Gardener wearing industrial gloves holds charcoal, demonstrating sustainable agriculture.
Généré par l'IA / Generated using AI
π Énergie π Planète π Science et technologies
Transition énergétique : il reste des pistes encore largement sous-exploitées

Biochar : une méthode émergente de stockage du CO2

avec David Houben, directeur du collège Agrosciences à UniLaSalle
Le 21 octobre 2025 |
5 min. de lecture
shared image (12)
David Houben
directeur du collège Agrosciences à UniLaSalle
En bref
  • Le biochar fait partie des solutions de stockage de CO2 émergentes et prometteuses afin d'atténuer les rejets de dioxyde de carbone dans l'environnement.
  • Transformer la biomasse en biochar permet de stabiliser une partie du carbone qu’elle contient, ce qui évite son rejet dans l’atmosphère.
  • La valorisation du gaz issu de la pyrolyse sous forme d’énergie permet au biochar de diminuer les recours aux énergies fossiles.
  • À ce jour, parmi les 2 milliards de tonnes de CO2 captées chaque année, moins de 1 % le sont grâce aux nouvelles méthodes de stockage.
  • Toutefois, le potentiel du biochar possède des limites, comme la nécessité de bénéficier de suffisamment de gisements en matière première.

Les sci­en­tifiques sont clairs, comme le mon­tre le 6ème rap­port de syn­thèse du Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (GIEC)1 : « Le déploiement des tech­niques d’élim­i­na­tion du dioxyde de car­bone (CO2) est inévitable pour con­tre­bal­ancer les émis­sions de gaz à effet de serre, dif­fi­ciles à sup­primer, et ain­si par­venir à attein­dre la neu­tral­ité car­bone. » En cap­tant le CO2 de l’atmosphère et le stock­ant durable­ment dans les sols, les océans ou encore les matéri­aux, ces tech­niques sont l’ultime levi­er à mobilis­er pour atténuer le change­ment cli­ma­tique lié aux activ­ités humaines. Cer­taines sont déjà util­isées – comme la refor­esta­tion, l’agroforesterie ou encore la restau­ra­tion des zones humides, tan­dis que d’autres émer­gent. Encore très peu déployé, le biochar fait par­tie de ces solu­tions de stock­age émer­gentes et promet­teuses pour atténuer le change­ment climatique.

Un matériau plein de promesses

Le biochar est un matéri­au très riche en car­bone. Il est pro­duit en chauf­fant de la matière organique entre 300 et 700 °C, sans oxygène – un procédé appelé pyrol­yse. « On val­orise des déchets, comme des résidus de cul­tures et de sylvi­cul­ture, des déchets agroal­i­men­taires, des résidus de sta­tions d’épuration, etc. », pré­cise David Houben. En sor­tie de pyrol­yse, on récupère du biochar (une sorte de char­bon), de l’huile et du gaz. En Ama­zonie, les civil­i­sa­tions pré­colom­bi­ennes l’utilisaient déjà il y a plus de 1 000 ans pour amélior­er la qual­ité de leurs sols grâce à la capac­ité du biochar à retenir les nutri­ments. D’après les don­nées les plus récentes2, plus de 350 mil­lions de tonnes de biochar étaient pro­duites dans le monde en 2023 (fig­ure 1) – dont la moitié en Amérique du Nord, con­tre moins de 100 000 tonnes en 2021.

Fig­ure 1 : Esti­ma­tion de la pro­duc­tion mon­di­ale de biochar en tonnes métriques (mt) par année, d’après les valeurs déclarées par les répon­dants de la caté­gorie « Pro­duc­teurs de biochar ». Source : Rap­port 2023 sur le marché mon­di­al du biochar.

Quel intérêt face au change­ment cli­ma­tique ? « Trans­former la bio­masse en biochar per­met de sta­bilis­er une par­tie du car­bone qu’elle con­tient, ce qui évite son rejet dans l’atmosphère », répond David Houben. Au cours de leur crois­sance, les végé­taux captent du CO2 et le trans­for­ment en matière organique, c’est la pho­to­syn­thèse. À leur mort, la matière organique est décom­posée par les microor­gan­ismes du sol : le car­bone est alors relâché sous forme de gaz (le CO2) dans l’atmosphère. À l’inverse, en trans­for­mant les végé­taux en biochar, la majorité du car­bone s’y retrou­ve piégée pen­dant une très longue durée. « Les microor­gan­ismes ne dis­posent pas d’enzymes per­me­t­tant de découper les chaînes car­bonées du biochar, explique David Houben. Résul­tat, le biochar est très peu dégradé et le car­bone y reste stocké de façon sta­ble. » Si le biochar est pro­duit locale­ment, chaque tonne con­tient entre 2,5 et 3 tonnes de CO2 équiv­a­lent, une métrique qui estime la quan­tité de gaz à effet de serre qui aurait été autrement relâchée dans l’atmosphère.

