Manger moins d’animaux réduit les émissions, mais à quel point ?
- La production alimentaire est responsable d’environ un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES).
- Une baisse de la consommation de protéines animales chez les adultes en France induit une diminution de l'impact de l'alimentation sur le changement climatique, de l’acidification et de l’occupation des terres.
- Mais cette plus faible consommation animale induirait une hausse des retombées sur l’utilisation de l’eau, l’eutrophisation de l’eau douce et la biodiversité.
- En effet, un régime pauvre en protéines animales contient plus de végétaux et est plus dépendant de cultures irriguées consommatrices en eau dans nos sociétés.
- Cependant, ces travaux ne contredisent pas l’impact positif d’un régime plus pauvre en produits animaux sur le climat.
Parmi les leviers d’atténuation du changement climatique, impossible de passer à côté de l’agriculture : la production alimentaire est responsable d’environ un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’élevage et la pêche sont les principaux contributeurs à ces émissions. Comme nous le détaillons dans un dossier, il est clair que réduire les émissions de l’agriculture passe par une baisse de notre consommation d’animaux. D’un point de vue nutritif, végétaliser l’alimentation est bénéfique pour la santé, souvent à un degré plus élevé que ce que suggèrent les recommandations sanitaires qui considèrent des paramètres comme les normes culturelles et la faisabilité en population générale, comme nous l’expliquait François Mariotti. Dans une étude publiée début 2025, Joël Aubin et ses collègues s’intéressent aux autres retombées environnementales de la diminution de la consommation de produits animaux en France1.
Quels sont les principaux résultats de votre étude ?
Joël Aubin. Nous évaluons les impacts environnementaux d’une baisse de la consommation de protéines animales chez les adultes en France, sur l’ensemble du cycle de vie. Cela inclut l’ensemble des émissions liées à la production, à la transformation, au transport, à la consommation et à la fin de vie des produits.
Par rapport à un régime alimentaire moyen, le régime considéré ici contient moins de protéines au total (avec une diminution de 80 à 70 g par jour) mais aussi moins de protéines animales en proportion. La quantité journalière de protéines animales baisse ainsi d’environ 20 g. Ce choix se base sur les recommandations sanitaires mais aussi sur la volonté de ne pas faire varier le coût de l’alimentation de plus de 5 %.
Notre étude montre que si les Français adoptent ce régime pauvre en protéines animales, les impacts de l’alimentation sur le changement climatique, l’acidification et l’occupation des terres diminuent. En revanche, on constate une hausse des retombées sur l’utilisation de l’eau, l’eutrophisation de l’eau douce et la biodiversité.


Comment expliquez-vous ces retombées négatives sur l’environnement ?
Ce régime pauvre en protéines animales contient beaucoup plus de végétaux. Il est donc plus dépendant de cultures irriguées très consommatrices en eau, en tout cas avec nos modes de production actuels. Concernant la biodiversité, la part de la viande bovine diminue très fortement dans notre régime pauvre en protéines. Or les bovins sont les espèces utilisant le plus les prairies, cela induit donc une perte très élevée de la quantité de pâturages, qui sont une source importante de biodiversité. À cela s’ajoute la nécessité d’augmenter certaines surfaces agricoles pour répondre aux besoins alimentaires.
Les surfaces libérées par la diminution de l’élevage, notamment bovin, ne peuvent-elles pas servir à cultiver ces produits végétaux ?
À l’échelle de la planète, la diminution de l’élevage permettrait de récupérer presque un tiers des surfaces terrestres. Mais remplacer les terrains utilisés pour l’élevage suffirait-il pour répondre aux besoins alimentaires ? Il n’existe pas de consensus scientifique à ce sujet. Enfin, il existe deux limites. La première est que toutes les surfaces en prairies ne sont pas aptes aux cultures, les mettre en culture avec des rendements faibles augmenterait l’impact environnemental des productions végétales. Il serait enfin nécessaire de s’assurer que les prairies sont remplacées par des cultures pour l’alimentation humaine, et non des espaces urbanisés.
Notre étude est partielle et n’avait pas pour but d’étudier toutes les conséquences indirectes de ce changement de régime alimentaire, la réutilisation des prairies pour les productions végétales n’est donc pas considérée. Bien sûr, si cela était le cas, l’impact sur la biodiversité du régime pauvre en protéines animales serait réduit.
Est-il possible de limiter ces externalités négatives ?
Le changement des pratiques agricoles et notamment l’agroécologie est une solution efficace d’atténuation. Replanter des haies, faire des rotations de cultures variées, diminuer l’usage des pesticides, la taille des parcelles, etc. Toutes ces pratiques permettent de limiter notre dépendance aux ressources naturelles et de restaurer les fonctions écologiques des milieux.
Vos résultats remettent-ils en cause l’intérêt de la végétalisation de l’alimentation pour le climat ?
Non, nos travaux ne contredisent pas l’impact positif d’un régime plus pauvre en produits animaux sur le climat. Notre régime alimentaire permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre d’environ 30 %, et cela malgré une diminution relativement faible des protéines animales dans l’alimentation. Notre étude met en évidence la nécessité de réfléchir à l’ensemble des conséquences des choix de société.
Il faut bien comprendre que ces externalités négatives ne remettent pas en cause, mais limitent l’intérêt environnemental d’une diminution de la fraction animale dans l’alimentation. Mais identifier ces retombées néfastes doit permettre de les limiter.
Existe-t-il des régions du monde où la végétalisation de l’alimentation a déjà fait ses preuves en matière environnementale ?
Non, car malgré les impressions que nous pouvons avoir, la consommation de produits d’origine animale ne diminue pas à l’échelle mondiale, ni en France. On observe en revanche un changement de consommation, avec une hausse de la consommation de porc et de volaille et une baisse de la consommation de bovins.


Vos résultats sont-ils transposables à d’autres régions ?
Ils sont très spécifiques à la France où la majorité des bovins sont élevés dans des prairies, contrairement aux États-Unis par exemple.
Cette étude a été financée par le GIS Avenir Élevage – un consortium d’acteurs de la recherche, formation, développement et des filières du secteur de l’élevage – et INTERBEV – l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes. Cela a‑t-il influencé les résultats ?
Nous sommes des scientifiques, et nous nous attachons à produire des connaissances robustes sans influence externe. L’acceptation de notre article dans une revue scientifique montre que ces résultats sont fiables. En revanche cela nous a permis d’accéder à des bases de données. L’alimentation des Français est par exemple basée sur plus de 250 indicateurs. L’accès à ces données nous a permis d’étudier ces retombées sur l’eau et la biodiversité de façon inédite.