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Métavers : l’espoir, les promesses et les inconnus

« Le métavers est un outil pour une transformation durable »

Carole Davies-Filleur, directrice exécutive, responsable des activités Sustainability & Technology à Accenture
Le 20 septembre 2022 |
4 min. de lecture
Carole Davies-Filleur
Carole Davies-Filleur
directrice exécutive, responsable des activités Sustainability & Technology à Accenture
En bref
  • On peut tenter de définir le métavers comme un continuum d’expériences formé à partir des anciennes et nouvelles technologies, une sorte de nouvel internet.
  • Contrairement aux idées reçues, le métavers pourrait avoir un impact écologique positif : la digitalisation permettrait de produire moins de gaz à effet de serre dans un rapport de 1 à 5.
  • L’écoconception ainsi que la responsabilité environnementale et éthique sont des enjeux primordiaux pour le développement du métavers.
  • Il faut encore mener un travail de sensibilisation auprès des entreprises et du grand public afin de faire du métavers « le bon élève du numérique ».

L’in­térêt que je porte au métavers est dou­ble. En tant qu’ingénieur, je suis tou­jours curieuse de décou­vrir les nou­velles pos­si­bil­ités offertes à l’être humain, aux sociétés et aux entre­pris­es par les tech­nolo­gies émer­gentes. L’autre regard est celui de la respon­s­able numérique soucieuse d’a­vancer vers une trans­for­ma­tion durable et ayant une vig­i­lance accrue à pro­pos des impacts éthiques et envi­ron­nemen­taux de ces inno­va­tions en devenir, et dont le métavers fait partie.

Un « nouvel internet » 

Ma déf­i­ni­tion de ce métavers est celle d’un con­tin­u­um d’ex­péri­ences créé sur la base d’une con­ver­gence de tech­nolo­gies nou­velles et anci­ennes, une sorte d’évolution d’in­ter­net. Après l’in­ter­net clas­sique, puis l’in­ter­net des objets, voilà main­tenant l’in­ter­net des expéri­ences avec cette notion de con­tin­u­um d’où vont émerg­er des oppor­tu­nités encore incon­nues. Inter­net, quelle que soit sa forme, nous a per­mis à la fois de con­som­mer, d’apprendre, de nous diver­tir et d’être beau­coup plus effi­caces dans notre vie pro­fes­sion­nelle. Son impact sur la vie est réel, tangible. 

Il y a une réelle dif­fi­culté à appréhen­der le métavers, car il cou­vre un large éven­tail de réal­ités et des expéri­ences, toutes très variées.

Mais il y a une réelle dif­fi­culté à appréhen­der le métavers, car il cou­vre un large éven­tail de réal­ités et des expéri­ences, toutes très var­iées. En effet, il peut être expéri­men­té grâce à la réal­ité éten­due ou non. Pour évoluer dans ces espaces virtuels, on peut utilis­er un casque de réal­ité virtuelle, mais on peut tout aus­si s’en pass­er. On peut se retrou­ver en présence de mon­naies numériques, mais ce n’est en rien une oblig­a­tion. Et il peut égale­ment fonc­tion­ner avec le réseau 3G, 4G ou 5G selon les options voulues. Tous ces choix tech­nologiques seront pris très en amont, dès la con­cep­tion du cas d’usage, et tous auront des impacts éthiques et envi­ron­nemen­taux com­plète­ment différents. 

L’intérêt écologique du métavers

Mon regard sur le métavers, et de façon générale sur la trans­for­ma­tion numérique voit un intérêt cru­cial à réalis­er l’é­co­con­cep­tion des ser­vices qu’on imag­ine pour le futur. Qu’est-ce-que cela veut dire ? Que nous devons pren­dre en compte les con­séquences de ces trans­for­ma­tions numériques très tôt dans la pro­duc­tion de ces nou­veaux usages. Et pour cela, il faut se pos­er la ques­tion de leur bal­ance envi­ron­nemen­tale, mais aus­si sociale, éthique de l’ex­péri­ence util­isa­teur que l’on souhaite met­tre en place face à leur valeur rémunéra­trice, face à leur rentabil­ité finan­cière. Quel est le dif­féren­tiel net en prenant toutes ces dimen­sions en compte ? Est-ce que le bilan est posi­tif ou non ? Doit-on façon­ner un monde qui se déshu­man­ise avec des risques éthiques causés par le manque de pro­tec­tion des don­nées per­son­nelles, par les « fake news », la vio­lence entre avatars, etc. ? Doit-on laiss­er fil­er l’u­til­i­sa­tion de don­nées en ligne, syn­onyme de con­som­ma­tion d’én­ergie accrue ?

Si le bilan est négatif, alors la réal­i­sa­tion du pro­jet n’est pas souhaitable. En revanche, pourquoi dire non à une ambi­tion qui apporte une réelle con­tri­bu­tion pos­i­tive ? Chez Accen­ture, nous avons récem­ment réal­isé une étude inti­t­ulée Digital4Climate avec Ago­ria en Bel­gique, et nous avons mon­tré que le numérique dans les secteurs du smart build­ing, du smart man­u­fac­tur­ing ou de la mobil­ité intel­li­gente pou­vait avoir un impact posi­tif sur le bilan car­bone. La dig­i­tal­i­sa­tion per­me­t­trait de pro­duire moins d’émis­sions de gaz à effet de serre dans un rap­port de 1 à 5, c’est-à-dire une émis­sion générée con­tre cinq émis­sions évitées. Je crois que nous pou­vons attein­dre ce même ratio avec le métavers dans cer­tains cas d’usage bien choi­sis, en inté­grant l’éco-conception. 

