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Transition énergétique : il reste des pistes encore largement sous-exploitées

Trois choses à savoir sur le potentiel inexploité des réseaux de chaleur

Johanna Ayrault, chercheuse postdoctorale à l'école MINES Paristech
Le 20 septembre 2023 |
6 min. de lecture
Johanna Ayrault
Johanna Ayrault
chercheuse postdoctorale à l'école MINES Paristech
En bref
  • Aujourd’hui, le chauffage et la climatisation représentent près de la moitié de l’énergie consommée par l’UE, dont 90 % sont de l’énergie fossile.
  • Le chauffage urbain est un système de chauffage collectif, propriété des autorités publiques locales, considéré comme de l'énergie propre.
  • Ces systèmes publics de chauffage urbain ne représentent que 9 % de la demande mondiale, mais ont le potentiel d’en couvrir plus.
  • Ils sont donc un levier majeur de production de chaleur durable à grande échelle.
  • Ces systèmes méconnus et invisibilisés dans les sphères publiques et politiques restent largement sous-exploités.

Dans le secteur de l’én­ergie, le chauffage est et restera une part impor­tante de la con­som­ma­tion d’én­ergie (env­i­ron la moitié de la demande d’én­ergie dans les bâti­ments). Le chauffage urbain, qui per­met d’in­té­gr­er à grande échelle des éner­gies pro­pres pour répon­dre à la demande de chauffage, est un for­mi­da­ble vecteur de la tran­si­tion énergé­tique. Cepen­dant, son poten­tiel reste très sous-exploité puisque 90 % de la chaleur fournie par les réseaux est encore d’o­rig­ine fos­sile (75 % en Europe, le con­ti­nent le plus avancé en matière d’in­té­gra­tion des éner­gies renou­ve­lables dans les sys­tèmes de chauffage urbain), et que seule­ment 9 % de la demande mon­di­ale de chauffage (indus­triel et bâti­ments) est assurée par le chauffage urbain.

#1 Le chauffage urbain existe déjà dans de nombreux endroits

Le chauffage urbain est un sys­tème col­lec­tif de dis­tri­b­u­tion de chaleur. En France, il englobe générale­ment aus­si les cen­trales de pro­duc­tion. Dans les cen­trales de chaleur, un flu­ide – vapeur ou eau – est chauf­fé par la chaleur d’inc­inéra­tion, les chaudières à bio­masse ou la géother­mie. Ce flu­ide chaud est ensuite trans­porté par des tuyaux isolés jusqu’à des sous-sta­tions, qui relient le sys­tème de chauffage urbain aux sys­tèmes sec­ondaires. Le sys­tème sec­ondaire cor­re­spond au sys­tème de dis­tri­b­u­tion à l’in­térieur des bâti­ments – par exem­ple, les tuyaux qui tra­versent les bâti­ments depuis la sous-sta­tion jusqu’aux radi­a­teurs. Ce sys­tème sec­ondaire est dis­tinct du chauffage urbain et n’est pas régi par le même con­trat. Le type de bâti­ments ali­men­tés par le chauffage urbain peut vari­er d’un pays à l’autre.

Dans la plu­part des cas, le chauffage urbain est dévelop­pé dans des zones où il y a déjà des bâti­ments qui con­som­ment beau­coup de chaleur, comme les hôpi­taux, les cen­tres com­mer­ci­aux, les immeubles de bureaux ou les loge­ments soci­aux. Les loge­ments privés, comme les loge­ments col­lec­tifs ou indi­vidu­els, peu­vent égale­ment être rac­cordés au sys­tème, mais ce n’est pas le cas dans tous les pays. En France, les plus anciens sys­tèmes de chauffage urbain datent d’a­vant les années 1950 dans cer­taines grandes villes comme Paris, Stras­bourg ou Greno­ble1. Par exem­ple, Paris a eu son chauffage urbain en 1927. Il est tou­jours en ser­vice et fonc­tionne à la vapeur. Entre les années 1950 et 1970, des sys­tèmes de chauffage urbain ont été mis en place dans de nom­breuses villes, mais prin­ci­pale­ment dans les nou­veaux quartiers ou autour des usines d’inc­inéra­tion afin d’u­tilis­er la chaleur. Dans les années 1980, la crise pétrolière a con­duit au développe­ment du chauffage urbain basé sur la géother­mie, comme en région parisi­enne. Toute­fois, ces sys­tèmes sont rapi­de­ment devenus économique­ment non viables en rai­son de la con­cur­rence du gaz.

