1_mainstream
π Planète π Économie
Peut-on donner un prix à la biodiversité ?

2021 : l’année de la réconciliation entre biodiversité et finance ?

Denise Young, podcasteur et écrivaine
Le 12 avril 2021 |
5 min. de lecture
Simon Zadeck
Simon Zadek
président de F4B et directeur de Migrant Nation
En bref
  • 2021 sera une année importante pour la prise en compte de la biodiversité dans les activités financières. L’initiative F4B (Finance for Biodiversity), présidée par Simon Zadek, s’inscrit dans cette démarche.
  • La prise en compte de la biodiversité est une urgence : si rien n’est fait, 20% des espèces pourraient disparaître dans les prochaines décennies.
  • La méthode consistant à financiariser la nature pour mieux la prendre en compte ne fait cependant pas l’unanimité : certains y voient plus le problème que la solution.
  • La transposition d’éléments naturels en valeurs économiques ne permettrait pas, en effet, de retranscrire l’importance de la nature dans le bien-être des êtres humains.

Avant la pandémie, 2020 devait être une année charnière pour l’ac­tion poli­tique inter­na­tionale en faveur de la nature et du cli­mat. Toute­fois, les évène­ments san­i­taires ont eu pour con­séquence de repouss­er tous les événe­ments inter­na­tionaux clés à 2021. À la place, 2020 s’est donc avéré être une année charnière pour la finance et la bio­di­ver­sité, avec une avalanche de nou­velles ini­tia­tives et de rap­ports, et une demande de nou­veaux produits.

Une étape impor­tante a été le lance­ment de la « Task Force for Nature-Relat­ed Finan­cial Dis­clo­sures » (TNFD) 1 – une ini­tia­tive inspirée de l’équiv­a­lent cli­ma­tique (« Task Force on Cli­mate-Relat­ed Finan­cial Dis­clo­sures », TCFD) 2. Par ailleurs, 26 insti­tu­tions finan­cières ont signé un nou­v­el engage­ment en faveur la bio­di­ver­sité 3 et les autorités de régu­la­tion du secteur de l’as­sur­ance ont annon­cé qu’elles exam­in­eraient le risque financier asso­cié à la perte de bio­di­ver­sité 4.

La COP15, une avancée pour la biodiversité

Il est dit que cet élan se pour­suiv­ra en 2021, notam­ment grâce au grand som­met mon­di­al sur la bio­di­ver­sité (COP15). Cette réu­nion devait ini­tiale­ment se tenir en Chine en mai prochain, mais elle a été repoussée en octo­bre en rai­son de la pandémie. Le résul­tat atten­du de la COP15 est la pro­duc­tion d’un nou­veau cadre et de nou­veaux objec­tifs mon­di­aux pour la bio­di­ver­sité. À ce titre, le som­met est présen­té comme un équiv­a­lent de l’ac­cord de Paris pour la bio­di­ver­sité.  L’ini­tia­tive « Finance for Bio­di­ver­si­ty » (F4B) 5 vise à accroître la place don­née à la bio­di­ver­sité dans les déci­sions finan­cières, et con­tribuera à mieux align­er les intérêts de la finance et la con­ser­va­tion de la nature. 

« Ce fut une année extra­or­di­naire », déclare Simon Zadek, prési­dent de F4B et coprési­dent du groupe d’ex­perts tech­niques de la TNFD. « Aux pre­miers jours de F4B, en octo­bre 2019, lorsque nous avons demandé aux gens ce qu’ils entendaient par “finance­ment de la bio­di­ver­sité“, ils pen­saient au finance­ment de la con­ser­va­tion. Cette com­préhen­sion a évolué de manière sig­ni­fica­tive et très pro­gres­sive. Il s’ag­it désor­mais de savoir com­ment nous pou­vons repenser la finance de manière à pro­téger la bio­di­ver­sité, plutôt que de sim­ple­ment col­lecter de l’ar­gent pour restau­r­er la nature détru­ite. »

Le bilan des chiffres de la biodiversité

La mul­ti­pli­ca­tion des ini­tia­tives visant à quan­ti­fi­er les risques financiers liés à la perte de bio­di­ver­sité est peut-être encour­ageante, mais les chiffres mon­trent qu’elles ne peu­vent pas suiv­re le rythme effréné de la destruc­tion de la nature et de la dégra­da­tion des habi­tats. En réponse à une com­mis­sion du gou­verne­ment bri­tan­nique sur l’é­conomie de la bio­di­ver­sité, le dernier rap­port à tir­er la son­nette d’alarme a été pub­lié en févri­er par l’é­con­o­miste de l’u­ni­ver­sité de Cam­bridge Partha Das­gup­ta 6.

