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QI mondial en baisse : réalité ou panique morale ?

Frank Ramus
Franck Ramus
directeur de recherches au CNRS et de l'équipe "Développement cognitif et pathologie" au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique de l'Ecole Normale Supérieure de Paris
En bref
  • Le QI est une mesure de l’intelligence générale d’un individu dans sa population.
  • Cette mesure est controversée, accusée d’être un motif de discrimination dans certains pays : sélection migratoire ou stérilisation forcée.
  • Depuis le milieu du 20ème siècle le QI augmente mondialement, principalement dans les pays en grand développement (BRICs).
  • Depuis les années 90, le QI évolue plus lentement, un plafonnement peut-être dû aux limites du cerveau humain.
  • Les études alertant sur la diminution du QI mondial font débat dans la communauté scientifique, jugées biaisées.

La pre­mière échelle métrique de l’intelligence est issue du test Binet-Simon1 (nom­mé d’après un psy­cho­logue et un psy­chi­a­tre français), employé spé­ci­fique­ment pour repér­er un retard cog­ni­tif chez l’enfant. C’est à William Stern qu’est attribuée, quelques années plus tard, l’expression de « quo­tient intel­lectuel » : l’indice con­siste à divis­er l’âge « men­tal » obtenu par l’enfant lors du test par son âge physique, puis de mul­ti­pli­er le rap­port par 100. Un enfant de 10 ans obtenant des résul­tats équiv­a­lents à l’âge de 12 ans aurait ain­si un QI de (12/10) x 100, soit 120 points.

Le QI, main­tenant mesuré chez les ado­les­cents comme les adultes, situe l’intelligence générale de l’individu dans sa pop­u­la­tion (selon l’âge, la nation­al­ité…), dont l’ensemble des valeurs suit une courbe de Gauss. Le QI dit « stan­dard » (réé­talon­né env­i­ron toutes les décen­nies) fixe la valeur moyenne à 100 points et l’écart type à 15. Ain­si, dans les tests de Wech­sler faisant aujourd’hui référence2, 95 % de la pop­u­la­tion a par con­struc­tion un QI situé entre deux écart types, soit entre 70 et 130 points.

La pre­mière moitié du 20ème siè­cle est mar­quée par un usage con­tro­ver­sé de cet indice comme moyen de dis­crim­i­na­tion. Les théories eugénistes, incar­nées notam­ment par la sta­tis­tique nais­sante de Fran­cis Gal­ton3, visaient à prou­ver sci­en­tifique­ment que le niveau d’intelligence était moin­dre de manière innée chez les per­son­nes d’une cer­taine car­ac­téris­tique (alcoolisme, mal­adie men­tale…), ou appar­te­nance eth­nique. Ce cadre de pen­sée a incité plusieurs pays comme les États-Unis à employ­er le QI comme motif prin­ci­pal de sélec­tion migra­toire4, voire de stéril­i­sa­tion for­cée5.

Mais mal­gré la diver­sité de l’emploi et des mod­èles de QI, de récentes méta-analy­ses6 per­me­t­tent de retrac­er son évo­lu­tion au fil des décennies.

Nous sommes plus intelligents qu’avant

Les scores de QI de 300 000 per­son­nes, répar­ties dans 72 pays entre 1948 et 2020, ont été com­pilés dans la méta-analyse de Wongup­pa­raj et al. de 20237. En l’espace d’un siè­cle, ils ont aug­men­té d’environ 30 points, soit deux fois l’écart type de la dis­tri­b­u­tion des scores. Mais com­ment com­par­er ces valeurs alors que l’indice est réé­talon­né à peu près tous les dix ans ?

« Ce sont les scores bruts des tests, avant étalon­nage, qui sont com­parés d’une péri­ode à l’autre », explique Franck Ramus. Et pas n’importe quel test, puisque la méta-analyse ne con­sid­ère que les Matri­ces de Raven pour réé­val­uer le QI. Ce test géométrique, resté à l’identique depuis sa créa­tion en 1936, mesure l’intelligence dite « flu­ide », per­me­t­tant la réso­lu­tion de prob­lèmes sans con­nais­sance préal­able req­uise. Il n’est donc pas sujet à la péremp­tion cul­turelle, comme le sont typ­ique­ment les tests de nature verbale.

L’effet Flynn s’aplanit, mais se poursuit

L’effet Fly­nn8 décrit la hausse pro­gres­sive du niveau d’intelligence observée tout au long du 20ème siè­cle : l’amélioration de la nutri­tion9, de l’accès ou de la qual­ité des soins médi­caux10 et de la tech­nolo­gie11 sont tant de con­di­tions socio-économiques favor­ables au développe­ment de l’éducation et de l’intelligence. D’après la méta-analyse, c’est juste­ment dans les BRICs (Brésil, Russie, Inde et Chine) que l’on observe les hauss­es actuelles les plus impor­tantes (2,9 points par décen­nie en moyenne) par rap­port aux pays les plus rich­es et pau­vres (respec­tive­ment 2 et 0,4 points).

En bref, le QI aug­mente et con­tin­ue d’augmenter, mais d’une manière moins mar­quée main­tenant : 2.4 points par décen­nie entre 1948 et 1985, con­tre 1,8 entre 1986 et 2020. « Mais les arbres ne peu­vent pas mon­ter jusqu’au ciel, il y a for­cé­ment des lim­ites à ce qu’un cerveau humain peut faire », rap­pelle Ramus. Cette stag­na­tion, ou réduc­tion de l’effet Fly­nn, peut ain­si s’interpréter comme un pla­fon­nement inévitable du développe­ment cérébral et cog­ni­tif : tout comme les per­for­mances d’un ath­lète sont restreintes par la puis­sance de ses mus­cles, celles du cerveau (qui n’en est pas un ! ) le sont à la fois d’un point de vue phys­i­ologique et socio-économique.

