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Les grands fonds marins refont surface

« L’exploration des ressources minières marines est plus un enjeu de souveraineté qu’un enjeu économique »

Anaïs Marechal, journaliste scientifique
Le 8 juin 2022 |
5 min. de lecture
Ewan Pelleter
Ewan Pelleter
chercheur en géosciences marines à l'Ifremer
En bref
  • Les fonds marins recèlent des ressources géologiques très intéressantes contenues dans trois strates : les nodules polymétalliques, les encroûtements et les amas sulfurés.
  • Cette préoccupation pour l’exploitation minière marine est née dès 2001 avec les premiers contrats d’exploration, puis avec l’augmentation des prix des métaux.
  • Les estimations autour de la valeur géologique des fonds marins sont incertaines mais la zone de Clarion-Clipperton pourrait contenir jusqu’à 340 millions de tonnes de nickel et 275 millions de tonnes de cuivre.
  • De nombreuses zones d’ombres demeurent cependant. Comme l’empreinte écologique d’une telle exploitation, qui reste inconnue et qui pourrait être dramatique.

Quelles sont les ressources minières connues des grands fonds marins ?

Il existe trois objets géologiques con­tenant des ressources d’intérêt : les nod­ules polymé­talliques enrichis en man­ganèse, fer, cobalt, nick­el et cuiv­re ; les encroûte­ments con­tenant du man­ganèse, du fer, du cobalt et du pla­tine ; et les amas sul­furés rich­es en cuiv­re, zinc et par­fois en or et argent. Les nod­ules et encroûte­ments sont répar­tis sur de grandes sur­faces con­traire­ment aux amas sulfurés.

Trois con­textes rich­es en ressources minières

Dif­férentes con­di­tions envi­ron­nemen­tales et géologiques con­duisent à la for­ma­tion d’objets rich­es en métaux dans les fonds marins1.

Les amas sul­furés sont for­més par la cir­cu­la­tion de l’eau en pro­fondeur au sein de roches issues du man­teau ter­restre. À leur con­tact, l’eau s’enrichit en minéraux dis­sous. Lorsqu’elle remonte au fond des océans, les minéraux pré­cip­i­tent sous forme d’amas sul­furés. On les retrou­ve spo­radique­ment de 800 à 5 000 mètres de pro­fondeur, au niveau des dor­sales ou aux abor­ds de vol­cans sous-marins à l’intérieur des plaques.

Les encroûte­ments sont des amas rocheux recou­vrant des kilo­mètres car­rés de fonds marins, de 400 à 4 000 mètres de pro­fondeur. Ils se for­ment lorsque les con­di­tions envi­ron­nemen­tales – courants marins, teneur en oxygène, etc. – lim­i­tent le dépôt de sédi­ments au fond de l’eau. Petit à petit, dif­férents métaux con­tenus dans l’eau de mer pré­cip­i­tent au fond et s’agrègent pour for­mer les encroûte­ments. Ils gran­dis­sent à une vitesse de quelques mil­limètres par mil­lions d’années.

Les nod­ules polymé­talliques sont des boules som­bres de 5 à 10 cen­timètres de diamètre, ren­con­trées dans les plaines abyssales (3000 à 5500 mètres de pro­fondeur). À cette pro­fondeur, de nom­breuses petites par­tic­ules de ”déchets” (morceaux de roches érodées, restes de squelettes d’animaux, etc.) sédi­mentent au fond de l’eau. Elles ser­vent de sup­port sur lequel s’accumulent les métaux con­tenus dans l’eau de mer, comme pour les encroûtements.

Tous peu­vent aus­si con­tenir des métaux dits rares comme cer­taines ter­res rares, du tel­lure, du zir­co­ni­um, de l’indium, du ger­ma­ni­um, etc. Ces ressources sont large­ment util­isées dans les nou­velles tech­nolo­gies comme les smart­phones et égale­ment pour la tran­si­tion énergé­tique. Citons, par exem­ple, le néodyme util­isé dans les aimants per­ma­nents des éoli­ennes, ou encore le cobalt dans les batteries. 

Ces minerais ne sont-ils pas déjà exploités sur terre ?

Oui, bien sûr. Actuelle­ment, les ressources con­nues en métaux sur terre sont bien plus élevées qu’en mer. Et pour cer­taines comme le man­ganèse, le nick­el, le cuiv­re ou le cobalt, les gise­ments ter­restres ne seront pas taris avant plusieurs dizaines d’années. Les ressources marines sont peu con­nues. Les amas sul­furés con­nus dans les fonds océaniques ne représen­tent que 0,5 % du ton­nage de leurs équiv­a­lents ter­restres. C’est encore très peu ! Dans le cas des nod­ules polymé­talliques, la ressource en cobalt du con­trat d’exploration détenu par la France représen­terait au max­i­mum 4% des ressources en cobalt disponibles à terre2, et ce mal­gré sa répar­ti­tion sur une sur­face équiv­a­lente à celle de la région Occitanie. 

Si une exploita­tion est envis­agée dans les prochaines décen­nies, ce ne sera pas par manque de disponi­bil­ité à terre mais plutôt pour des enjeux de souveraineté.

L’exploitation des fonds marins présente donc des intérêts géopolitiques importants … Quels États sont lancés dans cette course ?

