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La guerre technologique entre la Chine et les USA

Les semi-conducteurs au cœur de la rivalité Chine-USA

Clément Boulle, Directeur exécutif de Polytechnique Insights
Le 23 mars 2022 |
5 min. de lecture
Mathieu Duchatel
Mathieu Duchâtel
directeur du programme Asie de l'Institut Montaigne
En bref
  • Le marché des semi-conducteurs pèse près de 600 milliards de dollars et est primordial pour des secteurs comme l’automobile ou l’informatique.
  • Il y a deux facteurs à la crise des semi-conducteurs : la rupture de l’approvisionnement consécutif à la crise du Covid et la compétition sino-américaine qui a amené des acteurs chinois menacés de restrictions d’accès par les États-Unis.
  • On observe un mouvement de soutien à la production nationale pour atténuer l’interdépendance. Trump a fait un pont d’or au taïwanais TSMC, qui construit actuellement une gigantesque usine en Arizona.
  • La Chine a des ambitions de leadership, mais elle en est très loin. Elle a fixé un objectif de production de 75% de ses besoins en semi-conducteurs pour 2025 et elle est actuellement à 15%.

En quoi les semi-con­duc­teurs sont aujourd’hui essentiels ?

Math­ieu Duchâ­tel. Ils sont essen­tiels au fonc­tion­nement de l’industrie auto­mo­bile, actuelle­ment en pleine trans­for­ma­tion, et de l’informatique, qui absorbe le haut de gamme à forte valeur ajoutée, des processeurs et des puces mémoire dans sa pro­duc­tion de smart­phones, d’ordinateurs, de cen­tres de ges­tion de don­nées. Enfin, les semi-con­duc­teurs sont essen­tiels à l’industrie de défense, ce qui donne un car­ac­tère stratégique à leur con­cep­tion et à leur pro­duc­tion. Ils sont présents des mis­siles jusqu’au domaine de la cyber-sécu­rité devenu majeur dans la con­duite des opéra­tions militaires.

C’est un marché estimé à 600 mil­liards de dol­lars. Les prin­ci­paux pôles de con­cep­tion et de pro­duc­tion sont les USA, la Chine, l’Europe, la Corée du sud, Taïwan et le Japon. Les prin­ci­pales entre­pris­es sont améri­caines pour la con­cep­tion (Broad­com, Qual­comm, Nvidia, Apple) et asi­a­tiques pour la pro­duc­tion (TSMC, Sam­sung, SMIC). On dis­tingue les tech­nolo­gies les plus avancées (gravure dans des nœuds égaux ou inférieurs à 7 nanomètres, aujourd’hui 5, demain 3 et puis 2), qui répon­dent surtout aux besoins haut de gamme des tech­nolo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion du reste du marché (14, 28, 55 nanomètres et au-delà), qui suf­fit ample­ment aux indus­tries auto­mo­biles et d’armement.

Quelles sont les raisons de la pénurie actuelle ?

Il y a deux fac­teurs : la rup­ture de l’approvisionnement con­sé­cu­tif à la crise du Covid et la com­péti­tion sino-améri­caine qui a amené des acteurs chi­nois men­acés de restric­tions d’accès par les États-Unis à con­stituer des stocks. Con­cer­nant la crise du Covid, le phénomène a com­mencé fin 2020 dans l’in­dus­trie auto­mo­bile. Ces dif­fi­cultés pour­raient dur­er au moins jusqu’à la mi-2022. Il faut savoir que l’industrie auto­mo­bile con­somme pour 110 mil­liards de dol­lars de semi-con­duc­teurs par an. Mais ce phénomène de pénurie s’est éten­du dans une cer­taine mesure au secteur des smart­phones et des objets connectés.

Enfin, con­cer­nant la con­sti­tu­tion de stocks, on peut citer Huawei qui a acheté pour 13 mil­liards de dol­lars de semi-con­duc­teurs en 2019. Les com­porte­ments d’autres acteurs chi­nois men­acés par les États-Unis dès 2019/2020, comme ZTE ou SMIC, ne sont pas chiffrés mais il est logique qu’ils aient aus­si cher­ché à con­stituer des stocks pour anticiper de pos­si­bles restric­tions, qui ont vrai­ment été adop­tées par le départe­ment du Com­merce au deux­ième semes­tre 2020.

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On observe une dépen­dance à quelques pays. Quels sont les risques stratégiques et les répons­es apportées par les états ?

On observe un mou­ve­ment de sou­tien à la pro­duc­tion nationale pour atténuer l’interdépendance. Trump a fait un pont d’or au taïwanais TSMC, qui con­stru­it actuelle­ment une gigan­tesque usine en Ari­zona. Biden demande 50 mil­liards de dol­lars au Con­grès pour soutenir cette indus­trie. Les Européens ont pris con­science de l’importance de ren­forcer la pro­duc­tion sur leur sol et vont pass­er à l’action. Mais c’est surtout vis-à-vis de la Chine que les États et les entre­pris­es se positionnent.

