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Comment réduire l’impact carbone de la construction ?

Vers une économie circulaire dans le secteur de la construction ?

Isabelle Dumé, journaliste scientifique
Le 6 janvier 2022 |
4 min. de lecture
Noe Basch
Noé Basch
fondateur du lab ingénierie et co-fondateur de Mobius réemploi
En bref
  • L’entreprise mobius réemploi propose d'intégrer des matériaux issus du réemploi dans des constructions neuves ou réhabilitées.
  • Il s’agit d’effectuer une étude approfondie de faisabilité architecturale et technique de l’intégration de ces matériaux en lieu et place de matériaux neufs, et ce dès la phase de conception.
  • Si le réemploi des matériaux de construction a des vertus environnementales, il est actuellement plus coûteux que les matériaux neufs.
  • En revanche, le domaine de la construction sera soumis dès 2022 à une réglementation exigeant la limitation des émissions de carbone, donc la question du réemploi des matériaux deviendra importante.
  • L’avantage du réemploi est qu’il n’est pas soumis aux marchés des matières premières. Les prix peuvent donc rester stables dans le temps.

Fort d’un chiffre d’affaires annuel d’environ 300 mil­liards d’euros1, le secteur de la con­struc­tion et des travaux publiques représente 40 % de la pro­duc­tion annuelle de déchets en France2. Ces matéri­aux gaspillés sont sou­vent encore en état d’usage mais sont coû­teux à élim­in­er, par­fois passés de mode ou ne cor­re­spon­dent plus aux normes de con­struc­tion. Ce même domaine est égale­ment à l’origine d’environ 30 % des émis­sions de gaz à effet de serre3, provenant prin­ci­pale­ment de deux sources : l’énergie con­som­mée pour notre con­fort d’utilisation (chauffage, cli­ma­ti­sa­tion, éclairage arti­fi­ciel, ven­ti­la­tion mécanique, eau chaude) et l’énergie néces­saire à l’extraction des matéri­aux, à leur trans­for­ma­tion en pro­duit, leur achem­ine­ment et enfin leur traite­ment en fin de vie.

Les pre­mières analy­ses du cycle de vie effec­tuées par les pro­fes­sion­nels de la con­struc­tion ont mon­tré que le poids car­bone des matéri­aux sur l’intégralité du cycle de vie est de 50 % pour une con­struc­tion neuve et de 30 % pour une con­struc­tion réha­bil­itée4. Grosso modo, la moitié du car­bone d’une con­struc­tion est payée men­su­elle­ment par sa fac­ture énergé­tique, et l’autre moitié, invis­i­ble pour l’utilisateur, réside dans les pro­duits et matéri­aux du bien qui l’abrite.

Les solutions possibles

Les solu­tions pour lim­iter l’impact car­bone liées aux con­som­ma­tions énergé­tiques sont aujourd’hui bien con­nues et se met­tent en place pro­gres­sive­ment : lim­i­ta­tion des besoins énergé­tiques par une archi­tec­ture bio­cli­ma­tique et une enveloppe ther­mique­ment per­for­mante ; bonne ges­tion des con­som­ma­tions et recours à une pro­duc­tion d’én­ergie bas car­bone (pom­pes à chaleur, chaudières à bois, pan­neaux solaires ther­miques et pho­to­voltaïques, réseaux de chaleur urbains bas carbone).

En ce qui con­cerne les matéri­aux, les solu­tions de décar­bon­a­tion sont moins général­isées, mais si l’on y regarde de plus près, elles étaient déjà présentes dans le passé : matéri­aux biosour­cés (struc­tures en bois, iso­la­tion en laine végé­tale ou ani­male), matéri­aux recy­clés (si tant est qu’il ne faille pas con­som­mer une énergie déraisonnable pour les remet­tre sur le cir­cuit de la con­struc­tion) ou réemploi.

Mobius réemploi

C’est ce que mobius s’efforce de dévelop­per : réem­ploi (une porte rede­vient une porte), réu­til­i­sa­tion (une porte devient une table5), recy­clage (une porte est déchi­quetée pour être val­orisée en bois aggloméré ou en énergie).

En pre­mier lieu, nous diag­nos­tiquons des biens immo­biliers afin de définir la quan­tité, la qual­ité, la facil­ité de dépose et le poids car­bone pour cha­cun de ces pro­duits et matéri­aux. S’ensuit l’élaboration d’un sché­ma directeur : con­ser­va­tion, don, vente. Si la con­ser­va­tion au-delà de la struc­ture même d’un bâti­ment est rel­a­tive­ment lim­itée pour divers­es raisons (matéri­aux jugés trop anciens par exem­ple), le don à des asso­ci­a­tions ou des arti­sans fonc­tionne bien. En effet, en échange de leur temps, ces derniers vont dépos­er les matéri­aux sur site et les réem­ploy­er pour leurs pro­pres besoins, lim­i­tant ain­si l’achat de matéri­aux neufs et les émis­sions de car­bone asso­ciées, tout comme une meilleure val­ori­sa­tion des déchets qui n’en sont plus pour le pro­prié­taire du bâtiment.