L’exploration Chal­lenger menée par les bri­tan­niques à la fin du XIXème siè­cle mar­que le début de l’exploration océanographique. C’est lors de cette cam­pagne que les encroûte­ments et les nod­ules polymé­talliques ont été décrits pour la pre­mière fois. De nom­breuses mis­sions d’exploration focal­isées sur les nod­ules ont suivi à par­tir des années 1960, per­me­t­tant d’identifier la zone de Clar­i­on-Clip­per­ton (Paci­fique Est) riche en nod­ules polymé­talliques. L’intérêt est retombé dans les années 1980 en rai­son de la baisse des prix des métaux.

Cepen­dant, depuis le milieu des années 2000, la flam­bée du coût des métaux a relancé l’exploration des grands fonds marins. Les pre­miers con­trats d’exploration en zone inter­na­tionale ont été délivrés en 2001 à la Russie, la Chine, le Japon, la France, l’Inde et un con­sor­tium inter­na­tion­al3. Depuis, 25 nou­veaux con­trats – dont 23 après 2011 – ont été décernés sur les trois dif­férentes ressources minérales marines. Cet engoue­ment est mar­qué par des ques­tions géopoli­tiques et stratégiques : la Chine pro­dui­sait en 2011 95% des ter­res rares et du gal­li­um, 68% du ger­ma­ni­um ou encore 57% de l’indium, des métaux util­isés dans les hautes tech­nolo­gies et les éner­gies vertes. En Papouasie-Nou­velle Guinée, l’ex-société cana­di­enne Nau­tilus Min­er­als a été la pre­mière à avoir obtenu un per­mis d’exploitation (sur des amas sul­furés). L’exploitation minière n’a jamais com­mencé et la société est aujourd’hui dissoute.

A‑t-on une idée du potentiel économique offert par les grands fonds marins ?

Il n’existe aucune éval­u­a­tion des ressources marines exploita­bles à l’heure actuelle. Cer­tains travaux se sont attachés à estimer la quan­tité poten­tielle de métal disponible : par exem­ple, la zone de Clar­i­on-Clip­per­ton pour­rait con­tenir jusqu’à 340 mil­lions de tonnes de nick­el et 275 mil­lions de tonnes de cuiv­re. Mais ces esti­ma­tions sont très incer­taines. Au mieux, elles indiquent un poten­tiel max­i­mal car l’ensemble de cette ressource n’est pas exploitable ! La part exploitable dépend du prix des métaux, des coûts d’exploitation et envi­ron­nemen­taux et de fac­teurs juridiques, soci­aux et gou­verne­men­taux. Si on intè­gre l’ensemble de ces paramètres, elle peut très vite être réduite à zéro.

Le coût envi­ron­nemen­tal reste une grande incon­nue. Nous imag­i­nons qu’il pour­rait s’avérer très impor­tant : la zone de Clar­i­on-Clip­per­ton s’étend sur une super­fi­cie supérieure à celle de l’Union Européenne ! L’exploration reste indis­pens­able pour car­ac­téris­er plus fine­ment les ressources disponibles mais égale­ment pour mieux inven­to­ri­er la faune asso­ciée. Cela pren­dra encore plusieurs années pour les nod­ules. Pour les encroûte­ments et les amas sul­furés, les con­nais­sances sur la ressource sont encore plus succinctes. 

Est-ce qu’on est déjà techniquement capable d’exploiter les minerais des grands fonds marins ?

Non, pas encore. C’est l’un des autres enjeux : les indus­triels sont focal­isés sur les nod­ules polymé­talliques dans l’espoir de dévelop­per une tech­nolo­gie d’extraction qui leur per­me­t­trait de se posi­tion­ner sur le marché des engins si celui-ci venait à s’ouvrir. 

L’année dernière, l’entreprise belge Glob­al Sea Min­er­al Resources a testé un pro­to­type d’extracteur de nod­ules à l’échelle 1/4. Mais ils sont encore loin d’avoir un sys­tème d’exploitation com­plet : reste à dévelop­per le ris­er (tube qui per­met de remon­ter les matéri­aux du fond de la mer) et le navire sup­port opérant le col­lecteur, récupérant les min­erais et gérant les déchets. Tout cela est adap­té à des pro­fondeurs de 5 000 mètres, alors que cer­taines tech­nolo­gies bien maitrisées par les pétroliers ne dépassent pas 2 000 mètres. Aucun sys­tème com­plet ni à l’échelle n’a jamais été testé en con­di­tions réelles. Pour les encroûte­ments, il s’agira de récupér­er une plaque assez fine sur un sub­strat dur et il n’existe pas de pro­to­type à ce jour. 

1https://​www​.geo​-ocean​.fr/​E​x​p​e​r​t​i​s​e​/​A​p​p​u​i​-​a​-​l​a​-​P​u​i​s​s​a​n​c​e​-​P​u​b​l​i​q​u​e​/​L​e​s​-​r​e​s​s​o​u​r​c​e​s​-​m​i​n​e​r​a​l​e​s​-​g​r​a​n​d​-fond
2https://​www​.usgs​.gov/​c​e​n​t​e​r​s​/​n​a​t​i​o​n​a​l​-​m​i​n​e​r​a​l​s​-​i​n​f​o​r​m​a​t​i​o​n​-​c​e​n​t​e​r​/​m​i​n​e​r​a​l​-​c​o​m​m​o​d​i​t​y​-​s​u​m​m​aries
3 Regroupant la Bul­gar­ie, la République Tchèque, la Pologne, la Slo­vaquie, Cuba et la Russie.

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