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π Santé et biotech

Microchimérisme, ces cellules étrangères qui nous veulent du bien

Maria Sbeih
Maria Sbeih
chercheuse post-doctorale à l’Institut Cochin
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Nathalie Lambert
directrice de l’Unité INSERM Arthrites Autoimmunes à Marseille
En bref
  • Les microchimères sont des cellules échangées entre une mère et son fœtus lors de la grossesse.
  • Ce matériel génétique du non-soi, survit notamment dans la moelle osseuse et laisse à la mère une trace vivante de la grossesse, jusqu’à plus de 30 ans après l’accouchement.
  • Ces cellules pourraient participer grandement à la réparation des tissus altérés, tels que la peau ou les tissus cérébraux.
  • Par ces propriétés régénératrices, le microchimérisme forme un réservoir familial au large potentiel thérapeutique.
  • Récemment, les recherches autour des microchimères s’accélèrent et pourraient transformer le monde de la médecine régénérative.

Des cel­lules issues d’autres indi­vidus se nichent en cha­cun de nous. Ces microchimères, qui s’échangent pen­dant la grossesse entre une mère et son fœtus, pour­raient jouer un rôle essen­tiel dans la pro­tec­tion et la répa­ra­tion des tis­sus mater­nels. Leurs pro­priétés sus­ci­tent l’in­térêt des sci­en­tifiques et offrent de nou­velles per­spec­tives pour des thérapies cel­lu­laires nova­tri­ces1.

Le microchimérisme est un phénomène fasci­nant, mais glob­ale­ment ignoré du grand pub­lic. Il se pro­duit par un trans­fert bidi­rec­tion­nel de cel­lules entre le fœtus et la mère, au moment de la grossesse. « C’est du non-soi, qui per­siste dans notre organ­isme sous la forme d’une petite quan­tité de cel­lules (…), du matériel géné­tique qui n’est pas le nôtre », explique Maria Sbeih, qui a con­sacré sa thèse de doc­tor­at à ce sujet.

Les traces indélébiles de nos liens familiaux

Ces cel­lules étrangères peu­vent donc nous être trans­mis­es par nos mères via le pla­cen­ta (microchimérisme fœtal), mais égale­ment échangées in utero avec un jumeau (microchimérisme gémel­laire). Et de ce point de vue, le microchimérisme peut par­fois réserv­er des sur­pris­es. Il existe en effet de rares cas où des indi­vidus por­tent en eux l’empreinte géné­tique d’un jumeau dit « évanes­cent » (qui a dis­paru au stade embry­on­naire), ou encore celle d’une « tante fan­tôme », dans le cas où la mère trans­met à son enfant des cel­lules que sa pro­pre jumelle évanes­cente lui avait légué des décen­nies plus tôt.

Ces cas très par­ti­c­uliers ne doivent pas occul­ter la règle générale du microchimérisme, à savoir que les mères trans­met­tent des cel­lules mater­nelles à leurs fœtus et, inverse­ment, chaque mère con­serve en elle un sou­venir vivant de sa grossesse. Le microchimérisme fœtal est « détectable dans l’organisme mater­nel jusqu’à plus de 30 ans après l’accouchement », pré­cise Maria Sbeih. Pour sur­vivre aus­si longtemps, les cel­lules microchimériques se nichent dans un micro-envi­ron­nement prop­ice aux cel­lules souch­es comme la moelle osseuse de la mère.

Par ailleurs, le microchimérisme joue aus­si un rôle clé dans « la tolérance du fœtus dans le corps des mères », explique Nathalie Lam­bert, direc­trice de l’Unité INSERM Arthrites Auto-immunes à Mar­seille. En effet, lorsqu’elles fran­chissent la bar­rière pla­cen­taire, les cel­lules fœtales se diri­gent vers le thy­mus, un organe que la chercheuse décrit comme « l’école de la tolérance ». Ce mécan­isme per­met à la mère « d’apprendre à accepter l’enfant qu’elle porte, sans le rejeter », pour­suit la chercheuse. Et récipro­que­ment, le fœtus reçoit des cel­lules mater­nelles qui lui per­me­t­tent de tolér­er l’hôte (la mère).

Des fonctions encore mystérieuses

Si de récents travaux décrivent les fonc­tions pos­i­tives et coopéra­tives des microchimères pour l’organisme et la régénéra­tion tis­su­laire, ça n’a pas tou­jours été le cas. Longtemps, ces cel­lules ont été con­sid­érées comme des agents poten­tiels de mal­adies auto-immunes. Nathalie Lam­bert, qui a été for­mée et sen­si­bil­isée au microchimérisme auprès de Lee Nel­son, une pio­nnière du sujet aux États-Unis, se rap­pelle avoir par­ticipé aux pre­mières études qui fai­saient le lien entre le microchimérisme et des mal­adies auto-immunes comme la scléro­der­mie. « Nous sup­po­sions que ces cel­lules étrangères attaquaient les cel­lules immu­ni­taires de la mère, provo­quant une réac­tion du gref­fon con­tre l’hôte » se souvient-elle.

