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Métavers : l’espoir, les promesses et les inconnus

À quoi ressemblerait l’économie du métavers ?

Jean Zeid, Journaliste
Le 6 juillet 2022 |
5 min. de lecture
Thierry Penard
Thierry Pénard
professeur d’économie et doyen de la faculté des sciences économiques de l’université de Rennes 1
En bref
  • Certains secteurs sont déjà à la pointe sur le sujet de métavers comme c’est le cas du jeu vidéo et de l’industrie pornographique, à l’origine des paywall ou abonnement en ligne.
  • Un des marchés principaux du métavers tournera sûrement autour de méta-environnements commerciaux comme des galeries commerciales irriguées par les crypto-monnaies ou autres NFT.
  • Le métavers sera probablement un point d’entrée pour des écosystèmes bien connus comme Apple, Amazon ou encore Google.
  • Cependant, le « métavers » sera plutôt « des métavers » puisque certains gouvernements aux régimes particuliers ne laisseront pas les citoyens circuler librement sur cet espace numérique.

Les poten­tial­ités des ser­vices issus du métavers sont encore large­ment incon­nues. C’est une sit­u­a­tion com­pa­ra­ble à la bulle inter­net à la fin des années 1990. À cette époque, beau­coup rêvaient de nou­velles formes de com­merce élec­tron­ique, sans toute­fois pos­séder les tech­nolo­gies qui auraient per­mis leurs mis­es en pra­tique. Nom­bre de start-ups du secteur ves­ti­men­taire promet­taient aux clients la mise à dis­po­si­tion de cab­ines virtuelles, per­me­t­tant d’essayer sa future chemise ou ses prochaines chaus­sures. La plu­part ont dis­paru depuis et les scep­tiques étaient nom­breux à juger que les gens n’achèteraient jamais de vête­ments sur inter­net. Les temps ont bien changé, les men­tal­ités et les out­ils également.

L’autre événe­ment cap­i­tal avec lequel je pour­rais com­par­er l’émergence du métavers, c’est l’avènement du réseau mobile de troisième généra­tion UMTS au milieu des années 2000. Là encore, c’était une péri­ode où l’on promet­tait, grâce à cette 3G, de créer de nou­veaux ser­vices dont la valeur se chiffrait en cen­taine de mil­liards de dol­lars. Mais la plu­part d’entre eux n’ont pas vu le jour ou ne se sont pas imposés auprès du grand pub­lic. Pour autant, la 3G a été un suc­cès avec l’émergence des réseaux soci­aux, du marché appli­catif ou encore l’explosion de la pub­lic­ité sur mobile.

Point de basculement

Aujourd’hui, nous sommes, il me sem­ble, à la veille d’un boule­verse­ment sim­i­laire avec le métavers. À un moment que nous ne con­nais­sons pas encore, mais qui me sem­ble proche, les gens vont créer de nou­veaux usages, sans savoir quelle tech­nolo­gie il y a der­rière leurs nou­velles pra­tiques. Si désor­mais, nous util­isons presque tous des smart­phones, nous aurons sans doute demain d’autres dis­posi­tifs d’accès au métavers via la réal­ité aug­men­tée ou la réal­ité virtuelle. Quand ces dis­posi­tifs per­me­t­tront une util­i­sa­tion flu­ide, alors vien­dra le temps du marché de masse. Tout un ensem­ble de ser­vices spé­ci­fiques ver­ra le jour et nous vivrons une nou­velle révo­lu­tion du point de vue des usages numériques.

La pre­mière de ces révo­lu­tions a été celle de l’ordinateur con­nec­té à inter­net à tra­vers des moteurs de recherche ou des nav­i­ga­teurs web. Elle avait deux incon­vénients : il fal­lait une con­nex­ion filaire, et puis il fal­lait être chez soi. La sec­onde révo­lu­tion fut celle du smart­phone à écran tac­tile où nous sommes passés d’une approche nav­i­ga­teur à une approche appli­ca­tion. Elle a entraîné une large mod­i­fi­ca­tion de nos usages, de notre rap­port à la con­som­ma­tion, à la socia­bil­i­sa­tion, au diver­tisse­ment, etc.

Mais la prospec­tive demeure une sci­ence com­plexe. La prochaine révo­lu­tion après, dans le pro­longe­ment du smart­phone, devait être celle de la voix avec l’engouement observé autour des enceintes con­nec­tées. Mais finale­ment, cela n’a pas vrai­ment généré d’usages inno­vants. La prochaine révo­lu­tion sera peut-être celle du métavers, c’est-à-dire d’un accès plus immer­sif aux univers virtuels et qui ne se lim­it­era plus à la sur­face d’un écran tac­tile. Avec le métavers, cette phys­i­cal­ité disparaîtra.

Les marchés existent déjà

Il existe déjà des secteurs en pointe en la matière comme celui des jeux vidéo. Ce secteur a déjà un pied dans le métavers depuis près de vingt ans, en pro­duisant des expéri­ences ludiques qui per­me­t­tent l’immersion dans des envi­ron­nements virtuels. Une autre par­tie des inno­va­tions provien­dra égale­ment de l’industrie de la pornogra­phie, tou­jours aux avant-postes de l’innovation numérique. C’est le pre­mier secteur à avoir ain­si lancé des mod­èles économiques de type pay­wall ou d’abonnements pour con­som­mer du con­tenu en stream­ing. On en con­naît aujourd’hui  le succès.

