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Course à l’armement dans l’UE : des budgets en hausse, des capacités inégales

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Léo Péria-Peigné
chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri
En bref
  • On observe ces dernières années un réarmement progressif des pays membres de l’UE et les budgets de défense sont globalement à la hausse.
  • Si la France possède la 2nde armée la plus importante de l’UE, elle peinerait aujourd’hui à déployer plus d’une brigade et à en assurer la relève par une unité équivalente.
  • Aujourd’hui, 4 % du budget de la Pologne est consacré à la défense et son objectif est de construire la première armée de Terre de l’UE pour répondre aux menaces russes.
  • Suivant l’exemple polonais, l’Estonie consacre 3,4 % de son budget à la défense, contre 3,2 % pour la Lettonie et 2,9 % pour la Lituanie.
  • Si le R-U a un budget de défense conséquent, son armée de Terre comme sa marine ont des lacunes au niveau des infrastructures, des équipements et de la main-d’œuvre.

Pour répondre aux menaces géostratégiques, la Commission européenne a dévoilé le plan « ReArm Europe ». Dotée d’une enveloppe de 800 milliards d’euros, cette initiative entend renforcer rapidement les capacités industrielles et militaires des États. Avant de mettre à l’œuvre ce plan, quel est l’état global des armées des pays membres ?

Léo Péria-Peigné. Dress­er un état des lieux des capac­ités de défense au sein de l’Union européenne est un exer­ci­ce com­plexe puisque la plu­part des don­nées traduisent une vision unique­ment théorique. En pra­tique, ces forces ne sont pas allées sur le ter­rain et n’ont pas con­nu d’expériences de com­bat en con­di­tions réelles depuis les années 2000–2010, lors des guer­res en Irak ou en Afghanistan. En 2025, les forces ukraini­ennes sont les seules en Europe à pou­voir se tar­guer d’avoir testé leurs capac­ités mil­i­taires dans un con­flit de haute inten­sité1.

Pour le reste, les pays européens ont béné­fi­cié des « div­i­den­des de la paix » ces trois dernières décen­nies en réduisant con­sid­érable­ment leur bud­get mil­i­taire au prof­it d’autres secteurs. Cer­tains États, tels que la Bel­gique et les Pays-Bas, avaient même fait le choix d’abandonner des équipements coû­teux – comme les chars d’as­saut ou les lance-roquettes – dans les années 1990–2010. À présent, ils cherchent à renouer avec leurs anciens acquis. Si les bud­gets de défense sont glob­ale­ment à la hausse, ali­men­tés par une volon­té poli­tique de réin­ve­stir sur le long terme et de recréer des unités de com­bats opéra­tionnelles, il fau­dra toute­fois faire preuve de patience avant d’en voir les retombées. Selon les armées, entre cinq et dix ans seront néces­saires pour recréer ou ren­dre crédi­ble une capac­ité complète. 

Le cas français 

Depuis 2022, la France s’est pro­gres­sive­ment retirée des théâtres d’opérations en Afrique de l’Ouest et au Sahel pour ne con­serv­er que deux bases per­ma­nentes, au Gabon et à Dji­bouti. Les unités français­es con­ser­vent un cer­tain niveau de com­pé­tences opéra­tionnelles et une capac­ité à se déploy­er. Elles peu­vent, certes, tabler sur leur expéri­ence, mais les men­aces aux­quelles elles se pré­par­ent en Europe ne sont pas de même nature que celles affron­tées lors des dernières guer­res irrégulières. La ques­tion de la per­ti­nence de ses moyens face à un adver­saire comme la Russie se pose. 

Tous corps con­fon­dus, les effec­tifs atteignent le palier des 200 000 mil­i­taires2 (et 41 000 réservistes). Si la France pos­sède la sec­onde armée la plus impor­tante de l’UE, dans l’hypothèse d’un con­flit de haute inten­sité, elle pein­erait actuelle­ment à déploy­er plus d’une brigade – entre 7 000 et 8 000 mil­i­taires – et à en assur­er la relève par une unité équiv­a­lente. Cet objec­tif doit cepen­dant être atteint à court terme, avant d’envisager le déploiement d’une divi­sion (deux ou trois brigades) d’ici 2030.

Source : Chiffres clés de l’ar­mée de Terre 20243

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, la Pologne s’est montrée particulièrement active en matière de réarmement. Elle entend doubler ses effectifs militaires et accéder à l’arme nucléaire. Des pays européens suivront-ils cette direction ?

