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Vivre sans vieillir : mythe ou réalité ?

Pierre-Marie Lledo
Pierre-Marie Lledo
directeur de recherche au CNRS, chef d’unité à l’Institut Pasteur et membre de l’Académie européenne des sciences
En bref
  • De nombreux investissements et travaux de recherche s’attachent à revigorer la biologie biomédicale pour mieux appréhender les mystères de la longévité.
  • Contrôler les processus de vieillissement, c’est éviter toutes les maladies qui naissent par l’usure de nos organes, comme les maladies neurodégénératives.
  • Il serait possible d’inverser les processus de vieillissement en reprogrammant les cellules pour les rajeunir ou en changeant la composition sanguine.
  • L’Insee estime qu’en France, au moins 11 % des enfants nés après 2000 peuvent espérer devenir centenaires, voire « supercentenaires ».
  • Mais, à vivre éternellement, il convient de se demander si l’Homme ne va pas mourir d’ennui ou de dépression.

Depuis quelques années, d’importantes sommes sont ver­sées pour revig­or­er la recherche bio­médi­cale et mieux com­pren­dre le vieil­lisse­ment. Ce nou­v­el engoue­ment com­plète les efforts con­sen­tis naguère pour appréhen­der les mys­tères de la longévité. Puisque glob­ale­ment la durée de vie ne cesse de croître, le défi est d’assurer une bonne san­té à ces années rajoutées. Pour attein­dre l’objectif, les sci­en­tifiques sont invités à repouss­er le mur de la longévité naturelle1 afin de vivre aisé­ment au-delà de 115 ans2. Selon les spé­cial­istes du vieil­lisse­ment, cette quête ne serait plus une utopie comme elle le fut jadis à l’époque de Gil­gamesh, ou de Faust. En revanche, en devenant réel, cet espoir soumet­trait nos vies, et surtout l’équili­bre de nos sociétés si sen­si­bles à l’évo­lu­tion démo­graphique, à des boule­verse­ments incom­men­su­rables. Voyons, sans plus tarder, les aspects sci­en­tifiques et socié­taux de cette quête de la jeunesse éternelle.

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur la mort.
Décou­vrez-le ici.

Pourrons-nous vivre en bonne santé, au-delà de la centaine ?

Crois­sant au rythme de deux années par décen­nie, notre espérance de vie a déjà plus que dou­blé. Si elle n’était que de 27 ans pour un homme et 28 ans pour une femme en 1750, elle s’établit désor­mais respec­tive­ment à 80 ans et 86 ans, en France3. Pour com­pren­dre ce phénomène spec­tac­u­laire, notons qu’il y a eu d’abord des pro­grès des plus sig­ni­fi­cat­ifs sur les taux de survie des enfants dans les pre­mières années après la nais­sance. Plus pré­cisé­ment, c’est parce que nous avons su com­bat­tre effi­cace­ment la mor­tal­ité infan­tile par la vac­ci­na­tion et les mesures d’hygiène sous la houlette des travaux de Louis Pas­teur, puis un peu plus tard par l’usage des antibi­o­tiques grâce aux décou­vertes d’Alexander Flem­ing, que l’espérance de vie moyenne s’est accrue. Plus récem­ment, c’est l’âge du décès qui a été la nou­velle cible des chercheurs, avec deux objec­tifs en tête : amélior­er la qual­ité de vie des seniors, et réduire la charge pesant sur les sys­tèmes de san­té pour main­tenir la sta­bil­ité économique et sociale de nos sociétés vieillissantes.

Con­trôler les proces­sus de vieil­lisse­ment, c’est vouloir éviter toutes les mal­adies qui nais­sent par l’usure de nos organes.

Cepen­dant, la recette est plus com­plexe qu’il n’y paraît. Con­trôler les proces­sus de vieil­lisse­ment ou, pour être plus pré­cis, éviter qu’ils ne men­a­cent l’existence des indi­vidus, c’est vouloir éviter toutes les mal­adies qui nais­sent par l’usure de nos organes : mal­adies neu­rodégénéra­tives pour le cerveau, rhu­ma­tismes pour les artic­u­la­tions, mal­adies car­dio­vas­cu­laires pour le cœur, etc. Si cet objec­tif devait être atteint, tel le vœu de Dori­an Gray, nous reste­ri­ons alors d’éter­nels jeunes gens en atten­dant qu’une mort acci­den­telle mette un terme à notre exis­tence. Alors, mythe ou réalité ?