Ces matéri­aux peu­vent égale­ment être enlevés par une entre­prise de curage ou de démo­li­tion clas­sique, mais avec une méthodolo­gie per­me­t­tant leur réem­ploi, leur con­di­tion­nement et leur trans­port. Cela implique de créer et gér­er un lieu de stock­age sur le chantier, sou­vent lim­ité en ter­mes d’espace, afin de per­me­t­tre la récupéra­tion directe de ces élé­ments ou leur vente. Le pour­cent­age de vente est aujourd’hui rel­a­tive­ment faible et val­able prin­ci­pale­ment pour les groupes élec­trogènes, les char­p­entes en bois et les radiateurs.

À l’inverse, nous pro­posons d’intégrer des matéri­aux issus du réem­ploi dans des con­struc­tions neuves ou réha­bil­itées. Il s’agit alors d’effectuer une étude de fais­abil­ité archi­tec­turale et tech­nique de l’intégration de ces matéri­aux en lieu et place de matéri­aux neufs, et ce dès la phase de conception. 

Il s’agira alors de rechercher les futures opéra­tions de démo­li­tions pour dépos­er et recon­di­tion­ner ces matéri­aux avant de les fournir sur site. Cette démarche a été dévelop­pée par exem­ple dans la ZAC Saint-Vin­cent-de-Paul dans le 14earrondisse­ment de Paris, où plus de 60 000 m²6 de bâti­ments ont été déconstruits.

Mobius ré-industrie

La prob­lé­ma­tique prin­ci­pale à l’intégration de matéri­aux issus du réem­ploi est le manque de fil­ières : si vous souhaitez installer 1 000 radi­a­teurs recon­di­tion­nés sur une opéra­tion en 12 mois, vous ne trou­verez pas d’entreprise suff­isam­ment grande pour répon­dre à votre demande. En effet, ce méti­er est nou­veau et néces­site une cer­taine maîtrise : iden­ti­fi­er les opéra­tions sources ; dépos­er ou faire dépos­er les matéri­aux ; trans­porter du site d’en­lève­ment au site de recon­di­tion­nement ; recon­di­tion­ner ces élé­ments et les envoy­er vers le site de pose. 

C’est le pari que nous avons fait en dévelop­pant le faux-planch­er de réem­ploi, issu d’opérations de dépose dans la France entière et qui est dirigée vers notre usine de Ros­ny-sous-Bois, où après brossage, ponçage, réa­grafage, il sera réu­til­isé dans des opéra­tions de con­struc­tion de bureaux, prin­ci­pale­ment en région parisi­enne. À la clef, 75 % d’économie car­bone par rap­port à un pro­duit neuf, et plus de 2 400 tonnes de déchets évités, mais une rentabil­ité faible.

En effet, un pro­duit neuf issu de la trans­for­ma­tion ou l’assemblage de matéri­aux est bon marché. Le réem­ploi, c’est tout l’inverse : vous devez pay­er des per­son­nes pour dépos­er, con­di­tion­ner, trans­porter et recon­di­tion­ner les déchets. 

Vers une économie circulaire ?

Le réem­ploi des matéri­aux de con­struc­tion a des ver­tus envi­ron­nemen­tales, mais il est actuelle­ment plus coû­teux que les matéri­aux neufs. Il est donc dif­fi­cile d’obtenir des com­man­des sans une volon­té par­ti­c­ulière de la part des maîtres d’ou­vrage. En revanche, le domaine de la con­struc­tion sera soumis dès l’année prochaine à une régle­men­ta­tion exigeant la lim­i­ta­tion des émis­sions de car­bone7. Vau­dra-t-il alors mieux con­stru­ire en bois, en pierre, avec des matéri­aux recy­clés ou de réem­ploi ? La ques­tion se posera.

Enfin, comme on l’a vu ces derniers mois, les prix des matières pre­mières peu­vent fluctuer forte­ment et les délais de livrai­son s’allonger. Ain­si, le prix du bois et du métal a été par­ti­c­ulière­ment affec­té dans le milieu de la con­struc­tion, provo­quant à la fois des sur­coûts et le ralen­tisse­ment des chantiers ou la fer­me­ture d’usines. L’avantage du réem­ploi est qu’il n’est pas soumis à ces marchés et pro­pose donc des prix sta­bles dans le temps. 

1Tableaux de l’économie française, Con­struc­tion, INSEE, 2019
2Data­l­ab, Entre­pris­es du BTP, Min­istère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, 2017
3Panora­ma des émis­sions français­es de gaz à effet de serre, Rap­port sur l état de l’environnement, République Française, 2021
4Retour d’expérience, lab-ingénierie, 2021
5Ceci n’est pas une porte, AAVP, mobius réem­ploi, Pavil­lon de l’Arsenal, Faire 2019
6Faire Paris Autrement, un pro­gramme mixte, incar­né, ouvert à tous : https://​www​.pariset​metro​pole​-ame​nage​ment​.fr/​f​r​/​s​a​i​n​t​-​v​i​n​c​e​n​t​-​d​e​-​p​a​u​l​-​p​a​r​i​s-14e
7RE2020 : Une nou­velle étape vers une future règle­men­ta­tion envi­ron­nemen­tale des bâti­ments neufs plus ambitieuse con­tre le change­ment cli­ma­tique, Min­istère de la Tran­si­tion Ecologique, 2020

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