Varso­vie a en effet décidé de quit­ter le stade de la théorie en amorçant une phase de ren­force­ment capac­i­taire depuis 2022. Env­i­ron 4 % de son bud­get est con­sacré à la défense. Con­traire­ment aux autorités français­es qui ont fait le choix de con­serv­er le plus de capac­ités pos­si­bles tout en réduisant les effec­tifs, la voca­tion polon­aise n’est pas d’avoir l’armée la plus com­plète d’Europe. Son objec­tif en ligne de mire est de con­stru­ire la pre­mière armée de Terre de l’UE pour être apte à répon­dre aux men­aces russ­es. Elle s’impose ain­si comme l’armée la plus nom­breuse dans le paysage européen en enreg­is­trant 202 100 mil­i­taires act­ifs (pro­fes­sion­nels et volon­taires) sur une pop­u­la­tion d’environ 37 mil­lions d’habitants. En dirigeant ses investisse­ments sur des besoins stratégiques pré­cis, son objec­tif à l’horizon 2035 est de se dot­er d’un arse­nal de 1 600 chars (la France en compte 200), de 1 200 pièces d’artillerie et de 800 lance-roquettes.

Face à la pres­sion exer­cée par la Russie, les pays qui lui sont lim­itro­phes suiv­ent l’exemple polon­ais en aug­men­tant leurs dépens­es mil­i­taires : l’Estonie con­sacre 3,4 % de son bud­get à la défense, suiv­ie par la Let­tonie (3,2 %) et la Litu­anie (2,9 %).

Effets d’annonce ou capacités réelles ?

Les bud­gets et le vol­ume des équipements mil­i­taires ne sont pas sys­té­ma­tique­ment révéla­teurs des capac­ités effec­tives. Com­ment déploy­er des lance-roquettes pour réalis­er des frappes en pro­fondeur ? Com­ment déploy­er des sous-marins nucléaires afin d’exercer une pres­sion sur une zone navale ? Au-delà de l’acquisition, c’est la maîtrise des défis opéra­tionnels qui se joue. Par exem­ple, la France n’a pas mobil­isé de chars depuis plusieurs années et en matière de guerre élec­tron­ique, elle n’en a que les moyens et des com­pé­tences très lim­itées ou spécialisées. 

Quant au Roy­aume-Uni, s’il détient le bud­get de défense le plus con­séquent en Europe (hors Turquie), son armée de Terre comme sa marine se trou­vent dans un état cri­tique, mar­quées par des lacunes au niveau des infra­struc­tures, des équipements et de la main‑d’œuvre. En règle générale, les chiffres annon­cés en Europe peu­vent aisé­ment être réduits d’un tiers, de moitié dans cer­tains cas, car ils cachent tou­jours des défail­lances de maintenance. 

Quels résultats attendus ? 

La mul­ti­pli­ca­tion des annonces et des investisse­ments mar­que une impor­tante rup­ture avec les trente années de désen­gage­ment mil­i­taire qui ont suivi la fin de la Guerre froide. Par-delà les dis­cours poli­tiques, le paysage mil­i­taire européen aura-t-il évolué d’ici 5 à 10 ans ? Com­ment pal­li­er les dif­fi­cultés de recrute­ment ? Quel sera le nom­bre effec­tif, et non théorique, de sol­dats prêts à être déployés dans de bonnes con­di­tions ?  Pour l’heure, le proces­sus de réarme­ment n’est qu’à ses débuts, des années de sous-investisse­ment devront être rat­trapées avant d’obtenir une crédi­bil­ité dans l’actuel envi­ron­nement géos­tratégique, com­posé d’acteurs qui com­mu­niquent et ne com­pren­nent que le rap­port de force.

Propos recueillis par Alicia Piveteau
1Selon le classe­ment Glob­al Fire­pow­er, l’armée française se place à la 7ème posi­tion des armées les plus puis­santes du monde, la sec­onde au sein de l’UE serait l’Italie avec la 10e place. L’Ukraine tient quant à elle la 20ème place du classe­ment.
256 % armée de Terre, 19 % armée de l’Air et de l’E­space, 17 % Marine Nationale, 8 % autres. Chiffres clés de l’ar­mée de Terre 2024, https://​www​.defense​.gouv​.fr/​t​e​r​r​e​/​m​i​e​u​x​-​n​o​u​s​-​c​o​n​n​a​i​t​r​e​/​c​h​i​f​f​r​e​s​-​c​l​e​s​-​l​a​r​m​e​e​-​t​e​r​r​e​-2024
3https://​www​.defense​.gouv​.fr/​t​e​r​r​e​/​m​i​e​u​x​-​n​o​u​s​-​c​o​n​n​a​i​t​r​e​/​c​h​i​f​f​r​e​s​-​c​l​e​s​-​l​a​r​m​e​e​-​t​e​r​r​e​-2024

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