Biologie du vieillissement, une science jeune 

Nom­bre d’entreprises qui pressen­tent d’immenses béné­fices à venir investis­sent dans des lab­o­ra­toires dont l’activité est cen­trée sur l’étude du vieil­lisse­ment. Les fon­da­teurs de Google, Lar­ry Page et Sergey Brin, ont fait de la fontaine de jou­vence leur quête ultime en créant Cal­i­co Life Sci­ences et Ver­i­ly Life Sci­ences. Plus récem­ment, Sam Alt­man (de Open​.AI) vient d’investir 180 mil­lions de dol­lars dans une entre­prise qui tente de retarder la mort, et la start-up cal­i­forni­enne Altos Lab a réu­ni plus de 3 mil­liards de dol­lars en 2022 pour par­venir à invers­er le vieil­lisse­ment cel­lu­laire. Cette start-up s’est même offert le luxe de recruter le prix Nobel de Médecine en 2012, le pro­fesseur Shinya Yamana­ka4.

S’il est aisé de com­pren­dre cet engoue­ment, il est aus­si facile d’en appréci­er ses con­séquences sur l’ensemble des acteurs de la recherche. En effet, cette nou­velle obses­sion détourne l’attention des travaux autre­fois dédiés au traite­ment des mal­adies liées à l’âge au prof­it d’une meilleure com­préhen­sion des mécan­ismes du vieil­lisse­ment. Ini­tiée dans les années 90, cette recherche avait pour mod­èle d’étude des organ­ismes sim­ples comme un petit ver, le néma­tode Caenorhab­di­tise­l­e­gans, ou la mouche à fruits (Drosophi­la melanogaster). En étu­di­ant les mécan­ismes de survie du néma­tode exposé à des con­di­tions dif­fi­ciles, Gary Ruvkun décou­vrit l’existence d’une phase léthargique nom­mée « stade dauer ». Cette stase per­met au néma­tode de sur­vivre grâce au ralen­tisse­ment de son métab­o­lisme selon un mécan­isme sem­blable à celui qui, chez l’Homme, con­trôle la sécré­tion d’in­su­line. À la même époque, une chercheuse en biolo­gie molécu­laire, Cyn­thia Keny­on, parvint à dou­bler l’e­spérance de vie du même ver en provo­quant une muta­tion d’un gène impliqué lui aus­si dans la pro­duc­tion d’un fac­teur de crois­sance ana­logue à l’in­su­line. Il n’a pas été sur­prenant d’apprendre que cette chercheuse de renom fut ensuite recrutée par Cal­i­co pour en devenir sa vice-prési­dente. Depuis ces pre­miers travaux, une mul­ti­tude d’études ont été dévelop­pées par une com­mu­nauté gran­dis­sante de sci­en­tifiques afférés à repouss­er la lim­ite de la durée de vie.

Soigner le vieillissement : une révolution en sciences biologiques ? 

Le vieil­lisse­ment est une suc­ces­sion de change­ments respon­s­ables d’altérations qui s’amoncèlent avec l’âge, mais il doit être dis­tin­gué de la mal­adie. Pro­posée ini­tiale­ment dans les années 2010, la biolo­gie du vieil­lisse­ment dis­tingue une liste de car­ac­téris­tiques com­prenant l’in­sta­bil­ité du génome, le rac­cour­cisse­ment pro­gres­sif des télomères, les altéra­tions épigéné­tiques, le dys­fonc­tion­nement des mito­chon­dries, une mau­vaise régu­la­tion du repliement des pro­téines, la dérégu­la­tion de la détec­tion des nutri­ments, la sénes­cence cel­lu­laire, l’épuise­ment du renou­velle­ment des cel­lules souch­es et des défauts de com­mu­ni­ca­tion inter­cel­lu­laire. Depuis, d’autres mar­queurs se sont rajoutés à la liste, comme l’au­tophagie com­pro­mise, une dérégu­la­tion de l’épis­sage, un micro­bio­me per­tur­bé et l’in­flam­ma­tion plus ou moins chronique. L’addition de ces nou­veaux fac­teurs, au moins pour les deux derniers, appuie l’idée d’une vision holiste de l’humain selon laque­lle « le tout est plus que la somme de ses par­ties »5. Nous ne seri­ons qu’un holo­bionte, c’est-à-dire une entité for­mée par dif­férentes espèces qui cohab­itent pour ne for­mer qu’une seule entité écologique. Autrement dit, nous ne seri­ons le pro­duit, non pas seule­ment de nos gènes, mais d’une sym­biose mutu­al­iste entre nous (l’hôte) et nos invités (le micro­bio­me), et le vieil­lisse­ment dépendrait aus­si de cet équili­bre fragile.

