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Planets of the solar system against the background of a spiral galaxy in space.
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La plus grande caméra numérique jamais construite apportera un nouvel éclairage sur l’univers

Johan Bregeon
Johan Bregeon
chargé de recherche en cosmologie observationnelle au Laboratoire de physique subatomique et cosmologie de Grenoble
En bref
  • Après 20 ans de développement, la caméra LSST est finalisée.
  • Grâce à ses technologies et à l’expertise de différents laboratoires, elle permettra d’observer l’univers dans des détails sans précédent.
  • La caméra de 3 200 mégapixels offrira une nouvelle compréhension de l’univers en étudiant la matière noire et l’énergie noire.
  • L’efficacité de LSST est garantie par les technologies innovantes qui la composent : six filtres, changeur de filtres, électronique de lecture rapide, les détecteurs CCD…
  • L'optimisation de l'électronique de lecture permettra à la caméra de traiter les données de manière efficace, ouvrant la voie à des découvertes majeures en astronomie.
  • Alors que certains aspects sont encore en phase de mise en service, les premières images sont attendues au printemps 2025.

Après plus de 20 ans de tra­vail, la caméra LSST (Lega­cy Sur­vey of Space and Time) est main­tenant ter­minée. Elle est prête à être instal­lée sur son téle­scope, à 2 700 mètres d’altitude au som­met du Cer­ro Pachón dans les Andes chili­ennes, l’un des meilleurs sites astronomiques au monde qui abrite déjà de nom­breux instru­ments tels que le VLT1 ou ALMA2.

La caméra de 3 200 mégapix­els pour­ra bal­ay­er l’ensemble de la voûte céleste en seule­ment trois jours, en prenant 800 clichés par nuit, cha­cun cou­vrant une sur­face équiv­a­lente à 40 fois celle de La Lune. Elle pour­ra ain­si observ­er l’u­nivers dans des détails sans précé­dent. Mais pas seule­ment : elle con­tribuera égale­ment à faire pro­gress­er notre com­préhen­sion de l’én­ergie noire – respon­s­able de l’ex­pan­sion accélérée de l’u­nivers. Pour ce faire, elle recherchera des signes de ce que l’on appelle « l’ef­fet de lentille grav­i­ta­tion­nelle faible », dans lequel les amas de galax­ies très mas­sifs courbent sub­tile­ment les tra­jec­toires de la lumière provenant des galax­ies d’ar­rière-plan avant qu’elle ne nous parvi­enne. Ce proces­sus révèle des infor­ma­tions impor­tantes sur la dis­tri­b­u­tion de la masse dans l’univers au fil du temps.

La caméra recherchera aus­si la matière noire, cette sub­stance mys­térieuse dont on estime qu’elle con­stitue 85 % de toute la matière de l’u­nivers, en obser­vant cette fois les sché­mas de dis­tri­b­u­tion des galax­ies et leur évo­lu­tion dans le temps.

La caméra a été dévelop­pée et con­stru­ite par des chercheurs et des ingénieurs du SLAC Nation­al Accel­er­a­tor Lab­o­ra­to­ry aux États-Unis. Les lab­o­ra­toires parte­naires ayant con­tribué au pro­jet sont : le Brookhaven Nation­al Lab­o­ra­to­ry aux États-Unis, qui a con­stru­it le réseau de cap­teurs numériques de la caméra ; le Lawrence Liv­er­more Nation­al Lab­o­ra­to­ry, égale­ment aux États-Unis, en charge des objec­tifs de la caméra ; et l’In­sti­tut nation­al de physique nucléaire et de physique des par­tic­ules du Cen­tre nation­al de la recherche sci­en­tifique (IN2P3/CNRS), un organ­isme français qui a par­ticipé à la con­cep­tion des cap­teurs et de l’élec­tron­ique, et qui a con­stru­it le sys­tème de changeur de fil­tres de la caméra. Ce sys­tème per­me­t­tra à la caméra de réalis­er des images sur six ban­des de lumière dis­tinctes, de l’ul­tra­vi­o­let à l’infrarouge.

« La caméra fait à peu près la taille d’une voiture », explique Johan Bre­geon du Lab­o­ra­toire de physique sub­atomique et de cos­molo­gie (LPSC)3 de l’IN2P3/CNRS, qui tra­vaille sur le pro­jet depuis 2019. Elle pèse env­i­ron 3 000 kg et pos­sède trois lentilles. La lentille frontale mesure près de 160 cm, ce qui est con­sid­éré comme la plus grande lentille optique haute per­for­mance jamais fabriquée.

Un appareil véritablement révolutionnaire

« Le caméra LSST est véri­ta­ble­ment révo­lu­tion­naire et ne se con­tentera pas de pren­dre de jolies pho­tos. C’est un instru­ment capa­ble de détecter la lumière et de la traiter de la manière la plus fidèle pos­si­ble. »

Pho­togra­phie de face de la caméra LSST, mon­trant le plan focal de 3 200 mégapix­els à l’in­térieur. Crédit : Jacque­line Ram­sey­er Orrell/SLAC Nation­al Accel­er­a­tor Laboratory

Le sys­tème de trois lentilles per­met de cor­riger le champ de vision afin d’ob­serv­er une plus grande par­tie du ciel sans agrandir davan­tage la caméra. Au plan focal de ces lentilles se trou­vent les détecteurs CCD, les com­posants qui col­lectent la lumière. Un autre élé­ment impor­tant de l’in­stru­ment est le changeur de filtres.

