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Quel avenir pour la rénovation thermique des bâtiments ?

Pourquoi la rénovation thermique ne décolle pas

Andreas Rüdinger, chercheur associé à l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI)
Le 27 septembre 2022 |
5 min. de lecture
Andreas Rudinger
Andreas Rüdinger
chercheur associé à l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI)
En bref
  • Le secteur du bâtiment est responsable de 28 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), dont deux tiers ne concernent que les émissions indirectes (chauffage, éclairage, ventilation etc.).
  • Trop peu exploitée pour le moment, il est pourtant crucial d’opérer la rénovation énergétique afin de réduire les émissions indirectes de GES.
  • Si la rénovation énergétique est si lente à mettre en place et à massifier, c’est parce qu’elle manque à la fois d’une vraie prise en charge publique et d’un soutien de la part des immobiliers.
  • Nous sommes sur une trajectoire encourageante mais qui ne permet pas encore de remplir les objectifs long terme : la rénovation énergétique doit donc véritablement s’imposer comme nouvelle norme sociale.

Le secteur du bâti­ment (rési­den­tiel et non-rési­den­tiel) est respon­s­able de 28 % des émis­sions de gaz à effet de serre (GES) mon­di­ales1. La France se situe dans cette moyenne, tan­dis que le secteur compte pour 36 % des émis­sions de l’Union européenne2. Son prin­ci­pal levi­er d’atténuation ? Les émis­sions indi­rectes. Chauffage, eau chaude san­i­taire, éclairage, ven­ti­la­tion ou encore élec­tromé­nag­er représen­tent en effet les deux tiers des émis­sions du secteur. D’après l’Ademe, en France, la con­som­ma­tion du secteur a aug­men­té de 20% en 30 ans3.

Cer­tains pays se fix­ent alors désor­mais des objec­tifs. Les régle­men­ta­tions ther­miques enca­drent la con­struc­tion des bâti­ments neufs (la RE2020 est applic­a­ble en France). De nom­breux plans de réno­va­tions – reposant sur des aides finan­cières – visent à amélior­er l’isolation ther­mique et le mode de chauffage des bâtis exis­tants. La réno­va­tion énergé­tique est une voie d’atténuation cru­ciale : le taux de renou­velle­ment des bâti­ments ne s’élève qu’à 1,1 % en France mét­ro­pol­i­taine4. Pour­tant, la réno­va­tion énergé­tique peine à accélér­er : les émis­sions de CO2 liées à la con­som­ma­tion d’énergie des loge­ments ont bais­sé de 2,5 % par an en moyenne entre 2012 et 20195, et 17 % du parc immo­bili­er français (soit 5,2 mil­lions de loge­ments) sont des pas­soires énergé­tiques6.

Com­ment accélér­er la réno­va­tion énergé­tique en France ? Un rap­port pub­lié en mai 2022 par l’Iddri et l’Ademe7 s’appuie sur des travaux menés par 23 experts, que nous détaille l’un de ses auteurs.

Comment s’explique cette lente mise en œuvre de la rénovation énergétique ?

Tout le monde s’accorde sur l’importance de la réno­va­tion énergé­tique, mais elle n’avance pas, nous sommes face à une véri­ta­ble cacoph­o­nie ! Dans ce tra­vail réal­isé en 2020, nous avons iden­ti­fié dif­férents points de blocage que nous nom­mons con­tro­ver­s­es. La plus impor­tante d’entre elles est la dif­fi­culté à impos­er la réno­va­tion per­for­mante comme une nou­velle norme sociale.

Du côté des ménages, il n’existe par exem­ple aucun label qui per­me­tte de com­par­er les biens sur le marché immo­bili­er. Le diag­nos­tic de per­for­mance énergé­tique four­nit des indi­ca­teurs utiles, mais la per­for­mance énergé­tique est loin d’être une pri­or­ité sur le marché immo­bili­er. Les pro­fes­sion­nels de l’immobilier doivent aus­si recon­naitre cette nou­velle norme. Or les fédéra­tions pro­fes­sion­nelles restent très frileuses face aux oblig­a­tions de réno­va­tion énergé­tique et aux con­traintes qui pour­raient en découler, et s’intéressent en général moins à la réno­va­tion énergé­tique qu’à la con­struc­tion neuve.