Dans ce cas, com­ment se pour­rait-il que le micro­bio­me, ou son image-miroir qu’est notre sys­tème immu­ni­taire, con­tribue à la biolo­gie du vieil­lisse­ment ? Nous savons que le sys­tème immu­ni­taire recon­naît les dan­gers de toutes sortes, grâce à des récep­teurs innés qui dif­féren­cient le soi du non soi. Or, les agents micro­bi­ens, les débris cel­lu­laires ou les nutri­ments inter­agis­sent avec des récep­teurs qui déclenchent la réponse immu­ni­taire innée con­nue pour réduire l’autophagie. Les patholo­gies asso­ciées au vieil­lisse­ment cor­re­spon­dent donc à cet état chronique de dys­régu­la­tion de l’autophagie. Ceci se traduit par l’accumulation de déchets intra­cel­lu­laires et d’une réac­tion inflam­ma­toire chronique – un proces­sus auto-entretenu qui abouti­rait au déclin de l’organisme.

Il existe un autre axe de recherche actuelle­ment très en vogue : ren­dre les proces­sus de vieil­lisse­ment réversibles. On sait aujourd’hui repro­gram­mer des cel­lules pour les raje­u­nir, et mon lab­o­ra­toire, avec d‘autres, ont réus­si à démon­tr­er que le vieil­lisse­ment cérébral pou­vait être inver­sé en changeant la com­po­si­tion san­guine de sujets âgés6. Aujourd’hui, nous sommes capa­bles de repro­gram­mer des proces­sus molécu­laires pour raje­u­nir les cel­lules nerveuses du cerveau7. Ces recherch­es prou­vent déjà que des organ­ismes comme la souris peu­vent gag­n­er plus d’un tiers de leur vie, et con­serv­er une bonne san­té men­tale et physique.

Une plus longue longévité, et après ?

L’In­see estime qu’en France, au moins 11 % des enfants nés après 2000 peu­vent espér­er devenir cen­te­naires, voire « super­cente­naires ». Le nom­bre de cen­te­naires a d’ailleurs explosé depuis les années 1960 : de 450 à l’époque, on en décompte aujour­d’hui près de 30 000, dont près de 90 % sont des femmes. Les mod­èles des démo­graphes prédis­ent qu’il pour­rait y en avoir treize fois plus en 20608.

L’In­see estime qu’en France, au moins 11 % des enfants nés après 2000 peu­vent espér­er devenir cen­te­naires, voire supercentenaires.

À ces esti­ma­tions exagéré­ment opti­mistes, il con­vient de rap­pel­er que l’e­spérance de vie ne pro­gresse pas de façon uni­forme sur la planète. En France, elle ne pro­gresse que très faible­ment depuis quelques années quand elle recule de façon préoc­cu­pante aux États-Unis9. Depuis les années 70, les pro­grès en matière de préven­tion des mal­adies car­dio­vas­cu­laires ont per­mis de sen­si­ble­ment faire reculer la mor­tal­ité en réduisant ce type de mal­adies, mais aujourd’hui les marges de pro­gres­sion de cette préven­tion sont min­imes. Leur part dans l’amélioration de l’espérance de vie devient donc négligeable.