Dans le secteur du com­merce, l’enjeu prin­ci­pal du métavers sera sa capac­ité à créer un univers équiv­a­lent aux galeries com­mer­ciales, des méta-envi­ron­nements où vien­dront s’agréger des plate­formes de con­som­ma­tion, des ser­vices de diver­tisse­ment et prob­a­ble­ment beau­coup d’autres usages que nous n’avons pas encore imag­inés, irrigués ou non par les cryp­tomon­naies, les NFT et la blockchain.

Mais ce secteur reste encore large­ment dépen­dant des con­traintes physiques liées à la logis­tique et à la prox­im­ité. Avant l’émergence d’internet, l’achat en mag­a­sin était intrin­sèque­ment lié à la prox­im­ité géo­graphique. Désor­mais, les con­traintes de dis­tances sont moins fortes, mais elles n’ont pas dis­paru con­traire­ment à ce que l’on pour­rait penser de prime abord. Les grandes plate­formes du secteur sont restées pour beau­coup des plate­formes nationales. Les sites de com­merce ne sont pas tou­jours les mêmes d’un pays à l’autre et les spé­ci­ficités locales per­durent. Mais s’il y a effec­tive­ment des par­tic­u­lar­ismes de con­som­ma­tion, nous voyons bien que ces plate­formes mon­di­ales sont capa­bles de s’adapter aux goûts ou aux préférences régionales. Si l’on prend l’exemple de Net­flix, ils ont une offre qui est capa­ble de s’ajuster à chaque pays.

Intégration aux plateformes d’aujourd’hui

Il est aus­si très prob­a­ble que le métavers sera le point d’entrée d’un même écosys­tème, qu’il s’agisse de l’écosystème d’Amazon, Meta ou Apple. Ce qui explique la lutte acharnée entre les GAFAM et cer­tains géants chi­nois comme Aliba­ba pour devenir le futur cham­pi­on de cette nou­velle révo­lu­tion à venir. Face à l’Asie et aux États-Unis, les acteurs européens ne sont pas en mesure de maîtris­er l’ensemble de ces tech­nolo­gies. En France, nous avons par exem­ple des entre­pris­es très per­for­mantes en cryp­togra­phie ou en cyber­sécu­rité, mais ce n’est pas suff­isant pour domin­er un tel marché en devenir.

En revanche, ce qui est à peu près cer­tain, c’est qu’il n’y aura pas de métavers mon­di­al unique. Il y aura for­cé­ment un métavers chi­nois par exem­ple qui ne per­me­t­tra pas à ses citoyens de vis­iter des ter­ri­toires virtuels non soumis à la cen­sure. Les régu­la­tions éta­tiques vont néces­saire­ment créer des lim­ites ou des fron­tières, même au sein de ces espaces virtuels. Il fau­dra égale­ment pro­téger les con­som­ma­teurs, organ­is­er les rela­tions entre les inter­nautes et les plate­formes, etc. Et tout ne se passera pas exclu­sive­ment sur le métavers. Nous pou­vons très bien imag­in­er une util­i­sa­tion mixte entre le smart­phone, un univers virtuel et même un com­merce physique. Le suc­cès des achats en ligne n’a pas tué les mag­a­sins. Et d’autres formes de com­merce ont vu le jour, per­me­t­tant un aller-retour entre le monde physique et le monde en ligne.

Enfin, la ques­tion de l’accessibilité à ces tech­nolo­gies est à mes yeux cru­ciale. Com­ment allons-nous nous appro­prier col­lec­tive­ment ces tech­nolo­gies et les maîtris­er sans créer de nou­velles frac­tures numériques ? Si je prends l’exemple d’un entre­tien d’embauche sur le métavers, le can­di­dat maîtrisant ses codes sera-t-il avan­tagé par rap­port au néo­phyte ? C’est à toutes ces ques­tions que ce métavers bal­bu­tiant devra répon­dre s’il devient la prochaine révo­lu­tion du numérique.

Des prévisions vertigineuses

Quel poids économique aura dans un futur proche ce métavers ? Pour le cab­i­net de con­seil Gart­ner InfoTech, les promess­es seront tenues : cette nou­velle itéra­tion d’internet devien­dra très vite incon­tourn­able. D’ici 2026, le métavers serait ain­si adop­té, selon son étude, par un quart de la pop­u­la­tion mon­di­ale pour le tra­vail, les achats, l’éducation, les inter­ac­tions sociales et le diver­tisse­ment. Nous devri­ons même pass­er au moins une heure par jour à porter un casque VR afin de prof­iter de l’expérience immer­sive améliorée. Le cab­i­net prédit égale­ment que les NFT et les mon­naies numériques ali­menteront l’économie de ce monde virtuel. Un rap­port de McK­in­sey con­firme ce haut poten­tiel : le métavers serait capa­ble de génér­er jusqu’à 5 mil­liards de dol­lars de valeur d’ici 2030.

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