La baisse du QI : une panique morale

Une théorie, portée médi­a­tique­ment par Edward Dut­ton et Richard Lynn (anthro­po­logue et psy­cho­logue anglais), évoque un déclin récent de l’intelligence dans plusieurs pays.  Or, les arti­cles con­formes à cette hypothèse présen­tent de nom­breux biais méthodologiques, ou extrap­o­la­tions dou­teuses. Que ce soit à cause de la taille lim­itée de l’échantillon (79 per­son­nes) pour l’étude de Dut­ton et Lynn sur la France12, ou le fait de ne con­sid­ér­er la baisse que dans cer­tains types de tests (numériques ou ver­baux) mal­gré la hausse dans d’autres (raison­nement abstrait) en Norvège13, de tels résul­tats restent en marge et ne font pas con­sen­sus dans la com­mu­nauté scientifique.

« Quelle que soit la croy­ance que les gens ont sur ce qui ne va pas, ou ce qui va plus mal qu’avant, le dis­cours selon lequel le QI baisse sem­ble venir la con­firmer. On com­prend donc que ce dis­cours puisse être pop­u­laire », explique Ramus. La panique morale autour du déclin de l’intelligence ne date pas d’hier : de nom­breux fac­teurs envi­ron­nemen­taux comme l’exposition aux écrans, les per­tur­ba­teurs endocriniens ou la dégra­da­tion de l’éducation sont régulière­ment désignés comme respon­s­ables poten­tiels. Bien que ces élé­ments puis­sent avoir un impact négatif chez cer­tains, enfants comme adultes, aucun ne sem­ble engen­dr­er une baisse du QI à échelle plus globale. 

Lancelot du Lag
1Binet A., Simon T. (1905) « Méth­odes nou­velles pour le diag­nos­tic du niveau intel­lectuel des anor­maux », L’An­née psy­chologique, 11, p. 191–244.
2« Chaque bat­terie de test est adap­tée à une tranche d’âge spé­ci­fique : le test WPPSI-IV pour les enfants avant l’école élé­men­taire, le WISC‑V pour enfants et ado­les­cents, et WAIS-IV pour les adultes. »
3Jay Gould, S. (1997). La Mal-Mesure de l’homme.
4Ohay­on, A. (2012). La querelle du QI aux États-Unis. Dans : Jean-François Marmion éd., His­toire de la psy­cholo­gie (pp. 78–80). Aux­erre: Édi­tions Sci­ences Humaines. https://​doi​.org/​1​0​.​3​9​1​7​/​s​h​.​m​a​r​m​i​.​2​0​1​2​.​0​1​.0078
5https://​the​con​ver​sa​tion​.com/​f​o​r​c​e​d​-​s​t​e​r​i​l​i​z​a​t​i​o​n​-​p​o​l​i​c​i​e​s​-​i​n​-​t​h​e​-​u​s​-​t​a​r​g​e​t​e​d​-​m​i​n​o​r​i​t​i​e​s​-​a​n​d​-​t​h​o​s​e​-​w​i​t​h​-​d​i​s​a​b​i​l​i​t​i​e​s​-​a​n​d​-​l​a​s​t​e​d​-​i​n​t​o​-​t​h​e​-​2​1​s​t​-​c​e​n​t​u​r​y​-​1​43144
6Pietschnig, J., & Voracek, M. (2015). One Cen­tu­ry of Glob­al IQ Gains : A For­mal Meta-Analy­sis of the Fly­nn Effect (1909–2013). Per­spec­tives on Psy­cho­log­i­cal Sci­ence, 10(3), 282‑306. https://​doi​.org/​1​0​.​1​1​7​7​/​1​7​4​5​6​9​1​6​1​5​5​77701
7Wongup­pa­raj, P., Wongup­pa­raj, R., Mor­ris, R. G., & Kumari, V. (2023). Sev­en­ty years, 1000 sam­ples, and 300,000 SPM scores : A new meta-analy­sis of Fly­nn effect pat­terns. Intel­li­gence, 98, 101750. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​i​n​t​e​l​l​.​2​0​2​3​.​1​01750
8Fly­nn J.R. (1984) « The mean IQ of Amer­i­cans: Mas­sive gains 1932 to 1978 », Psy­cho­log­i­cal Bul­letin, 95‎, p. 29–51.
9Lynn (2009). What has caused the Fly­nn effect? Sec­u­lar increas­es in the Devel­op­ment Quo­tients of infants. Intel­li­gence, 35(1), p. 16–24. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​i​n​t​e​l​l​.​2​0​0​8​.​0​7.008
10Pietschnig J. (2016). The Fly­nn Effect: Tech­nol­o­gy May Be Part of It, But Is Most Cer­tain­ly Not All of It. Mea­sure­ment : Inter­dis­ci­pli­nary Research and Per­spec­tives, 14(2), p.70–73. https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​8​0​/​1​5​3​6​6​3​6​7​.​2​0​1​6​.​1​1​71612
11Brats­berg B. & Roge­berg O. (2018). Fly­nn effect and its rever­sal are both envi­ron­men­tal­ly caused. Psy­cho­log­i­cal and cog­ni­tive sci­ences, 115(26), p. 6674–6678.
12L. G. Weiss et al., Flaws in Fly­nn Effect Research With the Wech­sler Scales, J. Psy­choe­duc. Assess. vol. 34, pp. 411–420, 2016.
13E. Dut­ton et R. Lynn, A neg­a­tive Fly­nn effect in France, 1999 to 2008–9, Intel­li­gence, vol. 51, pp. 67–70, 2015.

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