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Quel rôle pour la prévention dans les politiques de santé ?

Maria Melchior
Maria Melchior
épidémiologiste spécialisée en santé mentale à l'Inserm
En bref
  • La prévention primaire est liée à l’apparition de risques de santé dus à l’alimentation et à la pollution. La prévention secondaire vise à déceler les maladies n’ayant pu être évitées.
  • Le programme VigilanS est un bon exemple de prévention primaire, il a permis de réduire de 10 à 12 %, en 3 ans, les tentatives de suicide dans le Pas de Calais et le Nord.
  • Dans le cadre des politiques de prévention, nous travaillons avec les jeunes sur la façon de gérer les émotions mais, pour plus d’efficacité, les enseignants doivent également être plus impliqués sur ces sujets.
  • Le rôle des médecins généralistes est très important dans la prévention, il est pourtant souvent négligé. De plus, les inégalités d’accès au soin, de par les déserts médicaux, renforcent cette non-prévention dans certains secteurs.
  • Le secteur privé pourrait être impliqué dans la prévention, mais les lobbies autour de l’alcool ou du tabac sont extrêmement puissants et empêche une prévention effective de ce secteur.

Dans quel domaine diriez-vous que la préven­tion dans les poli­tiques de san­té est le plus avancée ?

La préven­tion est un domaine très large. On a ten­dance à dis­tinguer la préven­tion pri­maire, en lien avec l’apparition de risques de san­té liés à l’alimentation comme à la pol­lu­tion, de la préven­tion sec­ondaire, qui vise à décel­er des mal­adies n’ayant pu être évitées. La préven­tion pri­maire est com­pliquée, car hors du sys­tème de san­té, mais des patients peu­vent en béné­fici­er lors de leur par­cours de soins. En témoigne, par exem­ple, le suc­cès du pro­gramme « Vig­i­lanS », porté depuis 2015 par des psy­chi­a­tres, qui con­siste à rap­pel­er six mois plus tard les per­son­nes ayant été hos­pi­tal­isées après une ten­ta­tive de sui­cide afin de savoir com­ment elles vont. En trois ans, ce dernier a per­mis de baiss­er de 10 à 12 % les ten­ta­tives de sui­cide dans les départe­ments du Nord et du Pas-de-Calais, ce qui lui a valu d’être éten­du à tout le ter­ri­toire. En revanche, on observe encore de nom­breuses oppor­tu­nités ratées du côté des général­istes en matière de préven­tion pri­maire ou sec­ondaire. S’ils sont amenés à voir de nom­breuses per­son­nes ayant fait une ten­ta­tive de sui­cide, dans les faits, peu de médecins enta­ment un suivi par­ti­c­uli­er de leurs patients, ce qui aug­mente la prob­a­bil­ité d’un sec­ond pas­sage à l’acte1.

Vous avez tra­vail­lé sur les con­duites addic­tives chez les ado­les­cents. Dans ce domaine, les poli­tiques de préven­tion vont-elles assez loin ?

En vue d’être plus effi­cace, la lutte con­tre les sub­stances psy­choac­tives a fait l’objet d’un tra­vail inter­min­istériel entre la jus­tice, la san­té et les douanes. Les résul­tats restent cepen­dant, pour l’heure, insuff­isants.  Dans le cadre des poli­tiques de préven­tion, nous tra­vail­lons avec les jeunes sur la façon de gér­er les émo­tions. Mais il faudrait aus­si que les enseignants soient plus impliqués sur ces sujets. Dans ce domaine, la Grande-Bre­tagne, le Cana­da et l’Australie ont réus­si à met­tre en place des pro­grammes de préven­tion mieux inté­grés. Sans doute parce que des experts dédiés inter­vi­en­nent directe­ment auprès des autorités et que l’interdiction de vente d’alcool aux mineurs est respec­tée. L’Islande a égale­ment adop­té une poli­tique volon­tariste assez exem­plaire pour lim­iter l’usage de sub­stances psy­choac­tives chez les jeunes. Le mod­èle islandais est basé sur de nom­breux élé­ments mod­i­fi­ant l’environnement social des jeunes à l’école, dans la famille, dans les quartiers où ils vivent — et en ren­forçant les liens entre ces dif­férents cer­cles pour con­crète­ment respecter les mêmes règles de non-con­som­ma­tion dans dif­férents espaces, lim­iter l’accès aux sub­stances psy­choac­tives, et favoris­er la com­mu­ni­ca­tion entre ces dif­férents domaines2. 

Les médecins général­istes gar­dent un rôle essen­tiel, mais ont-ils encore les moyens de faire de la prévention ?

