Le secteur du bâtiment (résidentiel et non-résidentiel) est responsable de 28 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales1. La France se situe dans cette moyenne, tandis que le secteur compte pour 36 % des émissions de l’Union européenne2. Son principal levier d’atténuation ? Les émissions indirectes. Chauffage, eau chaude sanitaire, éclairage, ventilation ou encore électroménager représentent en effet les deux tiers des émissions du secteur. D’après l’Ademe, en France, la consommation du secteur a augmenté de 20% en 30 ans3.
Certains pays se fixent alors désormais des objectifs. Les réglementations thermiques encadrent la construction des bâtiments neufs (la RE2020 est applicable en France). De nombreux plans de rénovations – reposant sur des aides financières – visent à améliorer l’isolation thermique et le mode de chauffage des bâtis existants. La rénovation énergétique est une voie d’atténuation cruciale : le taux de renouvellement des bâtiments ne s’élève qu’à 1,1 % en France métropolitaine4. Pourtant, la rénovation énergétique peine à accélérer : les émissions de CO2 liées à la consommation d’énergie des logements ont baissé de 2,5 % par an en moyenne entre 2012 et 20195, et 17 % du parc immobilier français (soit 5,2 millions de logements) sont des passoires énergétiques6.
Comment accélérer la rénovation énergétique en France ? Un rapport publié en mai 2022 par l’Iddri et l’Ademe7 s’appuie sur des travaux menés par 23 experts, que nous détaille l’un de ses auteurs.
Comment s’explique cette lente mise en œuvre de la rénovation énergétique ?
Tout le monde s’accorde sur l’importance de la rénovation énergétique, mais elle n’avance pas, nous sommes face à une véritable cacophonie ! Dans ce travail réalisé en 2020, nous avons identifié différents points de blocage que nous nommons controverses. La plus importante d’entre elles est la difficulté à imposer la rénovation performante comme une nouvelle norme sociale.
Du côté des ménages, il n’existe par exemple aucun label qui permette de comparer les biens sur le marché immobilier. Le diagnostic de performance énergétique fournit des indicateurs utiles, mais la performance énergétique est loin d’être une priorité sur le marché immobilier. Les professionnels de l’immobilier doivent aussi reconnaitre cette nouvelle norme. Or les fédérations professionnelles restent très frileuses face aux obligations de rénovation énergétique et aux contraintes qui pourraient en découler, et s’intéressent en général moins à la rénovation énergétique qu’à la construction neuve.
Les politiques publiques n’ont-elles pas un rôle à jouer pour développer cette nouvelle norme sociale ?
Bien sûr. Nous constatons depuis plus de 10 ans qu’il n’existe aucune feuille de route stratégique. Chaque année, les subventions sont fléchées différemment : parfois vers certains équipements (comme le remplacement des chaudières), puis moins vers d’autres (comme les parois vitrées), puis vers des bouquets de travaux, etc. Une étude a montré en 2017 l’intérêt de mettre en place une aide unique indexée sur la performance atteinte après travaux. La loi Énergie et Climat 2019 oblige l’État à annexer à la prochaine Programmation pluriannuelle de l’énergie une feuille de route sur la rénovation énergétique, mais celle-ci tarde à voir le jour.
Cette absence de pilotage est l’un des obstacles majeurs à la massification de la rénovation. Il est impossible de réaliser une transformation structurelle du secteur, les entreprises ne peuvent pas investir sans une vision à moyen terme. Cette transformation est pourtant nécessaire car l’offre n’est pas suffisante.
Est-ce un manque de vision stratégique ou un problème économique ?
L’absence de feuille de route stratégique génère des obstacles économiques, c’est la deuxième controverse que nous identifions. L’analyse économique de la rénovation souffre d’un manque d’harmonisation. Comment définir le périmètre du coût de la rénovation énergétique ? Pour certains, il représente la totalité des travaux. Cela comprend alors des travaux qui ne sont pas liés à la performance énergétique car la plupart des ménages réalisent une rénovation plus globale. D’autres analyses se focalisent sur le surcoût directement imputable à l’amélioration de la performance énergétique, en excluant les travaux d’entretien et de réparation (le remplacement d’une chaudière en fin de vie n’est alors pas intégré au coût de la rénovation énergétique).
La même question se pose pour les bénéfices : faut-il considérer la réduction de facture énergétique uniquement, ou inclure les bénéfices liés au confort et à la participation à la transition écologique ? Pour dépasser cette controverse, nous proposons d’évaluer non pas la rentabilité mais la viabilité économique. Elle intègre différents critères : les bénéfices pour les ménages au sens large, la solvabilité financière et la réduction des risques liés à une rénovation performante. Ce dernier point reste crucial pour construire une confiance collective autour de la rénovation « basse consommation ».
La rénovation performante ne peut pas être une simple rénovation aboutissant à une meilleure classe de performance que F.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’en s’attaquant aux passoires thermiques, habitées par des ménages modestes, on œuvre également à une transition juste. Une grande partie du montant de la rénovation est pris en charge par les finances publiques, mais le reste à charge ou le pré-financement peuvent être de vrais freins. Face à la crise de l’énergie, le gouvernement a engagé 30 milliards d’euros pour bloquer les prix et aides au paiement des factures : un tel investissement pour la rénovation énergétique aurait été emblématique, mais rien n’a été fait.
Face à ces constats, comment accélérer la rénovation énergétique ?
Il faut faire de la rénovation performante une nouvelle norme sociale. La définition d’une rénovation performante doit pour cela être clarifiée et devenir visible pour les acteurs de marché, comme en Allemagne : elle ne peut pas être une simple rénovation aboutissant à une meilleure classe de performance que F. Une rénovation performante est une rénovation globale qui permet d’atteindre le niveau « bâtiment basse consommation ».
Pour œuvrer dans cette direction, les subventions doivent être assorties d’une obligation de performance en fin de travaux. Aujourd’hui, il n’existe aucun suivi des retombées des aides, et les travaux uniques sont, au prorata, plus soutenus. Ce système est non seulement préjudiciable à la performance énergétique mais également au suivi des politiques. Nous n’avons pas de vision claire de l’efficacité réelle des rénovations entreprises.
Pourtant les émissions de GES du secteur du bâtiment baissent. En 2021, elles se maintiennent même sous le plafond des émissions fixées par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) : elles s’élèvent à 74,9 Mt de CO2 équivalent, contre un seuil de 77 Mt CO2e8!
Nous sommes effectivement sur une trajectoire encourageante. Lorsque nous avons débuté notre étude il y a 3 ans, le secteur du bâtiment était le plus en retard sur son budget carbone. Il faut tout de même souligner que les bons résultats actuels s’expliquent en partie par deux changements : le budget carbone du secteur a été relevé dans la révision de la SNBC en 2020 (ndlr : il est passé de 65,4 à 80 Mt CO2e pour 2020) ; et la méthode de calcul des émissions de GES a été modifiée, reportant une partie des émissions vers le secteur de l’énergie.
Cette tendance à la baisse s’explique par des gains court terme, comme le remplacement massif des chaudières. Mais ces gains ne permettront pas de remplir les objectifs long terme, notamment celui d’atteindre un niveau de performance « bâtiment basse consommation » pour l’ensemble du parc en moyenne d’ici 2050.