« Pour faire de l’as­tronomie, et en par­ti­c­uli­er de la cos­molo­gie, il faut observ­er le ciel dans plusieurs ban­des optiques (ou longueurs d’onde) jusqu’à la par­tie proche de l’in­frarouge du spec­tre élec­tro­mag­né­tique. Pour ce faire, nous util­isons des fil­tres, c’est-à-dire des morceaux de verre qui lais­sent pass­er une cer­taine bande de fréquences. »

Six filtres et un système mécanique complexe

L’IN2P3/CNRS a con­tribué au sys­tème de changeur de fil­tres, com­posé d’un car­rousel con­tenant six fil­tres et un sys­tème mécanique com­plexe per­me­t­tant de les chang­er en moins de deux min­utes. « Les fil­tres sont des dis­ques de 75 cm de diamètre. Le plus léger pèse 25 kg et le plus lourd 38 kg et nous devons pou­voir les posi­tion­ner avec une pré­ci­sion de quelques cen­taines de microns. Ce qu’il faut aus­si com­pren­dre, c’est qu’un fil­tre sera changé très régulière­ment pen­dant les obser­va­tions, à savoir plusieurs fois par nuit. Ain­si, au cours des 10 années de fonc­tion­nement prévues pour le téle­scope, le changeur de fil­tres devra typ­ique­ment fonc­tion­ner sur une cen­taine de mil­liers de cycles. D’un point de vue mécanique, c’était dif­fi­cile à met­tre en œuvre, car il fal­lait pren­dre en compte des prob­lèmes d’usure. »

Sché­mas des prin­ci­paux com­posants de la caméra LSST. Crédit : Chris Smith/SLAC Nation­al Accel­er­a­tor Laboratory

Le sys­tème de charge­ment des fil­tres est asso­cié à ces fil­tres. « Ce sys­tème nous per­met de pren­dre un fil­tre d’une boîte et de l’in­sér­er dans le car­rousel de la cham­bre de fil­tra­tion après avoir enlevé le fil­tre exis­tant. Ce chargeur a été essen­tielle­ment conçu, testé, con­stru­it et validé par les équipes du LPSC, où je tra­vaille. »

Une lecture rapide des données des détecteurs CCD

Le défi n’é­tait pas seule­ment de con­stru­ire la plus grande caméra numérique au monde pour l’as­tronomie, mais aus­si de pou­voir lire rapi­de­ment les don­nées des détecteurs CCD. Actuelle­ment, pour les caméras exis­tantes, qui fonc­tion­nent plus ou moins de la même manière, la lec­ture de quelques cen­taines de mil­lions de pix­els prend env­i­ron 30 sec­on­des. « Pour le LSST, nous voulions pou­voir effectuer plus de 1500 expo­si­tions par nuit, donc 30 sec­on­des, c’é­tait trop long. » En con­séquence, l’élec­tron­ique de lec­ture a fait l’ob­jet d’un impor­tant tra­vail d’op­ti­mi­sa­tion et de con­cep­tion, afin de garan­tir son effi­cac­ité et sa capac­ité à lire les 3 mil­liards de pix­els en env­i­ron deux sec­on­des seulement.

« Out­re l’amélio­ra­tion de l’élec­tron­ique de lec­ture, nous avons égale­ment dû appren­dre beau­coup de choses sur le fonc­tion­nement des détecteurs CCD, afin de nous assur­er qu’une fois les don­nées brutes émis­es par la caméra, les images pro­duites soient aus­si fidèles que pos­si­ble à la por­tion du ciel que nous obser­vons. »

Plusieurs lab­o­ra­toires tra­vail­lent sur l’é­talon­nage et la réduc­tion des images brutes afin d’obtenir les meilleures images pos­si­bles. Cette par­tie de la caméra est encore en phase de mise en ser­vice. « Je suis actuelle­ment en train d’analyser une par­tie des don­nées de test que nous avons pris­es l’an­née dernière lorsque la caméra était au SLAC pour ses tests de fonc­tion­nement. Nous avons obtenu des don­nées qui me per­me­t­tront de véri­fi­er l’alignement des lentilles avec le plan focal de la caméra. » Les pre­mières images sont atten­dues au print­emps 2025.

Propos recueillis par Isabelle Dumé

Références :

Aaron J. Rood­man at al. Inte­gra­tion and ver­i­fi­ca­tion test­ing of the LSST cam­era. SPIE Astro­nom­i­cal Tele­scopes + Instru­men­ta­tion 2018, Jun 2018, Austin, Unit­ed States. pp.107050D, 10.1117/12.2314017. https://​hal​.sci​ence/​h​a​l​-​0​1​8​80806

Pierre Anti­lo­gus et al. Design, assem­bly and val­i­da­tion of the Fil­ter Exchange Sys­tem of LSST­Cam. In SPIE Astro­nom­i­cal Tele­scopes + Instru­men­ta­tion 2022, vol­ume 12182, page 121823A, Mon­tréal, Cana­da, July 2022. doi: 10.1117/12.2629336. https://​hal​.sci​ence/​h​a​l​-​0​3​8​38583

1https://​www​.eso​.org/​p​u​b​l​i​c​/​f​r​a​n​c​e​/​t​e​l​e​s​-​i​n​s​t​r​/​p​a​r​a​n​a​l​-​o​b​s​e​r​v​a​t​o​r​y​/vlt/
2https://​www​.eso​.org/​p​u​b​l​i​c​/​f​r​a​n​c​e​/​t​e​l​e​s​-​i​n​s​t​r​/​alma/
3Le LPSC est une unité mixte du CNRS et de l’Université Greno­ble Alpes

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