Le chauffage urbain, en tant que ser­vice énergé­tique, est un ser­vice pub­lic. L’au­torité publique locale est pro­prié­taire du sys­tème et respon­s­able de son exploita­tion. En France, l’ex­ploita­tion et la main­te­nance sont sou­vent déléguées à un opéra­teur privé par le biais d’une délé­ga­tion de ser­vice pub­lic. Ces con­trats peu­vent dur­er des décen­nies (générale­ment env­i­ron 25 ans), et l’opéra­teur privé sup­porte les investisse­ments2. Cepen­dant, de plus en plus d’au­torités publiques locales con­sid­èrent leur sys­tème de chauffage urbain comme un for­mi­da­ble levi­er pour la tran­si­tion écologique.

#2 Les systèmes de chauffage urbain sont bénéfiques pour la transition écologique

Le chauffage et la cli­ma­ti­sa­tion représen­tent env­i­ron la moitié de l’én­ergie con­som­mée dans l’U­nion européenne3, mais ils sont actuelle­ment dom­inés par les com­bustibles fos­siles4. Le chauffage urbain pour­rait favoris­er la pro­duc­tion de chaleur durable à grande échelle. En effet, au lieu de deman­der à des mil­liers de familles de chang­er leur vieille chaudière à com­bustible, tout le quarti­er peut pass­er des com­bustibles fos­siles à l’én­ergie durable en changeant l’u­sine de pro­duc­tion à base de com­bustible pour, par exem­ple, une usine à base de bio­masse. De plus, en abais­sant la tem­péra­ture du flu­ide et en ajoutant des stock­ages ther­miques, il est plus facile d’in­té­gr­er une plus grande var­iété de moyens de pro­duc­tion locaux et durables : chaleur résidu­elle indus­trielle, énergie géother­mique peu pro­fonde, pom­pes à chaleur à grande échelle, etc. Le chauffage urbain est égale­ment un excel­lent coéquip­i­er : il peut être cou­plé à un sys­tème de refroidisse­ment ou être util­isé comme moyen de stock­age de la pro­duc­tion d’élec­tric­ité renouvelable.

En inté­grant une var­iété de ressources locales, le chauffage urbain est un for­mi­da­ble levi­er pour de nom­breuses tran­si­tions locales. Il per­met aux autorités publiques locales d’a­gir sur la décar­bon­i­sa­tion, la pol­lu­tion de l’air, la pau­vreté énergé­tique, etc. Il peut même devenir un objet de démoc­ra­tie locale si les citoyens sont inté­grés à sa plan­i­fi­ca­tion et à sa gou­ver­nance. Il peut égale­ment pro­mou­voir la sou­veraineté énergé­tique locale en garan­tis­sant un appro­vi­sion­nement énergé­tique local et en réduisant la dépen­dance énergé­tique. Par exem­ple, Dunkerque est le plus grand sys­tème de chauffage urbain français basé sur la récupéra­tion de chaleur indus­trielle. Depuis la crise pétrolière, la munic­i­pal­ité souhaitait dis­pos­er d’une plus grande sou­veraineté énergé­tique et être en mesure de con­trôler les prix de la chaleur. Elle a donc dévelop­pé en 1986 un sys­tème de chauffage urbain récupérant la chaleur résidu­elle d’Arcelor-Mit­tal, un impor­tant fab­ri­cant d’aci­er. Grâce à cette récupéra­tion, Arcelor-Mit­tal doit brûler moins de gaz, ce qui améliore la qual­ité de l’air et l’at­trac­tiv­ité locale.

En 2009, le Fonds chaleur, une sub­ven­tion publique française sou­tenant le développe­ment de la chaleur renou­ve­lable, a été mis en place. Il vise à ren­dre la chaleur renou­ve­lable et de récupéra­tion com­péti­tive par rap­port aux solu­tions basées sur le gaz. Il a par­ticipé à la sécuri­sa­tion des réseaux de chaleur géother­miques restants et a aidé au développe­ment de nou­veaux réseaux, basés sur au moins 50 % de chaleur renou­ve­lable ou de récupéra­tion. Grâce à cette nou­velle dynamique, la France compte aujour­d’hui 898 sys­tèmes de chauffage urbain en fonc­tion­nement, avec 62,6 % de pro­duc­tion de chaleur renou­ve­lable ou de récupéra­tion en moyenne5.

#3 Le potentiel du chauffage urbain est plus important que sa visibilité actuelle

Vous avez prob­a­ble­ment déjà enten­du par­ler de l’élec­tric­ité verte pro­duite par des éoli­ennes ou des pan­neaux solaires. Vous avez prob­a­ble­ment enten­du par­ler du biogaz, des gaz verts et de l’hy­drogène. Mais avez-vous enten­du par­ler des sys­tèmes de chauffage urbain durables ? Pou­vez-vous citer une entre­prise qui four­nit du chauffage urbain ?