Ce rap­port cherche à créer un nou­veau cadre économique fondé sur l’é­colo­gie et qui per­me­tte à l’hu­man­ité de vivre sur Terre de manière durable. En ter­mes économiques, Das­gup­ta note que le cap­i­tal pro­duit a dou­blé entre 1992 et 2014, et que le cap­i­tal humain a aug­men­té d’en­v­i­ron 13 %. Au con­traire, le stock de « cap­i­tal naturel » (de valeur pro­duite par la nature) par per­son­ne a dimin­ué de près de 40 %. Le rap­port indique que les taux d’ex­tinc­tion actuels sont 100 à 1 000 fois plus élevés que le taux de base de la planète, et que 20 % des espèces pour­raient s’étein­dre au cours des prochaines décennies.

Simon Zadek sou­tient que le rap­port aurait pu aller plus loin. « Je dirais, avec beau­coup de respect, qu’il choisit d’ig­nor­er l’é­conomie poli­tique, qui explique pourquoi nous en sommes là aujour­d’hui. Le fait que per­son­ne ne prenne en compte les con­séquences néga­tives de ses actions sur la nature est une chose que nous avons choisi d’au­toris­er en sou­tenant les mod­èles économiques actuels. Et le rap­port ne le pré­cise pas, lais­sant les lecteurs dans l’idée erronée qu’il existe des solu­tions pure­ment tech­nocra­tiques au prob­lème. »

La COP15 fera-t-elle la différence ?

La COP15 – ini­tiale­ment prévue pour mai 2021, mais désor­mais repoussée à octo­bre – devrait con­stituer une étape majeure dans les négo­ci­a­tions inter­na­tionales sur la bio­di­ver­sité. Selon le Glob­al Bio­di­ver­si­ty Out­look 5 (2020) 7, les pays n’ont pas réus­si à attein­dre col­lec­tive­ment les 20 objec­tifs fixés par la Con­ven­tion sur la diver­sité biologique d’Aichi, au Japon, en 2010. Ces objec­tifs visaient à lut­ter con­tre les fac­teurs de perte de bio­di­ver­sité, notam­ment la déforesta­tion, l’a­gri­cul­ture non durable, la pol­lu­tion, la perte d’habi­tat et les espèces envahissantes. Ils seront prob­a­ble­ment rem­placés par une nou­velle série d’ob­jec­tifs « Kun­ming », du nom de la ville hôte chinoise.

La dynamique poli­tique est forte : les dirigeants de plus de 65 pays se sont réu­nis en sep­tem­bre 2020 pour sign­er l’en­gage­ment des dirigeants en faveur de la nature 8 dans le but d’inverser le déclin de la courbe de la bio­di­ver­sité d’i­ci à 2030. Mais que sig­ni­fiera ce nou­veau cadre pour les entre­pris­es et la finance ?

Simon Zadek met en garde con­tre le fait que les entre­pris­es et la finance doivent abor­der les négo­ci­a­tions en tant qu’ac­teurs et non en tant que spec­ta­teurs. « Le suc­cès de l’ac­cord de Paris est dû en par­tie à l’ex­tra­or­di­naire capac­ité des organ­isa­teurs français à faire enten­dre de mul­ti­ples voix autour des négo­ci­a­tions, et les voix de la com­mu­nauté finan­cière ont été extrême­ment impor­tantes à cet égard », déclare-t-il.

« Ce qui ressor­ti­ra de ces négo­ci­a­tions, c’est une plus grande atten­tion portée à la nature. La com­mu­nauté finan­cière doit être à bord, parce les risques à long terme sont pour eux aus­si impor­tants que pour le cli­mat, et ils doivent donc les inté­gr­er à leur compt­abil­ité. »

« Dans l’intérêt de tous, la com­mu­nauté finan­cière doit con­tribuer au suc­cès de l’ac­tion inter­na­tionale en faveur de la nature, et ne pas se con­tenter d’en recevoir les béné­fices. Nous devons tra­vailler cette année pour faire enten­dre la voix du secteur financier, non pas pour obtenir de l’ar­gent ou en don­ner, mais pour indi­quer la fais­abil­ité d’actions ambitieuses », exhorte-t-il.