Il y a quelque temps, j’ai mené une ses­sion de sen­si­bil­i­sa­tion aux impacts du numérique, au-delà du métavers, pour un ensem­ble de CIO d’une grande entre­prise présente dans le monde entier. Beau­coup d’en­tre eux n’avaient pas con­science, par exem­ple, que 2 kilos d’or­di­na­teur néces­si­tent 800 kilos de matéri­aux, en par­ti­c­uli­er pour col­lecter des métaux, dont cer­tains sont rares. La con­som­ma­tion élec­trique du numérique doit aus­si être maîtrisée, à un moment où d’autres secteurs, comme le trans­port, passent à l’électrique. Et je ne par­le ici que des enjeux envi­ron­nemen­taux, mais on sait qu’il y a égale­ment des enjeux d’in­clu­sion et d’ac­ces­si­bil­ité au numérique égale­ment, sans oubli­er la pro­tec­tion des don­nées per­son­nelles et la trans­parence des algorithmes. 

Un message pour tous

Je pense que ce tra­vail de sen­si­bil­i­sa­tion est encore très large­ment à faire au niveau des grandes entre­pris­es français­es et du grand pub­lic. Mais com­ment ampli­fi­er ce mes­sage ? Pre­mière­ment, je pense qu’il y a un mou­ve­ment d’ensem­ble des grandes entre­pris­es qui, pour la plu­part, se sont fixé des objec­tifs envi­ron­nemen­taux, soci­aux et de gou­ver­nance très claire. Et ces engage­ments seront sur­veil­lés par les ana­lystes financiers qui adorent met­tre les dirigeants des grandes entre­pris­es face à leurs promess­es, surtout quand elles ne sont pas tenues. 

Deux­ième­ment, s’il existe une pres­sion de la part de la finance et des dirigeants d’en­tre­prise, il y en a égale­ment une de la part des con­som­ma­teurs. De plus en plus de per­son­nal­ités sont médi­atisées et nous font pren­dre con­science du lien entre notre impact envi­ron­nemen­tal et notre util­i­sa­tion du numérique. Troisième­ment, et cela, je le vois tous les jours chez Accen­ture, les can­di­dats qui vien­nent par­ticiper à nos proces­sus de recrute­ment sont de plus en plus sen­si­bles aux actions de l’entreprise par rap­port à l’Ac­cord de Paris, à la réduc­tion du plas­tique ou la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité, etc. C’est une exi­gence réelle qu’’il faut pren­dre en compte.

Enfin, il y a l’aspect gou­ver­nance. Il existe désor­mais des entre­pris­es qui asso­cient le développe­ment durable à tous leurs pro­jets, mais égale­ment à tous les niveaux de la hiérar­chie de l’entreprise. Dans les faits, le numérique respon­s­able ou la trans­for­ma­tion durable devi­en­nent le piv­ot de toute la chaîne de pro­duc­tion. Chez Accen­ture, nous avons, par exem­ple, un « respon­s­able sus­tain­abil­i­ty » présent dans tous les secteurs stratégiques de l’entreprise.

C’est à cette con­di­tion que le métavers peut devenir le bon élève du numérique. Pour don­ner une image qui par­lera à tout le monde, le métavers pour­rait être un enfant d’aujourd’hui qui entre en pri­maire. Plus sen­si­ble et bien mieux éduqué que nous en ce qui con­cerne la respon­s­abil­ité envi­ron­nemen­tale, sociale et éthique, le métavers peut pareille­ment nous mon­tr­er la voie si, dès le départ, on le biberonne à l’é­co­con­cep­tion et à la respon­s­abil­ité envi­ron­nemen­tale et éthique. Et alors, le pari sera gag­né, à la seule con­di­tion de ne pas céder aux sirènes du buzz.

Auteurs

Carole Davies-Filleur

Carole Davies-Filleur

directrice exécutive, responsable des activités Sustainability & Technology à Accenture

Carole Davies-Filleur accompagne depuis plus de 25 ans les grandes entreprises françaises dans leur transformation numérique. Depuis 3 ans, elle propose à ses clients d’allier numérique et transformation durable, qu’il s’agisse de mettre la technologie au service de la durabilité ou de rendre la technologie plus responsable. Ses fonctions lui confèrent une vision globale, européenne et locale des enjeux environnementaux, sociaux et éthiques. En effet, elle est membre de l’équipe globale d’Innovation en numérique responsable, est responsable de la coordination européenne de ses activités, et est en charge des activités liées à la durabilité et la technologie pour la France et le Bénélux. Carole représente Accenture au sein de différentes organisations, telle que la European Green Digital Coalition ou l’Institut du Numérique Responsable, afin de contribuer aux réflexions sur les technologies au service de la transformation durable.

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