Mais ce n’est pas tout, le biochar a d’autres impacts sur le cycle du car­bone3. Lorsque le gaz pro­duit lors de la pyrol­yse est val­orisé sous forme d’énergie, il dimin­ue le recours aux éner­gies fos­siles et donc évite des rejets sup­plé­men­taires de CO2 dans l’atmosphère. Ajouté aux sols, le biochar peut amélior­er la crois­sance des plantes – et donc leur capac­ité de stock­age du CO2 – et réduit le recours aux fer­til­isants de syn­thèse. Le biochar fait par­tie des nou­velles méth­odes de stock­age du car­bone, les méth­odes con­ven­tion­nelles étant l’agroforesterie ou la refor­esta­tion notam­ment. À ce jour, par­mi les 2 mil­liards de tonnes de CO2 cap­tées chaque année, moins de 1 % le sont grâce aux nou­velles méth­odes de stock­age4 (fig­ure 2). Le biochar est la plus répan­due, env­i­ron 790 000 tonnes de CO2 sont ain­si stock­ées sous forme de biochar chaque année. D’après les scé­nar­ios du State of car­bon diox­ide removal, il est néces­saire que ces nou­velles tech­nolo­gies de stock­age dépassent la barre du mil­liard de tonnes de CO2 par an d’ici 2050 pour attein­dre la neu­tral­ité carbone.

Fig­ure 2 : Quan­tité totale de dioxyde de car­bone élim­inée, répar­tie entre les méth­odes con­ven­tion­nelles et les méth­odes inno­vantes (GtCO2/an). Source : The State of Car­bon Diox­ide Removal.

Les limites du biochar contre le réchauffement climatique

Le biochar est-il la solu­tion par­faite pour le cli­mat ? « Le biochar est une solu­tion par­mi d’autres pour attein­dre la neu­tral­ité car­bone, mais son poten­tiel présente cer­taines lim­ites », tem­père David Houben. Il faut tout d’abord dis­pos­er de gise­ments de matière pre­mière suff­isants, cela par­fois au détri­ment d’autres voies de val­ori­sa­tion comme la méthani­sa­tion ou la pro­duc­tion de bio­matéri­aux. À ce jour, la majorité du biochar est pro­duit à par­tir de résidus de la foresterie en Amérique du Nord, Europe, Amérique du Sud et Océanie. L’Asie et l’Afrique val­orisent une plus grande quan­tité de résidus agri­coles5. « Il est égale­ment impor­tant de le pro­duire et l’utiliser locale­ment, au risque d’augmenter son empreinte car­bone et dimin­uer ain­si son intérêt, ajoute David Houben. Enfin, il ne pour­ra pas être util­isé de façon rentable dans toutes les régions du monde. »

Ce dernier point est cru­cial. La valeur économique du biochar repose sur les crédits car­bone que sa pro­duc­tion peut génér­er, mais aus­si sur sa capac­ité à amélior­er les ren­de­ments agri­coles. Or cet effet a été démon­tré dans les zones trop­i­cales (+ 25 % de ren­de­ments en moyenne), mais pas dans les régions tem­pérées6. « Le biochar présente une bonne capac­ité à retenir l’eau, un autre atout intéres­sant pour l’agriculture, pointe David Houben. Mais des recherch­es sont encore menées pour éval­uer dans quelle mesure cette eau piégée dans le biochar est disponible pour les plantes. »

La vari­abil­ité des con­textes dans lesquels le biochar est fab­riqué, appliqué ou encore les pra­tiques agri­coles rend les esti­ma­tions de son poten­tiel de stock­age de car­bone très com­plex­es. Sur la base du gise­ment de matière organique disponible, une étude récente éval­ue son poten­tiel de stock­age à env­i­ron 6 % des émis­sions de gaz à effet de serre mon­di­ales7. Mais la dura­bil­ité économique de cette esti­ma­tion ne sem­ble pas réal­iste, comme le soulig­nent les auteurs : une part impor­tante des régions n’est pas située en zones trop­i­cales, réduisant ain­si le poten­tiel réal­iste de stock­age de car­bone par biochar. « Le biochar présente un intérêt agronomique et cli­ma­tique cer­tain, selon le con­texte, con­clut David Houben. Il est une solu­tion d’atténuation utile lorsqu’il est pro­duit et util­isé locale­ment, et qu’il améliore les pro­priétés des sols. Mais il reste com­plé­men­taire à d’autres straté­gies plus effi­caces à plus large échelle, comme l’introduction de cou­verts végé­taux dans les ter­rains agri­coles. »

Propos recueillis par Anaïs Marechal

1https://​www​.ipcc​.ch/​r​e​p​o​r​t​/​a​r​6​/​w​g​3​/​d​o​w​n​l​o​a​d​s​/​r​e​p​o​r​t​/​I​P​C​C​_​A​R​6​_​W​G​I​I​I​_​S​u​m​m​a​r​y​F​o​r​P​o​l​i​c​y​m​a​k​e​r​s.pdf
2http://​145249425​.hs​-sites​-eu1​.com/​2​0​2​3​-​g​l​o​b​a​l​-​b​i​o​c​h​a​r​-​m​a​r​k​e​t​-​r​eport
3Biochar in cli­mate change mit­i­ga­tion (Lehmann et al., 2021)
4https://​www​.sta​te​ofc​dr​.org
5http://​145249425​.hs​-sites​-eu1​.com/​2​0​2​3​-​g​l​o​b​a​l​-​b​i​o​c​h​a​r​-​m​a​r​k​e​t​-​r​eport
6Biochar boosts trop­i­cal but not tem­per­ate crop yields (Jef­fery et al., 2017)
7https://link.springer.com/article/10.1007/s42773-023–00258‑2#Ack1

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir notre newsletter