Accueil / Chroniques / Biocomputing : les promesses de l’ordinateur biologique
Brain integrated into a cpu on a circuit board, brain processor. Ai, aritificial intelligence, biocomputing, biocomputer concepts.
π Science et technologies π Numérique

Biocomputing : les promesses de l’ordinateur biologique

Thomas Harrundt
Thomas Hartung
directeur des Centres pour les alternatives aux tests sur les animaux (CAAT) et rédacteur en chef de Frontiers in Artificial Intelligence
En bref
  • Les ordinateurs biologiques (ou minicerveaux) sont des cultures 3D de tissus cérébraux et de neurones mimant la structure et les fonctions principales de notre cerveau.
  • Cette technologie permettra de reproduire les performances computationnelles des meilleurs ordinateurs avec la sobriété énergétique du cerveau humain.
  • A l’avenir, ces ordinateurs biologiques pourraient devenir des outils précieux pour la recherche fondamentale et l’étude de maladies typiquement humaines.
  • Le développement de l’intelligence organoïde est permis par trois ruptures technologiques : l’électrophysiologie, l’intelligence artificielle et les organoïdes cérébraux.

Les pro­grès des neu­ro­sciences ouvrent la voie à la con­struc­tion d’ordinateurs biologiques, faits à par­tir de neu­rones et de tis­sus cérébraux. Cette inven­tion sera à la fois une rup­ture pour l’informatique et un out­il pour la recherche fon­da­men­tale et l’étude des mal­adies humaines.

On les appelle par­fois minicerveaux. Ces organoïdes cérébraux sont, en réal­ité, des cul­tures de tis­sus cérébraux en trois dimen­sions. Ils pour­raient con­duire à la prochaine révo­lu­tion de l’informatique : la nais­sance de l’intelligence organoïde (IO).

Pour rap­pel, et con­traire­ment à ce que son nom sug­gère, l’intelligence arti­fi­cielle (IA) ne mime pas l’intelligence humaine. Elle fonc­tionne même de manière com­plète­ment dif­férente. Il suf­fit de la regarder jouer aux échecs : elle sac­ri­fie bien plus de pièces qu’aucun joueur humain1. Autre dif­férence : sa con­som­ma­tion d’énergie. Ain­si, le record de capac­ité du super­or­di­na­teur Fron­tier, hébergé aux Etats-Unis au sein du Lab­o­ra­toire nation­al d’Oak Ridge, affiche en juin 2022 une capac­ité de 1,1 exaflop (c’est-à-dire qu’il réalise jusqu’à 1,1 1018 opéra­tions par sec­onde), une per­for­mance équiv­a­lente au cerveau humain. Toute­fois, ce dernier opère avec 20 Watts tan­dis que le super­or­di­na­teur améri­cain exige 10MW…

Trois ruptures

L’intelligence organoïde (IO) promet, en revanche, de rap­procher les deux sys­tèmes, en repro­duisant les per­for­mances com­pu­ta­tion­nelles des meilleurs ordi­na­teurs et la sobriété énergé­tique d’un cerveau humain. Cette tech­nolo­gie se con­stru­it au car­refour de trois rup­tures tech­nologiques : l’électrophysiologie, l’intelligence arti­fi­cielle et les organoïdes cérébraux.

L’électrophysiologie est indis­pens­able pour com­mu­ni­quer avec les organoïdes cérébraux. Le défi est de trou­ver un sys­tème non-invasif qui ren­dra compte des mul­ti­ples sig­naux élec­trochim­iques présents chaque sec­onde dans la petite masse de tis­sus en cul­ture. Pour cela, des chercheurs d’universités améri­caines pro­posent d’utiliser des élec­trodes en forme de cage2 ; une pre­mière solu­tion de com­mu­ni­ca­tion directe avec l’organoïde en culture.

Le développe­ment de l’ordinateur biologique n’est qu’à ses balbutiements.

La ques­tion des élec­trodes est aus­si impor­tante pour le développe­ment du tis­su cérébral. Sans sig­naux, les organoïdes cérébraux ne se con­stru­isent pas en trois dimen­sions et demeurent inopérants. Les tis­sus nerveux doivent tra­vailler pour fonc­tion­ner et les mécan­ismes cérébraux requièrent davan­tage qu’un sim­ple sig­nal élec­trochim­ique. La mémoire implique une réor­gan­i­sa­tion des réseaux de neu­rones et l’intervention d’autres cel­lules cérébrales, comme celles qui con­stituent la microglie, le sys­tème immu­ni­taire spé­ci­fique du cerveau. Pour se dévelop­per, l’intelligence organoïde doit inté­gr­er tous ces paramètres.