Les politiques publiques n’ont-elles pas un rôle à jouer pour développer cette nouvelle norme sociale ?

Bien sûr. Nous con­sta­tons depuis plus de 10 ans qu’il n’existe aucune feuille de route stratégique. Chaque année, les sub­ven­tions sont fléchées dif­férem­ment : par­fois vers cer­tains équipements (comme le rem­place­ment des chaudières), puis moins vers d’autres (comme les parois vit­rées), puis vers des bou­quets de travaux, etc. Une étude a mon­tré en 2017 l’intérêt de met­tre en place une aide unique indexée sur la per­for­mance atteinte après travaux. La loi Énergie et Cli­mat 2019 oblige l’État à annex­er à la prochaine Pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’énergie une feuille de route sur la réno­va­tion énergé­tique, mais celle-ci tarde à voir le jour.

Cette absence de pilotage est l’un des obsta­cles majeurs à la mas­si­fi­ca­tion de la réno­va­tion. Il est impos­si­ble de réalis­er une trans­for­ma­tion struc­turelle du secteur, les entre­pris­es ne peu­vent pas inve­stir sans une vision à moyen terme. Cette trans­for­ma­tion est pour­tant néces­saire car l’offre n’est pas suffisante.

Est-ce un manque de vision stratégique ou un problème économique ?

L’absence de feuille de route stratégique génère des obsta­cles économiques, c’est la deux­ième con­tro­verse que nous iden­ti­fions. L’analyse économique de la réno­va­tion souf­fre d’un manque d’harmonisation. Com­ment définir le périmètre du coût de la réno­va­tion énergé­tique ? Pour cer­tains, il représente la total­ité des travaux. Cela com­prend alors des travaux qui ne sont pas liés à la per­for­mance énergé­tique car la plu­part des ménages réalisent une réno­va­tion plus glob­ale. D’autres analy­ses se focalisent sur le sur­coût directe­ment imputable à l’amélioration de la per­for­mance énergé­tique, en exclu­ant les travaux d’entretien et de répa­ra­tion (le rem­place­ment d’une chaudière en fin de vie n’est alors pas inté­gré au coût de la réno­va­tion énergétique). 

La même ques­tion se pose pour les béné­fices : faut-il con­sid­ér­er la réduc­tion de fac­ture énergé­tique unique­ment, ou inclure les béné­fices liés au con­fort et à la par­tic­i­pa­tion à la tran­si­tion écologique ? Pour dépass­er cette con­tro­verse, nous pro­posons d’évaluer non pas la rentabil­ité mais la via­bil­ité économique. Elle intè­gre dif­férents critères : les béné­fices pour les ménages au sens large, la solv­abil­ité finan­cière et la réduc­tion des risques liés à une réno­va­tion per­for­mante. Ce dernier point reste cru­cial pour con­stru­ire une con­fi­ance col­lec­tive autour de la réno­va­tion « basse consommation ». 

La réno­va­tion per­for­mante ne peut pas être une sim­ple réno­va­tion aboutis­sant à une meilleure classe de per­for­mance que F.

Enfin, il ne faut pas oubli­er qu’en s’attaquant aux pas­soires ther­miques, habitées par des ménages mod­estes, on œuvre égale­ment à une tran­si­tion juste. Une grande par­tie du mon­tant de la réno­va­tion est pris en charge par les finances publiques, mais le reste à charge ou le pré-finance­ment peu­vent être de vrais freins. Face à la crise de l’énergie, le gou­verne­ment a engagé 30 mil­liards d’euros pour blo­quer les prix et aides au paiement des fac­tures : un tel investisse­ment pour la réno­va­tion énergé­tique aurait été emblé­ma­tique, mais rien n’a été fait.

Face à ces constats, comment accélérer la rénovation énergétique ?