La finan­cia­ri­sa­tion de la nature : pour et contre

De nom­breux détracteurs de la finan­cia­ri­sa­tion de la nature affir­ment cepen­dant que cette approche est le prob­lème, et non la solu­tion. Dans un doc­u­ment de 2019 de l’In­sti­tut de l’en­vi­ron­nement de Stock­holm 9, les auteurs affir­ment que la finan­cia­ri­sa­tion peut servir à démon­tr­er l’im­por­tance des écosys­tèmes dans des con­textes où les valeurs moné­taires ont un poids sub­stantiel, mais qu’elle crée une inci­ta­tion à mul­ti­pli­er les ser­vices les plus généra­teurs de revenus, au détri­ment des autres dimen­sions des écosystèmes.

En out­re, cer­tains affir­ment que la finan­cia­ri­sa­tion ne pour­ra jamais saisir l’importance de la nature dans le sen­ti­ment de bien-être des humains. Dans un essai de 2017 inti­t­ulé La vie au-delà du cap­i­tal 10, le pro­fesseur John O’Neill de l’u­ni­ver­sité de Man­ches­ter écrit : « La notion de cap­i­tal naturel est fondée sur une mau­vaise com­préhen­sion de la prospérité, qui ne per­met pas de saisir cor­recte­ment la place qu’oc­cu­pent les rela­tions inter­per­son­nelles, les lieux et le vivant dans une “vie bonne“. C’est dans la vie au-delà du cap­i­tal que nous sommes en mesure de prospér­er pleine­ment. »

Simon Zadek adopte lui plutôt un point de vue à trois voies : « La finan­cia­ri­sa­tion de tout ce que nous con­sid­érons comme ayant une valeur intrin­sèque pose de nom­breux prob­lèmes. Et la nature – frag­ile, non cir­cu­laire, dans toutes sortes d’é­tats de décom­po­si­tion – en est l’ex­em­ple. Nous devons effec­tive­ment trou­ver le moyen de con­ver­tir la nature en proces­sus économiques, même si nous devons être vig­i­lants quant aux dan­gers de la finan­cia­ri­sa­tion. »

1https://​tnfd​.info/
2 https://​www​.fsb​-tcfd​.org/​?​g​c​l​i​d​=​C​j​0​K​C​Q​i​A​v​b​i​B​B​h​D​-​A​R​I​s​A​G​M​4​8​b​y​y​1​v​5​F​q​m​H​Q​n​z​8​v​T​9​A​V​4​x​h​a​3​K​j​M​j​1​Z​0​P​W​Z​W​I​b​u​P​5​p​s​W​4​N​o​7​a​g​o​p​V​a​4​a​A​o​h​F​E​A​L​w_wcB
3https://​www​.finance​for​bio​di​ver​si​ty​.org/
4https://​www​.sus​tain​ablein​sur​ance​fo​rum​.org/​b​i​o​d​i​v​e​r​s​i​t​y​-​l​o​s​s​-​a​n​d​-​a​s​s​o​c​i​a​t​e​d​-​r​i​s​k​s​-​t​o​-​b​e​-​a​d​d​r​e​s​s​e​d​-​i​n​-​n​e​w​-​s​t​u​d​y​-​b​y​-​u​n​-​c​o​n​v​e​n​e​d​-​s​u​s​t​a​i​n​a​b​l​e​-​i​n​s​u​r​a​n​c​e​-​f​orum/
5https://​www​.f4b​-ini​tia​tive​.net/
6https://​www​.gov​.uk/​g​o​v​e​r​n​m​e​n​t​/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​f​i​n​a​l​-​r​e​p​o​r​t​-​t​h​e​-​e​c​o​n​o​m​i​c​s​-​o​f​-​b​i​o​d​i​v​e​r​s​i​t​y​-​t​h​e​-​d​a​s​g​u​p​t​a​-​r​eview
7https://​www​.cbd​.int/gbo5
8https://​www​.lead​er​spledge​for​na​ture​.org
9https://​www​.sei​.org/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​e​n​v​i​r​o​n​m​e​n​t​a​l​-​f​i​n​a​n​c​i​a​l​i​z​a​t​i​o​n​-​w​h​a​t​-​c​o​u​l​d​-​g​o​-​w​rong/
10https://www.cusp.ac.uk/themes/m/m1‑6/

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter