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Sol de Manana geysers and geothermal area in the Andean Plateau in Bolivia
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Le lithium géothermal, une ressource d’avenir ?

Yannick Peysson
Yannick Peysson
responsable de programme R&D au Centre de résultats systèmes énergétiques d’IFPEN
Ghislain TRULLENQUE
Ghislain Trullenque
chercheur en géothermie à l’Institut polytechnique UniLaSalle et coordinateur scientifique du projet MEET
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Arnaud Baudot
responsable de programme R&D métaux stratégiques pour la mobilité durable à IFPEN
En bref
  • Le lithium est une ressource essentielle à la transition écologique, mais aujourd’hui aucun pays européen n’en exploite industriellement.
  • Paradoxalement, le continent abrite une réserve naturelle de lithium (près de 5 millions de tonnes) qu’il n’exploite pas.
  • En France, une réserve jusqu’ici jamais exploitée industriellement dans le monde existe pourtant : le lithium des eaux géothermales.
  • C’est une ressource stratégique, présentant de nombreux avantages : prêt à l’emploi, renouvelable avec des retombées environnementales moindres.
  • Pour extraire le lithium de ces eaux profondes, plusieurs technologies se développent et sont testées en France et en Europe.
  • Toutefois : si les technologies progressent, aucune exploitation industrielle n’existe aujourd’hui.

Indis­pens­able à la tran­si­tion énergé­tique, le lithi­um est une ressource telle­ment pré­cieuse qu’on le surnomme « l’or blanc ». En 2022, il est très majori­taire­ment extrait par trois pays : l’Australie (47 % de la pro­duc­tion mon­di­ale), le Chili (26 %) et la Chine (17 %)1. Les deux tiers du lithi­um pro­duit dans le monde sont ensuite trans­for­més en Chine. Le lithi­um est un métal con­sid­éré comme cri­tique par l’Union européenne : le secteur des éner­gies pro­pres – en par­ti­c­uli­er les bat­ter­ies lithi­um-ion des véhicules élec­triques – est très dépen­dant de cette matière pre­mière, pour­tant majori­taire­ment importée. 

À ce jour, aucun pays européen n’exploite indus­trielle­ment du lithi­um. Les ressources y sont estimées à env­i­ron 5 mil­lions de tonnes, soit 6,9 % des ressources mon­di­ales2. La France compte une réserve jusqu’ici jamais exploitée indus­trielle­ment dans le monde : le lithi­um naturelle­ment présent dans les eaux géothermales.

D’où provient le lithi­um de nos bat­ter­ies ?

À tra­vers le monde, deux modes de pro­duc­tion de lithi­um sont util­isés. En Aus­tralie par exem­ple, le lithi­um est récupéré par exca­va­tion minière dans des roches rich­es en lithi­um, des peg­matites à spo­dumène. On le trou­ve ailleurs dans le monde dans des gran­ites ou des argiles. Le lithi­um peut égale­ment être récupéré dans les saumures – des eaux salées – naturelle­ment rich­es en lithi­um dis­sous. C’est le cas notam­ment au Chili, où des lacs salés appelés salars, sont exploités. La pro­duc­tion ressem­ble à celle du sel : l’eau est trans­férée dans des marais salants jusqu’à éva­po­ra­tion. Des procédés physi­co-chim­iques sont ensuite employés pour pro­duire du car­bon­ate de lithi­um à par­tir de ces saumures concentrées.

Dans une cen­trale géother­mique, l’eau souter­raine naturelle­ment chaude est pom­pée, l’énergie est récupérée – pour fournir de la chaleur ou de l’électricité – et l’eau est enfin réin­jec­tée. Une quan­tité élevée de lithi­um a été détec­tée dans cer­taines réserves géother­males. Dans l’Est de la France, la cen­trale de Soultz-sous-Forêts exploite des eaux salées con­tenant 200 mg de lithi­um dans chaque litre d’eau3. « Le lithi­um géother­mal est dans un sys­tème dit act­if, où les eaux géother­males cir­cu­lent et se rechar­gent en lithi­um, pointe Ghis­lain Trul­lenque. La dif­férence avec les exploita­tions minières con­ven­tion­nelles est fon­da­men­tale : ces dernières reposent sur des anciens sys­tèmes géother­maux désor­mais éloignés de la source de chaleur, et sont donc des réser­voirs fos­siles inca­pables de se recharg­er. »