Si les pro­grès sci­en­tifiques peu­vent nous laiss­er espér­er un jour de ne plus mourir de vieil­lesse, alors de quoi allons-nous mourir ? « Mourir de vieil­lesse, c’est une mort rare, sin­gulière et extra­or­di­naire. », écrit Michel de Mon­taigne dans un essai con­sacré à l’âge10. Comme le pen­sait Mon­taigne, nous ne con­naitri­ons plus alors que des morts acci­den­telles, bru­tales ou bien des morts choisies. Dans ce dernier cas, la mort ne résul­terait pas d’une las­si­tude vis-à-vis de la souf­france ou de la mal­adie – puisqu’elles n’ex­is­teraient plus – mais tout sim­ple­ment de l’en­nui, de la dépres­sion, ou du spleen causé par la répéti­tion inlass­able et insipi­de des jours. Après la promesse sci­en­tifique d’une éter­nelle jeunesse, seri­ons-nous con­damnés au sui­cide assisté ?

1Véri­ta­ble « mur biologique », la lim­ite naturelle atteinte par la doyenne de l’hu­man­ité reste tou­jours Jeanne Cal­ment – 122 ans et 164 jours.
2Les per­son­nes atteignant l’âge de 115 ans sont qual­i­fiées de super­cente­naires.
3En revanche, l’espérance de vie en bonne san­té nous place au 10e rang européen avec 64 ans pour les hommes et 65 ans pour les femmes.
4Chercheur japon­ais qui a démon­tré que l’on peut repro­gram­mer des cel­lules, à l’aide d’un cock­tail de qua­tre gènes seule­ment, pour en faire des cel­lules embry­on­naires.
5Une maxime que l’on attribue au philosophe et poly­mathe Aris­tote (384–322 av. J.-C.).
6Moigneu C, Abdel­laoui S, Pfaf­fenseller B, Wol­len­haupt-Aguiar B, Chiche A, Kuper­wass­er N, Pedrot­ti Mor­eira F, Li H, Oury F, Kapczin­s­ki F, Lle­do PM et Kat­sim­par­di L (2023). Sys­temic GDF11 atten­u­ates depres­sion-like phe­no­type in aged mice via autophagy, Nature Aging 3, 213–228.
7Kat­sim­par­di L, Kuper­wass­er N, Camus C, Moigneu C, Chiche A, Tolle V, Li H, Koko­vay E et Lle­do P‑M (2019). Sys­temic GDF11 stim­u­lates the secre­tion of adiponectin and induces a calo­rie restric­tion-like phe­no­type in aged mice. Aging Cell e13038. doi: 10.1111/acel.13038.
8Cepen­dant, l’espérance de vie dans l’U­nion européenne dimin­ue pour la deux­ième année con­séc­u­tive, après une baisse plus impor­tante entre 2019 et 2020. Par rap­port à 2020, l’e­spérance de vie des femmes et des hommes a dimin­ué de 0,3 an. En 2021, l’e­spérance de vie est de 82,9 ans et de 77,2 ans pour les hommes. L’e­spérance de vie à la nais­sance la plus élevée a été enreg­istrée en Espagne (83,3 ans), en Suède (83,1 ans), au Lux­em­bourg et en Ital­ie (82,7 ans cha­cun), tan­dis que la plus faible a été observée en Bul­gar­ie (71,4 ans), en Roumanie (72,8 ans) et en Let­tonie (73,1 ans).
9La fréquence de l’obésité, des décès dus à la dépen­dance aux opi­oïdes, ou un accès aux soins très iné­gal­i­taire font que les Etats-Uniens vivent en moyenne, qua­tre ans de moins que les Français.
10« Mourir de vieil­lesse, c’est une mort rare, sin­gulière et extra­or­di­naire et d’au­tant moins naturelle que les autres ; c’est la dernière et extrême sorte de mourir ; plus elle est éloignée de nous, d’au­tant est-elle moins espérable ; c’est bien la borne au-delà de laque­lle nous n’irons pas, et que la loi de nature a pre­scrite pour n’être point out­repassée ; mais c’est un bien rare priv­ilège de nous faire dur­er jusque-là. » Michel de Mon­taigne, « De l’âge », Les Essais, 1595.

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