Elle est, une fois n’est pas cou­tume, la grande per­dante car elle souf­fre d’un retard tech­nologique vis-à-vis des États-Unis, de la Corée et de Taïwan, qui sont alliés pour main­tenir la Chine à deux ou trois généra­tions en arrière. Pour expli­quer cela, il faut com­pren­dre la chaîne de valeur des semi-con­duc­teurs. Leur con­cep­tion représente 47% des ventes du secteur, et elle est dom­inée par la Sil­i­con Val­ley, de Nvidia à Qual­comm. Il y a un duo­p­o­le TSMC à Taïwan et Sam­sung en Corée du Sud pour les procédés de fonderie les plus avancés. Fer­mer l’accès des entre­pris­es chi­nois­es aux lead­ers du secteur les coupes de cer­tains seg­ments de la com­péti­tion mon­di­ale. Par exem­ple, sans accès à TSMC, Huawei ne peut plus fab­ri­quer de smart­phones haut de gamme.

Mais la Chine con­serve des atouts liés à son échelle. TSMC a coupé ses liens avec Huawei, pro­duit le haut de gamme pour Apple à For­mose mais investit égale­ment pour l’extension de sa fonderie de Nankin (Chine) pour répon­dre aux besoins de l’industrie automobile.

Et sur le plan géopoli­tique, TSMC est un atout pour Taïwan. On imag­ine mal un gou­verne­ment améri­cain ris­quer la perte de l’accès aux tech­nolo­gies TSMC les plus avancées dans le cas d’un scé­nario cat­a­stro­phe qui ver­rait la Chine envahir Taïwan. 

La Chine ne peut-elle pas rat­trap­er son retard ?

La Chine a des ambi­tions de lead­er­ship, mais elle en est très loin. Elle a fixé un objec­tif de pro­duc­tion de 75% de ses besoins en semi-con­duc­teurs pour 2025 et elle est actuelle­ment à 15%. Elle n’a plus accès aux tech­nolo­gies étrangères et fait face à des goulets d’é­tran­gle­ment sur les EDA (Automa­ti­sa­tion de la con­cep­tion élec­tron­ique) et la lith­o­gra­phie extrême ultra­vi­o­let. Cette deux­ième tech­nolo­gie, qui per­met de franchir le seuil des 7 nanomètres, est le mono­pole d’ASML, une entre­prise néer­landaise, deux­ième cap­i­tal­i­sa­tion européenne. Il faut com­pren­dre que le développe­ment des semi-con­duc­teurs est une course à la minia­tur­i­sa­tion. Elle suit la loi de Moore et le rat­tra­page tech­nologique est très dif­fi­cile quand on est exclu du cer­cle vertueux d’in­no­va­tion qui existe entre les con­cep­teurs, les pro­duc­teurs et leurs dif­férents four­nisseurs et que l’on a accu­mulé du retard. La Chine souhaite acheter cette tech­nolo­gie, mais elle en est aujourd’hui totale­ment privée.

Quelle est la stratégie des européens ?

Les Européens dis­posent de capac­ités de pro­duc­tion, d’un leader mon­di­al, ASML, et con­cen­trent leurs forces sur la R&D. 20% du plan de relance européen est dédié à la trans­for­ma­tion numérique, et un nou­veau Impor­tant Pro­jet d’Intérêt Com­mun Européen pour la nanoélec­tron­ique doit être prochaine­ment validé par la Com­mis­sion européenne. Pour autant, des désac­cords per­sis­tent, notam­ment sur les choix de seg­ment de marché. Thier­ry Bre­ton, Com­mis­saire européen pour le marché intérieur, estime que l’Europe doit pro­duire du très haut de gamme, alors que les indus­triels ne voient pas com­ment con­cur­rencer TSMC sur ce marché où ils ont beau­coup d’avance.

Quels rôles jouent des pays comme la Corée et le Japon dans la géopoli­tique des semi-conducteurs ?

Cha­cun pos­sède des points forts. La Corée du Sud, avec Sam­sung, est dans le duo­p­o­le de la gravure haut de gamme et peut donc accom­pa­g­n­er les grands lead­ers de l’informatique dans leur pro­duc­tion de pro­duits inno­vants. Bien sûr, la branche nanoélec­tron­ique de Sam­sung nour­rit son offre aux con­som­ma­teurs. Le Japon est un géant des matéri­aux avec des com­pag­nies comme Shin Etsu ou JSR qui domi­nent cer­tains seg­ments du secteur. Ils ont des straté­gies dif­férentes : la Corée du Sud cherche l’équilibre entre la Chine et les États-Unis tout en étant con­trainte d’accepter les restric­tions aux trans­ferts de tech­nolo­gie mis­es en place à Wash­ing­ton, le Japon joue beau­coup plus franche­ment la carte de l’alliance, et se tourne vers l’Europe pour con­stru­ire l’avenir.

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