Ciment Bas Carbone
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Comment réduire l’impact carbone de la construction ?

« Diviser par 10 les émissions de CO2 du ciment, c’est possible »

Isabelle Dumé, journaliste scientifique
Le 6 janvier 2022 |
4 min. de lecture
Mohend Chaouche
Mohend Chaouche
directeur de recherche au CNRS à l’ENS Paris Saclay
En bref
  • Le ciment, qui est le principal constituant du béton, est à l’origine à lui seul d'environ 7 % des émissions mondiales de CO2.
  • L’objectif du nouveau laboratoire commun « Matériaux cimentaires éco-efficaces » (MC²E), fruit d’une collaboration entre le CNRS, l’ENS Paris Saclay et Ecocem, est de développer des ciments alternatifs à faible impact carbone.
  • Les chercheurs du MC²E ont réussi à diviser par cinq la quantité de ciment dans les bétons.
  • Ils ont également mis au point un nouveau ciment (breveté) basé sur des résidus de l’industrie sidérurgique, dont l’impact carbone est réduit d’environ 80 % par rapport à un ciment classique. Ce nouveau ciment est déjà sur le marché.
  • Il pourrait donc être possible d’atteindre assez rapidement la neutralité carbone dans ce domaine sans avoir à recourir à des techniques dites de rupture.

Le dérè­gle­ment cli­ma­tique, lié notam­ment aux 43 mil­liards de tonnes de dioxyde de car­bone (CO2) émis­es par les activ­ités humaines par an rend urgent l’accélération des activ­ités de recherche dans tous les domaines menant à des solu­tions bas car­bone. Le ciment, qui est le prin­ci­pal con­sti­tu­ant du béton, est à l’origine à lui seul d’en­v­i­ron 7 % des émis­sions mon­di­ales de CO2

L’objectif du nou­veau lab­o­ra­toire com­mun (Lab­Com) « Matéri­aux cimen­taires éco-effi­caces » (MC²E) est de dévelop­per des ciments à faible impact car­bone. Il est le fruit d’une col­lab­o­ra­tion entre le CNRS, l’ENS Paris Saclay et la société Eco­cem. Cette col­lab­o­ra­tion a notam­ment per­mis de met­tre au point un nou­veau ciment breveté basé sur des résidus de l’in­dus­trie sidérurgique et dont l’im­pact car­bone est réduit d’en­v­i­ron 80 % par rap­port à un ciment classique. 

Comment le ciment est-il fabriqué ?

Depuis son inven­tion il y a deux siè­cles, le ciment con­ven­tion­nel, dit « Port­land », est resté large­ment dom­i­nant dans la pro­duc­tion des matéri­aux de con­struc­tion comme le  béton. Ce ciment est fab­riqué à par­tir d’environ 80% de cal­caire et 20% d’argile. Le mélange est chauf­fé à haute tem­péra­ture et subit une réac­tion chim­ique appelée cal­ci­na­tion. La plu­part des émis­sions de CO2 provenant de la fab­ri­ca­tion du ciment résul­tent de la décom­po­si­tion du cal­caire par la cal­ci­na­tion (en chaux et en CO2). Glob­ale­ment, une tonne de ciment fab­riquée pro­duit entre 800 kilos et une tonne de CO2.

Une façon de réduire ces émis­sions serait tout sim­ple­ment de réduire la quan­tité de ciment util­isée dans les matéri­aux de con­struc­tion. Cela est tout à fait envis­age­able puisque le ciment n’est qu’un « liant » ou une « colle » et qu’il est util­isé en grande par­tie pour rem­plir les espaces entre les agré­gats et le sable dans les matéri­aux de con­struc­tion afin de les faire adhér­er les uns aux autres. 