Oui leur rôle est fon­da­men­tal. Même s’il est vrai qu’étant de plus en plus spé­cial­isés, la préven­tion n’occupe qu’une place mineure de leur for­ma­tion. De plus, les médecins ne peu­vent con­sacr­er, en moyenne, que 10 min­utes à cha­cun de leurs patients. Si les général­istes peu­vent désor­mais pre­scrire à un dia­bé­tique en sur­poids de l’activité physique, il n’y a toute­fois pas encore d’évaluation sur ces pre­scrip­tions. Par ailleurs, compte tenu des iné­gal­ités médi­cales sur le ter­ri­toire, d’autres pro­fes­sion­nels vont devoir élargir leurs champs de com­pé­tences. Les infir­miers pour­ront pre­scrire des médica­ments, les sages-femmes être amenées à faire plus de suiv­is gyné­cologiques et les pédi­a­tres à se for­mer à des domaines comme l’addictologie.

Com­ment le secteur privé peut-il être impliqué dans la prévention ?

Il peut l’être à con­di­tion que les poli­tiques publiques suiv­ent. Or, s’il existe en France une poli­tique de lutte anti-tabac, com­bat­tre l’alcool est plus com­pliqué. Le gou­verne­ment qui sou­tient la fil­ière vini­cole n’a pas appuyé la cam­pagne « dry jan­u­ary » qui invite à l’absence de con­som­ma­tion d’alcool après le Nou­v­el An. Les indus­triels font de la pub­lic­ité, y com­pris sur les réseaux soci­aux à des­ti­na­tion des jeunes, ce qui est pro­hibé par la loi. À part des actions menées par l’association Addic­tions France, peu de plaintes sont engagées. Il en est de même dans l’agroalimentaire où les lob­bies sont très puis­sants. En témoigne la bataille menée par des chercheurs pour faire appos­er des labels comme Nutriscore pour plus de trans­parence sur la com­po­si­tion des ali­ments. Un label qui s’est heurté au manque de volon­té des industriels.

Vos travaux ont mon­tré que les iné­gal­ités sociales en matière de san­té con­stituent des fac­teurs aggra­vants de l’obésité, de la dépres­sion. Ces fac­teurs sont-ils davan­tage pris en compte ?

En effet, la san­té obéit aus­si à de nom­breux déter­mi­nants soci­aux et économiques qui se trou­vent en dehors du sys­tème de soins.À ce sujet, il y a dix ans, l’OMS avait pré­con­isé d’inclure des déter­mi­nants de san­té dans toutes les poli­tiques en guise d’indicateurs à éval­uer. Par exem­ple, dans l’urbanisme, en vue de mesur­er l’impact sur la san­té du voisi­nage lorsque l’on con­stru­it une route, de cal­culer les béné­fices de poli­tiques d’allongements des con­gés pater­nité. Mais force est de con­stater que cette inclu­sion sys­té­ma­tique n’a tou­jours pas été prise en compte. Avec la pandémie, elle serait pour­tant plus néces­saire, car les iné­gal­ités sociales vis-à-vis de la san­té men­tale se sont creusées. À tel point que toutes les poli­tiques qui sta­bilisent les revenus, favorisent l’emploi et de bonnes con­di­tions de tra­vail, ne peu­vent être que positives.

Propos recueillis par Marjorie Cessac
1Younes N, Riv­ière M, Urbain F, Pons R, Hans­lik T, Rossig­nol L, Chan Chee C, Blan­chon T. Man­age­ment in pri­ma­ry care at the time of a sui­cide attempt and its impact on care post-sui­cide attempt: an obser­va­tion­al study in the French GP sen­tinel sur­veil­lance sys­tem. BMC Fam Pract. 2020 Mar 25;21(1):55.
2Krist­jans­son AL, Mann MJ, Sig­fusson J, Tho­ris­dot­tir IE, Alle­grante JP, Sig­fus­dot­tir ID. Devel­op­ment and Guid­ing Prin­ci­ples of the Ice­landic Mod­el for Pre­vent­ing Ado­les­cent Sub­stance Use. Health Pro­mot Pract. 2020 Jan;21(1):62–69.

Auteurs

Maria Melchior

Maria Melchior

épidémiologiste spécialisée en santé mentale à l'Inserm

Maria Melchior étudie les trajectoires de vie depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte, et les interactions entre situation sociale, caractéristiques parentales, scolarité, et devenir social et professionnel. Ses travaux ont montré que les inégalités sociales en matière de santé mentale et d'addictions émergent dès l'enfance. Elle évalue également des interventions pour réduire les inégalités sociales vis-à-vis de la santé mentale, notamment en lien avec l'épidémie de COVID-19.

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