Accueil / Chroniques / « Organes sur puces » : une biotechnologie miniature aux grandes ambitions
Organ-on-a-Chip – OOC – Conceptual Illustration, Generative AI
π Science et technologies π Santé et biotech

« Organes sur puces » : une biotechnologie miniature aux grandes ambitions

Cédric Bouzigue
Cédric Bouzigue
maître de conférences en biologie à l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Les organes sur puces sont des reproductions microscopiques des organes humains.
  • Ces systèmes miniaturisés imiteront les fonctionnalités, l’environnement physico-chimique et les processus biologiques des organes humains.
  • Constitués de cellules humaines, ils concilient la pertinence d’un système fonctionnel avec des techniques d’observation et de mesures inaccessibles in vivo.
  • À la croisée de la micro-fluidique, de la bio-ingénierie et de la bio-cellulaire, ces innovations sont encore en cours de maturation.
  • Une fois aboutie, le champ d’application sera vaste : personnalisation des soins, compréhension de processus complexes ou observation de la signalisation cellulaire, etc.

Minia­turis­er la com­plex­ité d’un organe fonc­tion­nel dans un petit sys­tème de la taille d’un domi­no, ne relève plus du domaine de l’impossible. Grâce à la com­bi­nai­son de travaux de recherche en micro-flu­idique, en biolo­gie cel­lu­laire et en bio-ingénierie, la com­mu­nauté sci­en­tifique est par­v­enue à créer des organes sur puces (organ on chip en anglais).

Ces dis­posi­tifs repro­duisent les fonc­tion­nal­ités, l’environnement physi­co-chim­ique et les proces­sus phys­i­ologiques des organes et des tis­sus humains à une échelle micro­scopique. Ils sont fab­riqués sur des sur­faces en plas­tique ou en verre, gravées de dif­férents canaux et com­par­ti­ments, au sein desquels dif­férents types cel­lu­laires sont mis en cul­ture et inter­agis­sent. L’architecture de ces puces per­met d’imiter les proces­sus biologiques à l’œuvre au sein d’un organe, comme la pres­sion san­guine, les inter­ac­tions cel­lu­laires ou la vitesse de cir­cu­la­tion des flu­ides dans des tis­sus d’interface (poumons, intestins, reins).

L’utilisation de cel­lules humaines per­met, en out­re, de recréer des con­di­tions expéri­men­tales intéres­santes et d’observer les effets directs – sur de grands organes – de cer­taines con­traintes mécaniques ou d’une expo­si­tion à des molécules thérapeutiques.

Micro-plomberie, maxi-puissance       

Cédric Bouzigue est maître de con­férences en biolo­gie à l’École poly­tech­nique et chercheur au lab­o­ra­toire d’optique et de bio­sciences. Il développe des organes sur puces pour des appli­ca­tions rel­a­tives à des patholo­gies rénales sévères. « Mon tra­vail con­siste à faire de la plomberie à l’échelle de quelques micromètres » sourit-il. Les sys­tèmes micro-flu­idiques qu’il conçoit per­me­t­tent de « con­trôler des sig­naux et des cir­cu­la­tions, en recon­sti­tu­ant des géométries en trois dimen­sions qui se rap­prochent de ce qui se passe dans un organe réel ». Comme expliqué ci-après, il tra­vaille notam­ment sur un mod­èle qui repro­duit les inter­faces entre le sang et l’urine dans le rein.

Le biol­o­giste dépeint l’organe sur puce comme un dis­posi­tif théorique­ment idéal, puisqu’il « per­met de con­cili­er la per­ti­nence d’un sys­tème fonc­tion­nel qui repro­duit la fonc­tion d’un organe, avec des tech­niques d’observation et de mesures inac­ces­si­bles in vivo ». Grâce à cela, la com­mu­nauté sci­en­tifique peut mul­ti­pli­er les tech­niques d’analyse et de quan­tifi­ca­tion sur un même sup­port, suiv­re pré­cisé­ment la sig­nal­i­sa­tion cel­lu­laire et tester l’efficacité de dif­férentes sub­stances actives « tout en vari­ant et en con­trôlant les con­di­tions d’utilisation et d’expérimentation ». En résumé, ces dis­posi­tifs ambi­tion­nent de « faire mieux avec moins », à en croire le titre d’un des chapitres de l’ouvrage Éton­nante chimie (CNRS édi­tions, 2021).

Des essais cliniques sur puces ?

Les organes sur puces demeurent une tech­nolo­gie en cours de mat­u­ra­tion. Ils n’ont pas encore investi les pail­lass­es des lab­o­ra­toires de biolo­gie, au sein desquels les expéri­ences restent essen­tielle­ment con­duites dans des cul­tures cel­lu­laires en boîte de Petri ou sur des mod­èles ani­maux. « Les organes sur puces ne sont aujourd’hui pas encore assez dévelop­pés et com­plex­es pour imag­in­er rem­plac­er les mod­èles ani­maux tout au long du proces­sus de recherche », tient d’ailleurs à soulign­er Cédric Bouzigues.