Il faut faire de la réno­va­tion per­for­mante une nou­velle norme sociale. La déf­i­ni­tion d’une réno­va­tion per­for­mante doit pour cela être clar­i­fiée et devenir vis­i­ble pour les acteurs de marché, comme en Alle­magne : elle ne peut pas être une sim­ple réno­va­tion aboutis­sant à une meilleure classe de per­for­mance que F. Une réno­va­tion per­for­mante est une réno­va­tion glob­ale qui per­met d’atteindre le niveau « bâti­ment basse consommation ».

Pour œuvr­er dans cette direc­tion, les sub­ven­tions doivent être assor­ties d’une oblig­a­tion de per­for­mance en fin de travaux. Aujourd’hui, il n’existe aucun suivi des retombées des aides, et les travaux uniques sont, au pro­ra­ta, plus soutenus. Ce sys­tème est non seule­ment préju­di­cia­ble à la per­for­mance énergé­tique mais égale­ment au suivi des poli­tiques. Nous n’avons pas de vision claire de l’efficacité réelle des réno­va­tions entreprises.

Pourtant les émissions de GES du secteur du bâtiment baissent. En 2021, elles se maintiennent même sous le plafond des émissions fixées par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) : elles s’élèvent à 74,9 Mt de CO2 équivalent, contre un seuil de 77 Mt CO2e8!

Nous sommes effec­tive­ment sur une tra­jec­toire encour­ageante. Lorsque nous avons débuté notre étude il y a 3 ans, le secteur du bâti­ment était le plus en retard sur son bud­get car­bone. Il faut tout de même soulign­er que les bons résul­tats actuels s’expliquent en par­tie par deux change­ments : le bud­get car­bone du secteur a été relevé dans la révi­sion de la SNBC en 2020 (ndlr : il est passé de 65,4 à 80 Mt CO2e pour 2020) ; et la méth­ode de cal­cul des émis­sions de GES a été mod­i­fiée, repor­tant une par­tie des émis­sions vers le secteur de l’énergie.

Cette ten­dance à la baisse s’explique par des gains court terme, comme le rem­place­ment mas­sif des chaudières. Mais ces gains ne per­me­t­tront pas de rem­plir les objec­tifs long terme, notam­ment celui d’atteindre un niveau de per­for­mance « bâti­ment basse con­som­ma­tion » pour l’ensemble du parc en moyenne d’ici 2050.

Anaïs Marechal
1Glob­al alliance for build­ings and con­struc­tion, 2018 Glob­al Sta­tus Report : towards a zero emis­sion, effi­cient and resilient buil- dings and con­struc­tion sec­tor, Unit­ed Nation Envi­ron­ment (2018), ISBN 978–92-807‑3729- 5.
2Haut Con­seil pour le Cli­mat, Rénover mieux : leçons d’Europe, novem­bre 2020.
3Site inter­net https://expertises.ademe.fr/batiment/quoi-parle‑t con­sulté le 29/08/2022
4D’après l’Insee, don­nées disponibles à https://​www​.insee​.fr/​f​r​/​s​t​a​t​i​s​t​i​q​u​e​s​/​3​6​2​0​8​9​4​#​c​o​n​s​ulter
5Obser­va­toire nation­al de la réno­va­tion énergé­tique, Tableau de suivi de la réno­va­tion énergé­tique dans le secteur rési­den­tiel, mis à jour le 29 juil­let 2022, Ser­vice des don­nées et études sta­tis­tiques
6Obser­va­toire nation­al de la réno­va­tion énergé­tique, Le parc de loge­ments par classe de per­for­mance énergé­tique au 1er jan­vi­er 2022, juil­let 2022
7Rüdinger, A., Gas­pard, A., (2022). Réus­sir le pari de la réno­va­tion énergé­tique. Rap­port de la plate­forme d’experts pour la réno­va­tion énergé­tique des loge­ments en France. Étude N°05/22, Iddri, Paris, France, 60 p.
8Site inter­net con­sulté le 30/09/22 : https://​www​.obser​va​toire​-cli​mat​-energie​.fr/​c​l​i​m​a​t​/​b​a​t​i​m​ents/

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