Le chauffage urbain est sous-représen­té dans le secteur de l’én­ergie et peu d’in­sti­tu­tions défend­ent ces sys­tèmes de manière vis­i­ble. Le prin­ci­pal réseau européen de pro­mo­tion du chauffage urbain s’ap­pelle Euro­heat & Pow­er… Un nom qui ne donne aucune indi­ca­tion explicite sur son ori­en­ta­tion vers l’én­ergie urbaine. De nom­breuses entre­pris­es français­es four­nissant du chauffage urbain sont égale­ment des actri­ces majeures des marchés de l’élec­tric­ité et du gaz, ce qui peut entraîn­er des con­flits d’in­térêts internes. En out­re, cer­tains pays – comme la France – ont his­torique­ment fait le choix poli­tique de dévelop­per les réseaux de gaz et d’élec­tric­ité au niveau national.

Le chauffage urbain est sous-représen­té dans le secteur de l’én­ergie et peu d’in­sti­tu­tions défend­ent ces sys­tèmes de manière visible.

Avec ces deux ser­vices en place et la sous-représen­ta­tion du chauffage urbain, il peut être dif­fi­cile pour les autorités publiques locales 1) d’ac­quérir des con­nais­sances sur le chauffage urbain, 2) de jus­ti­fi­er le développe­ment d’un nou­veau ser­vice énergé­tique alors que deux ser­vices sont déjà pleine­ment opéra­tionnels et capa­bles de fournir de la chaleur. Pour ajouter au deux­ième point, un sys­tème de chauffage urbain doit avoir un niveau élevé de demande de chaleur et de den­sité pour être économique­ment viable. Dans les endroits où il n’y a pas de con­nex­ion oblig­a­toire au sys­tème, il peut être dif­fi­cile d’at­tein­dre et de garan­tir ce niveau de demande. En effet, il existe de nom­breuses solu­tions – durables ou non – pour obtenir du chauffage et de l’eau chaude : chaudières indi­vidu­elles au gaz ou au fioul, chauffage élec­trique, pompe à chaleur indi­vidu­elle, pan­neaux solaires ther­miques, etc. Cer­taines de ces solu­tions sont égale­ment soutenues par les poli­tiques publiques, comme la mise en place de pom­pes à chaleur indi­vidu­elles ou le chauffage élec­trique – un moyen de chauffage très peu effi­cace, mais assez dévelop­pé en France en rai­son du faible prix de l’élec­tric­ité et des poli­tiques de sou­tien à l’élec­tric­ité d’o­rig­ine nucléaire.

Deux élé­ments ren­dent encore plus dif­fi­cile la vis­i­bil­ité du chauffage urbain. Tout d’abord, son invis­i­bil­ité ! Tout le sys­tème est souter­rain, et la chaleur n’est pas aus­si vis­i­ble dans nos paysages que l’élec­tric­ité. Les seules par­ties vis­i­bles sont les plantes, ce qui peut con­duire à une opin­ion plutôt impop­u­laire sur le chauffage urbain… Deux­ième­ment, la décon­nex­ion avec les util­isa­teurs fin­aux. Comme nous l’avons déjà men­tion­né, le chauffage urbain est dis­tinct du sys­tème sec­ondaire. Les clients sont les pro­prié­taires des bâti­ments, et non les util­isa­teurs fin­aux, et il n’y a pas de lien direct entre les util­isa­teurs de chaleur et les acteurs du chauffage urbain. De nom­breux clients ne savent même pas qu’ils sont appro­vi­sion­nés en chaleur par le chauffage urbain !

1Cere­ma, 2023. His­torique du développe­ment des réseaux de chaleur en France. His­torique du développe­ment des réseaux de chaleur en France | Cere­ma. Accessed 04.08.2023.
2Cour des comptes (Gen­er­al Account­ing Office), 2021. Le chauffage urbain : une con­tri­bu­tion effi­cace à la tran­si­tion énergé­tique insuff­isam­ment exploitée.
3Euroheat&Power, 2023. Vision 2050. Vision 2050 (euro​heat​.org). Acessed 03.08.2023.
4Inter­na­tion­al Ener­gy Agency, 2021. Dis­trict Heat­ing. Dis­trict Heat­ing – Analy­sis – IEA. Accessed 13.05.2022.
5Fedene – SNCU, 2022. Enquête des reseaux de chaleur et de froid – Edi­tion 2022.

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