Pour récupér­er le lithi­um des eaux chaudes pro­fondes, plusieurs tech­nolo­gies inno­vantes exis­tent aujourd’hui. En France, le groupe minier Eram­et et IPF Éner­gies nou­velles ont dévelop­pé dès les années 2010 une tech­nolo­gie d’extraction directe du lithi­um. Celle-ci a depuis été opti­misée pour la récupéra­tion du lithi­um géother­mal dans le cadre du pro­jet de recherche EuGeli. « Un matéri­au lamel­laire con­sti­tué d’hydroxyde d’aluminium per­met d’adsorber [ndlr : fix­er en sur­face] le chlorure de lithi­um », explique Arnaud Bau­dot. Grâce au pro­to­type, les pre­miers kilo­grammes de lithi­um européen issu d’eau géother­male ont été pro­duits4.

Depuis fin 2023, un pilote d’extraction est instal­lé à la cen­trale géother­mique de Rit­ter­shof­fen dans le but de tester l’efficacité du procédé en con­di­tions réelles. « Le lithi­um issu de ces procédés a la qual­ité req­uise pour la fab­ri­ca­tion de bat­ter­ies », souligne Arnaud Bau­dot. En Alle­magne, l’entreprise Vul­can Ener­gy teste une tech­nolo­gie sim­i­laire. Autre procédé exis­tant : la tech­nolo­gie d’échange d’ions, qui agit comme un fil­tre au sein duquel l’eau riche en lithi­um cir­cule. La société française Geolith teste ce procédé à l’échelle semi-indus­trielle en Cornouailles, au Roy­aume-Uni. « Quelques autres ini­tia­tives exis­tent en Europe mais aus­si aux États-Unis, com­plète Arnaud Bau­dot. La France est très avancée dans le domaine grâce à un écosys­tème d’entreprises inno­vantes très actives dans le domaine de l’extraction et du raf­fi­nage du lithi­um. »

Reste que si les tech­nolo­gies pro­gressent, aucune exploita­tion indus­trielle n’existe aujourd’hui. « Le lithi­um géother­mal présente pour­tant de nom­breux avan­tages, souligne Yan­nick Peysson. Notam­ment celui d’être prêt à l’emploi. » Nul besoin d’envoyer la matière pre­mière en Chine pour son raf­fi­nage, comme c’est le cas aujourd’hui pour le lithi­um extrait des saumures ou des roches. Autre avan­tage : des retombées envi­ron­nemen­tales moin­dres. « Il suf­fit d’ajouter un ensem­ble de mod­ules sur les cen­trales géother­miques exis­tantes, pointe Ghis­lain Trul­lenque. Et même si une nou­velle cen­trale doit être instal­lée, l’impact en sur­face est con­sid­érable­ment moin­dre que les exploita­tions con­ven­tion­nelles, où des mil­lions de mètres cubes de roches sont excavés et de grands bassins d’évaporation créés. Toute l’eau pom­pée – une eau impro­pre à la con­som­ma­tion – est réin­jec­tée à son niveau d’origine pour lui per­me­t­tre de se recharg­er en lithi­um. » L’énergie géother­male renou­ve­lable est égale­ment envis­agée comme source d’énergie prin­ci­pale pour les traite­ments en sur­face du lithi­um. Arnaud Bau­dot com­plète : « L’exploitation de lithi­um dans les bassins d’évaporation con­somme 250 à 450 m3 d’eau par tonne de lithi­um pro­duite. Ce chiffre s’élève à 150 m3 pour les roches, et tombe à quelques dizaines de m3 pour les sources géother­males. »