Dans la foulée de ces travaux, de nom­breuses études ont cher­ché à établir un lien entre la présence de microchimères et les mal­adies auto-immunes chez les femmes. Mais en sci­ence, une cor­réla­tion n’implique pas néces­saire­ment une causal­ité. « Ce n’est pas parce qu’on retrou­ve les pom­piers sur le site d’incendie, qu’ils sont à l’origine du feu », illus­tre la chercheuse, reprenant la métaphore de la jour­nal­iste Lise Barnéoud qui a con­sacré un livre2 au sujet. Autrement dit, les microchimères ne sont pas for­cé­ment respon­s­ables de l’inflammation d’un tis­su vers lequel elles se diri­gent. Il restait égale­ment à prou­ver qu’en dépit de leur rareté, ces quelques cel­lules pou­vaient avoir des fonc­tions immunologiques quan­tifi­ables. C’est ce que la chercheuse est en train de mon­tr­er dans des mod­èles murins, où ces cel­lules microchimériques sont capa­bles de pro­duire des auto-anti­corps spé­ci­fiques de la pol­yarthrite rhu­ma­toïde (une mal­adie auto-immune et dégénéra­tive qui entraîne l’inflammation chronique des articulations).

« On a mis de longues années à sor­tir de ce par­a­digme » souligne Nathalie Lam­bert, pour qui la recherche sci­en­tifique prête enfin au microchimérisme l’attention qu’il mérite. C’est le cas de l’équipe “Biolo­gie cutanée” (Insti­tut Cochin, INSERM-CNRS, Uni­ver­sité Paris Cité) au sein de laque­lle Maria Sbeih était rat­tachée pen­dant sa thèse. Les sci­en­tifiques ont récem­ment démon­tré3 que les microchimères pou­vaient avoir des effets très béné­fiques pour la san­té de la mère, en par­tic­i­pant à la répa­ra­tion des tis­sus altérés (dont la peau). « Nous avons observé l’activité des cel­lules microchimériques qui migraient vers les zones lésées, ou des plaies cutanées dans le cas de notre équipe » explique la biol­o­giste. Le con­stat est sans appel : les microchimères par­ticipent à la répa­ra­tion des tis­sus, « soit en sécré­tant des molécules pro-cica­trisantes, soit en adop­tant le phéno­type des cel­lules du tis­su endom­magé ».

Exploiter le microchimérisme à des fins thérapeutiques

Le microchimérisme forme donc un dis­cret réser­voir famil­ial thérapeu­tique, dont nous sommes tous dotés. Une série d’armoires à phar­ma­cie, con­sti­tuées des gènes de nos enfants, nos mères, nos grands-mères et nos grands frères et sœurs, qui n’ont pas encore dévoilées tous leurs secrets. Les sci­en­tifiques ambi­tion­nent donc, à moyen terme, de trou­ver com­ment exploiter ces cel­lules microchimériques à des fins thérapeutiques.

Le rythme des études s’est accéléré ces dernières années. Nathalie Lam­bert et son équipe ont ain­si analysé le sang de 92 femmes enceintes pour la pre­mière fois. Ils ont pu déter­min­er le « typage HLA » de trois généra­tions : la femme enceinte, sa mère et son enfant. Grâce à des tech­niques de pointe, ils ont mis en évi­dence la présence de cel­lules mater­nelles et grand-mater­nelles dans les sangs de cor­dons. L’équipe tra­vaille actuelle­ment à la pub­li­ca­tion d’un arti­cle mon­trant une forme d’homéostasie (une régu­la­tion, un équili­bre) entre les dif­férentes sources microchimériques. « Nous avons ain­si décou­vert que les femmes enceintes avec un fort microchimérisme mater­nel (grand-mère) en début de grossesse, présen­taient moins de microchimérisme de leur fœtus pen­dant cette péri­ode, sug­gérant une pos­si­ble com­péti­tion des microchimères pour en équili­br­er la quan­tité glob­ale », explique la chercheuse marseillaise.

Du point de vue cérébral, il a égale­ment été démon­tré que le microchimérisme fœtal pou­vait jouer un rôle dans la répa­ra­tion de lésions cérébrales. Maria Sbeih racon­te ain­si « avoir observé4 de réelles dif­férences entre des mod­èles ani­maux mul­ti­pares (ayant vécu au moins une grossesse) et nul­li­pares (l’inverse) quant à leur capac­ité à répar­er des lésions neu­ronales ». D’autres études ten­dent à démon­tr­er5 que la récupéra­tion post-AVC est plus effi­cace chez les mod­èles ani­maux mul­ti­pares, « avec une meilleure revas­cu­lar­i­sa­tion de la zone lésée ». S’il reste beau­coup à décou­vrir des pro­priétés pré­cis­es des cel­lules microchimériques, le sim­ple fait d’avoir en nous ce poten­tiel thérapeu­tique pour­rait per­me­t­tre « de court-cir­cuiter beau­coup de com­plex­ités tech­niques liées aux thérapies cel­lu­laires actuelles, se réjouit Maria Sbeih, comme de devoir prélever des cel­lules souch­es, les puri­fi­er, les ampli­fi­er, les réim­planter, etc. ».

Aus­si dis­crètes soient-elles, les microchimères pour­raient prochaine­ment faire grand bruit dans l’univers de la médecine régénérative.

Samuel Belaud
1https://​inria​.hal​.sci​ence/​t​e​l​-​0​3​7​3​5448/
2http://​www​.pre​mier​par​al​lele​.fr/​l​i​v​r​e​/​l​e​s​-​c​e​l​l​u​l​e​s​-​b​u​i​s​s​o​n​n​ieres
3https://​pubmed​.ncbi​.nlm​.nih​.gov/​3​6​3​7​3248/
4https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0969996122002844?via%3Dihub
5https://​www​.pnas​.org/​d​o​i​/​f​u​l​l​/​1​0​.​1​0​7​3​/​p​n​a​s​.​1​6​0​7​0​02114

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