La deux­ième rup­ture tech­nologique qui rend pos­si­ble l’IO est l’IA. Elle est indis­pens­able pour explor­er ce que ces sys­tèmes biologiques pour­ront faire. Les cul­tures de tis­sus cérébraux pro­duisent un très grand vol­ume de don­nées, à la fois spa­tial­isées et struc­turées dans le temps. Les inter­préter con­stitue un défi que les récents pro­grès de l’algorithmique pour­ront relever. 

La dernière tech­nolo­gie sur laque­lle repose le développe­ment de l’IO, qui doit encore faire ses preuves, est celle qui per­me­t­tra aux organoïdes cérébraux de chang­er d’échelle. Actuelle­ment, les plus gross­es cul­tures de tis­sus cérébraux mesurent quelques mil­limètres et con­ti­en­nent, au max­i­mum, 15 000 neu­rones. Les faire grossir implique de les pro­téger con­tre le manque d’oxygène, auquel les neu­rones sont très sen­si­bles. Pour cela, il faut réus­sir à les per­fuser, à s’assurer que chaque cel­lule est con­nec­tée à un accès en oxygène et en nutri­ments, comme le réseau san­guin l’assure in vivo. La microflu­idique sem­ble capa­ble de con­stituer cette per­fu­sion, mais cette tech­nolo­gie n’a pas encore été trans­posée aux organoïdes cérébraux. Ce trans­fert tech­nologique per­me­t­tra de pass­er d’une cul­ture de la taille d’un cerveau de mouche à une autre com­pa­ra­ble à celui d’une souris.

Des applications fondamentales

Ces sys­tèmes vont-ils rem­plac­er nos ordi­na­teurs ? Pas dans un avenir proche. En 2019, une équipe japon­aise a su faire com­mu­ni­quer deux organoïdes cérébraux3. Dif­fi­cile de prédire la suite, beau­coup d’équipes tra­vail­lent sur le sujet, les développe­ments peu­vent être inattendus.

On espère néan­moins que les pre­miers sys­tèmes d’IO seront des out­ils pour la recherche en neu­ro­science. Les ordi­na­teurs biologiques pour­raient aider à expli­quer com­ment un cerveau arrive à traiter des infor­ma­tions incom­plètes par exemple.

Ils pour­raient égale­ment con­tribuer à élu­cider les mécan­ismes de la démence, du syn­drome d’Asperger ou d’autres con­di­tions cérébrales typ­ique­ment humaines. Il est actuelle­ment très dif­fi­cile d’avoir des mod­èles de lab­o­ra­toires accept­a­bles pour ces sit­u­a­tions. L’éthique par exem­ple inter­dit – bien enten­du – d’étudier l’effet d’une molécule qui per­turbe la mémoire sur des humains… Les organoïdes cérébraux con­stituent une alter­na­tive pour ces recherches.

L’IO pose aus­si par elle-même des ques­tions éthiques : quels sys­tèmes pour­raient ris­quer de ressen­tir de la douleur ? Quels pro­to­coles per­me­t­tront d’évaluer l’intelligence d’une cul­ture ? Ces prob­lé­ma­tiques doivent être anticipées et les spé­cial­istes de l’IO se sont engagés à les inté­gr­er aux développe­ments des aspects tech­niques en sig­nant la con­ven­tion de Bal­ti­more en 20224. Le développe­ment de l’ordinateur biologique n’est qu’à ses balbutiements.

Agnès Vernet
1https://​www​.tech​nol​o​gyre​view​.com/​2​0​1​7​/​1​2​/​0​8​/​1​4​7​1​9​9​/​a​l​p​h​a​-​z​e​r​o​s​-​a​l​i​e​n​-​c​h​e​s​s​-​s​h​o​w​s​-​t​h​e​-​p​o​w​e​r​-​a​n​d​-​t​h​e​-​p​e​c​u​l​i​a​r​i​t​y​-​o​f-ai/
2https://​www​.sci​ence​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​1​2​6​/​s​c​i​a​d​v​.​a​b​q5031
3https://www.cell.com/iscience/fulltext/S2589-0042(19)30078–1
4https://​www​.fron​tiersin​.org/​j​o​u​r​n​a​l​s​/​s​c​i​e​n​c​e​/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​1​0​.​3​3​8​9​/​f​s​c​i​.​2​0​2​3​.​1​0​6​8​1​5​9​/full

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter