité des vac­cins ?

Dans le cas des per­son­nes qui ont des doutes sur l’efficacité clin­ique des vac­cins, il faut tout sim­ple­ment que le per­son­nel médi­cal fasse preuve de péd­a­gogie, en explic­i­tant les résul­tats clin­iques, qui prou­vent bien que les vac­cins ne sont pas dan­gereux. Dans le cas d’AstraZeneca, par exem­ple, aucun lien entre le vac­cin et les throm­boses n’a été démontré.

Pour ceux dont les doutes sont basés sur des critères socio-iden­ti­taires, l’erreur est de croire que les dis­cours des médecins et des fig­ures d’autorité suff­isent 2. La vac­ci­na­tion des élites peut même envoy­er un sig­nal négatif : que Jean Cas­tex se fasse vac­cin­er avec une dose d’AstraZeneca peut être inter­prété comme une preuve de son lien avec les lab­o­ra­toires. La réponse ne doit donc pas être clin­ique, mais sociale. 

Il faut dévelop­per des modes de com­mu­ni­ca­tion d’un autre genre, basés sur des influ­enceurs jouant le rôle de « tiers de con­fi­ance » [le prési­dent Macron a ain­si promis aux youtubeurs McFly et Car­l­i­to de par­ticiper à l’une de leurs vidéos s’ils réal­i­saient un clip musi­cal sur les gestes-bar­rières qui devait attein­dre les 10 mil­lions de vues]. La vac­ci­na­tion du rappeur Boo­ba (sug­gérée dans un post sur son compte Insta­gram) n’est en ce sens pas totale­ment anec­do­tique, notam­ment parce qu’il est suivi et écouté par cer­tains de ces com­plo­tistes. La réac­tion mit­igée de ses fans sur les réseaux soci­aux mon­tre cepen­dant les lim­ites de cette méth­ode : les gens ne sont pas dupes, et perçoivent sou­vent cette com­mu­ni­ca­tion comme une ten­ta­tive de manipulation.

Il n’y a donc pas de solu­tion mir­a­cle pour con­va­in­cre les per­son­nes qui doutent ?

Il est extrême­ment dif­fi­cile de con­va­in­cre des per­son­nes qui ne veu­lent pas être con­va­in­cues. Pour ne pren­dre qu’un exem­ple, une étude a mon­tré que des par­ents hési­tants sur la vac­ci­na­tion de leurs enfants sont devenus encore plus scep­tiques quand ils ont pris con­nais­sance de don­nées brisant le mythe du risque d’autisme à cause des vac­cins 3. Bien que con­tre-intu­itive, cette posi­tion ne reflète pas un manque d’intelligence. Elle démon­tre que des évi­dences sci­en­tifiques sont rejetées lorsqu’elles per­turbent des croy­ances.  Ce n’est donc pas la con­clu­sion qui compte, mais qui la produit.

La trans­mis­sion de l’information n’est pas seule­ment une rela­tion émetteur/récepteur ! Elle néces­site de pren­dre en compte tout le con­texte social : les per­son­nes ne sont pas que des cas clin­iques. Chez les patients atteints de can­cers, par exem­ple, le taux de non-obser­vance des pre­scrip­tions avoi­sine les 20% dans dif­férentes con­di­tions clin­iques 4 5. Cela se traduit par des pertes de chance con­sid­érables, et reste inex­plic­a­ble d’un point de vue stricte­ment clin­ique. Dans les travaux que nous menons actuelle­ment, cette non-obser­vance sem­ble s’expliquer par des phénomènes soci­aux : le rap­port à la vie, le niveau d’isolement, la las­si­tude ou encore la dégra­da­tion de la sit­u­a­tion pro­fes­sion­nelle. Il faut pren­dre en compte cette dimen­sion sociale pour opti­miser les soins. La même démarche doit être adop­tée pour com­pren­dre la réti­cence des citoyens à l’égard de la vac­ci­na­tion et du passe­port sanitaire.

Propos recueillis par Juliette Parmentier et Clément Boulle
1https://​par​ticipez​.lecese​.fr/​p​a​g​e​s​/​r​e​s​u​l​t​a​t​s​-​d​e​-​l​a​-​c​o​n​s​u​l​t​a​t​i​o​n​-​s​u​r​-​l​e​-​p​a​s​s​e​p​o​r​t​-​v​a​c​cinal
2 Rosen­baum, L. (2017). Resist­ing the sup­pres­sion of sci­ence. New Eng­land Jour­nal of Med­i­cine, 376(17), 1607–1609.
3Nyhan B, Rei­fler J, Richey S, Freed GL. Effec­tive mes­sages in vac­cine pro­mo­tion: a ran­dom­ized tri­al. Pedi­atrics 2014; 133(4): e835-e842.
4 http://​www​.blood​jour​nal​.org/​c​o​n​t​e​n​t​/​1​1​3​/​2​2​/​5​4​0​1​.​a​b​s​tract
5Pis­til­li, B., Paci, A., Fer­reira, A., Di Meglio, A., Poinsignon, V., Bardet, A., … & Vaz-Luis, I. (2020). Serum detec­tion of non­ad­her­ence to adju­vant tamox­ifen and breast can­cer recur­rence risk. Jour­nal of Clin­i­cal Oncol­o­gy, 38(24), 2762–2772

Auteurs

Etienne Minvielle

Etienne Minvielle

directeur de recherche CNRS et professeur en management de la santé au sein du Centre de recherche en gestion de l’Institut interdisciplinaire de l'innovation (I³-CRG*)

Ancien interne des hôpitaux de Paris, dîplomé de l’ESSEC et titulaire d'un doctorat de l'Ecole polytechnique, Etienne Minvielle occupe par ailleurs des fonctions de directeur de la qualité, de la gestion des risques et de la relation au patient à l'institut Gustave Roussy.
*I³-CRG : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, Télécom Paris, Mines ParisTech

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