Une ressource stratégique, aux nombreux avantages

Les besoins aug­men­tant con­sid­érable­ment, le lithi­um géother­mal est devenu une ressource stratégique. La con­som­ma­tion en lithi­um du secteur de l’énergie a triplé entre 2017 et 2022, prin­ci­pale­ment en rai­son de l’explosion des ventes de véhicules élec­triques. L’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE)5 estime que la demande sera mul­ti­pliée par 3,5 d’ici 2030 et 9,5 d’ici 2050 si les États respectent leurs engage­ments annon­cés en faveur du cli­mat. Dis­pose-t-on de suff­isam­ment de ressources en lithi­um géother­mal ? L’industriel Eram­et ambi­tionne de pro­duire suff­isam­ment de lithi­um pour fab­ri­quer 250 000 bat­ter­ies de véhicules élec­triques par an. « Il n’existe pas d’inventaire mon­di­al com­plet, et il faut tenir compte d’une con­cen­tra­tion min­i­male en lithi­um pour que l’exploitation soit rentable, répond Yan­nick Peysson. Aujourd’hui, cette con­cen­tra­tion min­i­male est con­sid­érée égale à env­i­ron 100 mg par litre d’eau. » Une éval­u­a­tion par­tielle – con­cer­nant 48 régions à tra­vers le monde – avance que les ressources en lithi­um géother­mal sont du même ordre de grandeur que celles des salars et des roches6.

« La grande ques­tion du moment – à laque­lle se con­sacrent plusieurs con­sor­tiums de recherche – est de savoir si les eaux exploitées peu­vent se recharg­er suff­isam­ment vite en lithi­um », pointe Yan­nick Peysson. Au fur et à mesure de l’exploitation du lithi­um, le réser­voir d’eau souter­rain va en effet s’appauvrir en lithi­um. Ce déséquili­bre va provo­quer une altéra­tion de la roche dans laque­lle cir­cule ces eaux géother­males, qui pour­raient alors s’enrichir à nou­veau en lithi­um. « L’exploitation de ces sys­tèmes act­ifs offre le poten­tiel – inédit – d’un réser­voir capa­ble de se recharg­er en lithi­um, con­clut Ghis­lain Trul­lenque. Il est fon­da­men­tal de mieux car­ac­téris­er ces proces­sus de recharge pour met­tre en place des exploita­tions raison­nées et pérennes de ces réser­voirs. »

Anaïs Marechal
1IEA (2023), Crit­i­cal Min­er­als Mar­ket Review 2023, IEA, Paris https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​c​r​i​t​i​c​a​l​-​m​i​n​e​r​a​l​s​-​m​a​r​k​e​t​-​r​e​v​i​e​w​-2023, Licence: CC BY 4.0
2D’après le BRGM cité dans : Min­istère de la tran­si­tion écologique, La mobil­ité bas-car­bone, Choix tech­nologiques, enjeux matières et oppor­tu­nités indus­trielles, édité par Com­mis­sari­at général au développe­ment durable, févri­er 2022.
3https://​www​.egec​.org/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​3​/​0​1​/​G​e​o​t​h​e​r​m​a​l​-​m​i​n​e​r​a​l​s​-​f​o​r​-​t​h​e​-​E​U​-​c​r​i​t​i​c​a​l​-​r​a​w​-​m​a​t​e​r​i​a​l​s​-​a​c​t.pdf
4Site inter­net con­sulté le 14/03/2024 : https://​www​.brgm​.fr/​f​r​/​r​e​f​e​r​e​n​c​e​-​p​r​o​j​e​t​-​a​c​h​e​v​e​/​e​u​g​e​l​i​-​e​x​t​r​a​c​t​i​o​n​-​l​i​t​h​i​u​m​-​p​a​r​t​i​r​-​s​a​u​m​u​r​e​-​g​e​o​t​h​e​r​m​a​l​e​-​e​urope
5IEA (2023), Crit­i­cal Min­er­als Data Explor­er, IEA, Paris https://​www​.iea​.org/​d​a​t​a​-​a​n​d​-​s​t​a​t​i​s​t​i​c​s​/​d​a​t​a​-​t​o​o​l​s​/​c​r​i​t​i​c​a​l​-​m​i​n​e​r​a​l​s​-​d​a​t​a​-​e​x​p​lorer
6Dugamin, E.J.M., Richard, A., Cathe­lin­eau, M. et al. Ground­wa­ter in sed­i­men­ta­ry basins as poten­tial lithi­um resource: a glob­al prospec­tive study. Sci Rep 11, 21091 (2021). https://doi.org/10.1038/s41598-021–99912‑7

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