Une réduction de l’impact carbone divisée par cinq

D’abord, nous sommes par­venus à divis­er par cinq la quan­tité de ciment dans les bétons en par­tant pré­cisé­ment de l’idée qu’il ne s’ag­it que d’un liant/colle et que l’espace inter-gran­u­laire peut être rem­pli avec autre chose que du ciment. Pour les colles indus­trielles clas­siques, comme celles à base de polymères, le point de départ est une sub­stance liq­uide afin de pou­voir mouiller les deux sur­faces à coller. Cette colle durcit ensuite pour don­ner à la struc­ture sa résis­tance mécanique. Le ciment fonc­tionne de la même manière : la poudre de ciment est mélangée à de l’eau pour obtenir un liq­uide qui peut s’é­couler entre les gran­u­lats et les mouiller. Ce liq­uide durcit ensuite pour don­ner un matéri­au solide comme le béton.

Notre nou­veau ciment men­tion­né plus haut n’a rien à avoir avec cela, puisqu’il ne con­tient pas de ciment con­ven­tion­nel. Il est com­posé de laiti­er broyé qui est un résidu de l’in­dus­trie sidérurgique. Nous avons ajouté à ce « laiti­er gran­ulé de haute-fourneau fine­ment broyé » une petite quan­tité de pro­duits chim­iques (« les adju­vants ») pour obtenir un ciment qui peut être util­isé pour fab­ri­quer des bétons dont les per­for­mances sont sim­i­laires à celles d’un béton à base de ciment Portland. 

Seulement 90 kg de COémis par tonne de ciment

La pro­duc­tion d’une tonne de ce nou­veau ciment entraine le rejet d’environ 90 kg de CO2. L’utilisation de ce ciment à la place du ciment Port­land per­met de pro­duire des bétons bas car­bone per­for­mants et durables. Il présente des car­ac­téris­tiques chim­iques qui leur con­fère une résis­tance mécanique à long terme meilleure que celle d’un béton clas­sique ain­si qu’une meilleure résis­tance aux agres­sions chim­iques telles que les sul­fates et les chlorures.

Le ciment que nous avons fab­riqué est déjà sur le marché et a été employé à grande échelle par le groupe Vin­ci pour con­stru­ire une par­tie de son siège social dans le quarti­er de La Défense, aux portes de Paris. Ce nou­veau matéri­au sera égale­ment util­isé dans le vil­lage des Jeux olympiques de Paris 2024 et dans la con­struc­tion des tun­nels de la ligne 18 du métro de la capitale.

L’IA au service du ciment 

Jusqu’à présent, les acteurs de la con­struc­tion ne se sou­ci­aient pas des ques­tions envi­ron­nemen­tales car le ciment est robuste et bon marché. Ain­si on utilise sou­vent beau­coup plus de ciment que néces­saire dans leur béton car on pense – à tort – que le béton final est plus sûr d’un point de vue mécanique et  plus durable s’il con­tient plus de ciment. Le développe­ment des out­ils d’intelligence arti­fi­cielle per­me­t­tra de sim­pli­fi­er les méth­odes de for­mu­la­tion des bétons – notam­ment de déter­min­er les quan­tités opti­males de ciment à utilis­er dans les matéri­aux de con­struc­tion et de dimin­uer ain­si leur impact en ter­mes de CO2. Une telle approche est nova­trice dans le domaine, car, jusqu’à présent, les ingénieurs s’appuyaient sur des sim­u­la­tions infor­ma­tiques qui néces­si­tent des con­nais­sances spé­cial­isées. L’apprentissage automa­tique, en revanche, peut être util­isé par tout un chacun.

Nous pen­sons donc qu’il est pos­si­ble d’atteindre la neu­tral­ité car­bone assez rapi­de­ment dans ce domaine sans avoir à recourir à des tech­niques dites de rup­ture, c’est-à-dire à inven­ter de toutes nou­velles façons de fab­ri­quer du ciment. Ce qui pour­rait ralen­tir ce mou­ve­ment tient surtout à l’évolution des normes, tou­jours moins rapi­des que le développe­ment des innovations. 

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