Néan­moins, les essais pré­clin­iques aujourd’hui menés pour tester l’efficacité et la tox­i­c­ité de nou­veaux médica­ments ne reflè­tent pas l’in­té­gral­ité des aspects du fonc­tion­nement tis­su­laire des humains. Par ailleurs, la Food and Drug Admin­is­tra­tion (États-Unis) pointait dans un récent rap­port que neuf médica­ments sur dix échouaient au stade de l’essai clin­ique sur l’Homme après avoir pour­tant réus­si l’étape des tests sur ani­maux. Si aucun proces­sus de sécu­rité san­i­taire ne peut – pour l’instant – égaler celui actuelle­ment à l’œuvre, une tech­nolo­gie comme celle de l’organe sur puce pour­rait par­ticiper à accélér­er et faciliter la trans­la­tion de nou­velles thérapies du lab­o­ra­toire à l’humain. Pour Cédric Bouzigues, « on pour­rait valid­er cer­taines hypothès­es sur puces dans un pre­mier temps, avant d’aller les con­firmer sur des mod­èles vivants. »

Un espoir pour les infections rénales

Avant de voir cette tech­nolo­gie se généralis­er, les biol­o­gistes du lab­o­ra­toire d’optique et de bio­sciences col­la­borent avec une équipe du Paris Car­dio­vas­cu­lar Research Cen­ter pour dévelop­per et tester des mod­èles de glomérule rénal (unité de fil­tra­tion du rein) sur puces. « Les gloméru­lonéphrites et les hyali­noses seg­men­taires ou focales sont des inflam­ma­tions rénales rares. Hors trans­plan­ta­tion, ces patholo­gies sont fatales », explique Cédric Bouzigues.

Haut-gauche : sché­ma d’un glomérule rénal présen­tant notam­ment les capil­laires (rose), l’e­space uri­naire (mar­ron) et les cel­lules réal­isant la mem­brane de fil­tra­tion (rouge : cel­lules endothéliales gloméru­laires et bleu : podocytes). Haut-droite : sché­ma d’un microsys­tème à 2 cham­bres séparées par une mem­brane (grisée) et 3 types cel­lu­laires pour for­mer un glomérule sur puce. Bas-gauche : microsys­tème réel (crédits : M. Mau­viel LOB). Bas-droite : Images de micro­scopie de flu­o­res­cence (con­fo­cale) de trois types cel­lu­laires (de bas en haut : cel­lules par­ié­tales, podocytes et cel­lules endothéliales gloméru­laires vas­cu­laires) avec des pro­téines de dif­féren­ci­a­tion spé­ci­fiques mar­quées (vert rouge et bleu)

Les sci­en­tifiques ont donc conçu un sys­tème de glomérule sur puce qui repro­duit les mécan­ismes cri­tiques favorisant l’apparition et la pro­gres­sion de la patholo­gie. « Notre sys­tème sur puce est con­sti­tué de deux cham­bres – uri­naire et vas­cu­laire – séparées par une mem­brane con­sti­tuée de cel­lules par­ié­tales gloméru­laires ». Ces cel­lules for­ment la cap­sule dans laque­lle l’urine se forme. Grâce à un dis­posi­tif d’imagerie optique, les sci­en­tifiques peu­vent observ­er ce qui se passe dans la puce, tant au niveau molécu­laire que cel­lu­laire, notam­ment lorsqu’elle est soumise à des molécules actives, poten­tielle­ment impliquées dans l’apparition de pathologies.

Vers une médecine personnalisée 

Les organes sur puce ouvrent de promet­teuses per­spec­tives. À terme, il serait envis­age­able de créer des dis­posi­tifs per­son­nal­isés pour chaque patient, en fonc­tion de sa patholo­gie et de ses car­ac­téris­tiques géné­tiques. Les organes sur puces ouvrent la voie à une médecine per­son­nal­isée, per­me­t­tant de tester la réponse d’un patient à une thérapie et de lui offrir la pos­si­bil­ité d’un traite­ment adap­té à son profil.

En par­al­lèle, d’autres équipes de recherche tra­vail­lent sur dif­férents types d’or­ganes sur puce, tels que des sys­tèmes vas­cu­laires pour étudi­er l’hy­per­ten­sion, ou encore des intestins, des reins et des poumons sur puce. Les matéri­aux util­isés pour la fab­ri­ca­tion de ces dis­posi­tifs sont générale­ment des polymères comme le PDMS. Ils offrent une grande pré­ci­sion et une excel­lente bio­com­pat­i­bil­ité. Toute­fois, la dura­bil­ité des organes sur puce reste un défi à relever, puisqu’il est actuelle­ment dif­fi­cile d’en­vis­ager leur util­i­sa­tion pour étudi­er des patholo­gies dont l’évo­lu­tion s’é­tend sur le long terme.

Des défis sub­sis­tent, mais les organes sur puce pren­nent indé­ni­able­ment le chemin des lab­o­ra­toires. Les prémiss­es d’une révo­lu­tion pour la com­préhen­sion de proces­sus biologiques com­plex­es se font ressen­tir, tant à l’échelle fon­da­men­tale que clinique.

Samuel Belaud

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter