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Comment la science se prépare-t-elle pour la resistance aux antibiotiques ?

Les multiples formes de la résistance aux antibiotiques

Agnès Vernet, journaliste scientifique
Le 16 mars 2022 |
4 min. de lecture
Philippe Glaser
Philippe Glaser
directeur de recherche en écologie à l'Institut Pasteur
En bref
  • On parle d’antibiorésistance lorsqu’une bactérie survit à la présence d’une dose d’antibiotiques qui, en temps normal, l’aurait tuée.
  • Il existe un réservoir de gènes responsables de la résistance aux antibiotiques qui s’appuie sur une grande diversité de mécanismes biologiques.
  • Les traitements aux antibiotiques vont sélectionner des bactéries résistantes et promouvoir le passage de cette capacité d’une bactérie à une autre.
  • Il est indispensable de mieux connaître les mécanismes impliqués dans la résistance afin de développer des antibiotiques ou des combinaisons de traitements plus efficaces.

L’antibiorésistance n’est pas un prob­lème uni­forme. On par­le d’antibiorésistance lorsqu’une bac­térie survit à la présence d’une dose d’antibiotiques qui l’aurait tuée en temps nor­mal. Ce con­cept est ain­si directe­ment lié à la manière dont la molécule antibi­o­tique agit sur le micro-organ­isme et donc com­ment celui-ci peut s’en pro­téger. Or il existe une grande diver­sité de bac­téries poten­tielle­ment pathogènes, pour l’homme et les ani­maux, et de molécules antibi­o­tiques. Com­pren­dre leur inter­ac­tion, à l’échelle d’une cel­lule comme à celle d’une pop­u­la­tion de cel­lules, est indis­pens­able pour saisir ce phénomène.

Des boucliers moléculaires

On dis­tingue l’antibiorésistance intrin­sèque des résis­tances acquis­es. La pre­mière sit­u­a­tion s’applique, par exem­ple, à des bac­téries dont la struc­ture même forme une couche pro­tec­trice con­tre une molécule tox­ique. Prenons, par exem­ple, la van­comycine, un antibi­o­tique effi­cace con­tre les staphy­lo­co­ques dorés ou les entéro­co­ques, des bac­téries dites à gram posi­tif. Alors que pour Escherichia coli ou Pseudomonas aerug­i­nosa, dites à gram négatif, cet antibi­o­tique n’accède pas à sa cible. Ces bac­téries présen­tent une dou­ble mem­brane qui empêche la péné­tra­tion de la col­oration mise au point par le bac­téri­ol­o­giste danois Hans Chris­t­ian Gram et de cer­tains antibi­o­tiques. Or, la cible de la van­comycine est local­isée entre ces deux mem­branes. Il fau­dra utilis­er con­tre elles d’autres molécules, capa­bles de tra­vers­er la mem­brane la plus externe comme les antibi­o­tiques de la famille des pénicillines.

Mais c’est l’antibiorésistance acquise qui explique la crise que nous tra­ver­sons actuelle­ment. Elle con­cerne des micro-organ­ismes qui étaient aupar­a­vant sen­si­bles à une molécule pour traiter une infec­tion. Les bac­téries pos­sè­dent deux manières d’apprendre à se pro­téger d’une molécule tox­ique. Elles peu­vent, au fil de leur divi­sion, accu­muler des muta­tions qui, en mod­i­fi­ant la cible de l’antibiotique ou en l’empêchant de pénétr­er dans la cel­lule, ren­dent celui-ci inefficace.

La sec­onde manière d’acquérir des résis­tances s’appuie sur les élé­ments géné­tiques mobiles, c’est-à-dire des morceaux d’ADN qui peu­vent pass­er d’une cel­lule à l’autre. Il s’agit le plus sou­vent de plas­mides, des mini-chro­mo­somes cir­cu­laires et aux­il­i­aires que les bac­téries s’échangent, même entre espèces dif­férentes. Ces plas­mides sont red­outa­bles du point de vue de l’antibiorésistance parce qu’ils peu­vent porter plusieurs gènes de résis­tance à dif­férentes class­es d’antibiotiques. Une bac­térie peut ain­si devenir mul­ti­ré­sis­tante par la sim­ple acqui­si­tion d’un tel plasmide.

Écologie bactérienne

Les plas­mides, et les gènes de résis­tance qu’ils por­tent, sont aus­si respon­s­ables d’une grande par­tie de la résis­tance aux antibi­o­tiques des bac­téries com­men­sales qui habitent notre sys­tème diges­tif. Celles-ci peu­vent recevoir des plas­mides con­tenant des gènes de résis­tance de bac­téries de l’environnement, moins bien adap­tées à l’écosystème intesti­nal. Les résis­tances se dif­fuseront ain­si par­mi le micro­biote, con­sti­tu­ant une réserve muette dont les con­séquences clin­iques restent encore à évaluer.

L’action d’un antibi­o­tique dépend des con­di­tions de vie d’une bac­térie, ce qui rend l’interprétation du diag­nos­tic de lab­o­ra­toire par­fois com­pliqué. Une bac­térie peut ain­si être sen­si­ble à un antibi­o­tique dans une boîte de Pétri, mais résis­tante chez le patient, ou vice ver­sa. L’action du traite­ment et la réponse de la bac­térie vari­ent selon l’environnement, elles ne seront pas iden­tiques dans le sang, l’urine ou les con­di­tions de lab­o­ra­toire. Par ailleurs, l’antibiotique seul peut dif­fi­cile­ment élim­in­er une bac­térie respon­s­able d’une infec­tion. Il fonc­tionne avec le la réponse immu­ni­taire du patient. Des travaux, comme notre pro­jet Seq2Diag, cherchent à inté­gr­er ces paramètres pour amélior­er le diagnostic.

L’étude des résis­tances intè­gre aus­si la dynamique des pop­u­la­tions de bac­téries. Au cours d’une infec­tion, un grand nom­bre de cel­lules bac­téri­ennes dans dif­férents envi­ron­nements sont impliquées et toutes ne sont pas iden­tiques. Sous l’action d’un antibi­o­tique, celles qui sont capa­bles de sur­vivre à la dose admin­istrée prof­iteront de l’espace libéré par celles qui sont sen­si­bles pour ensuite se multiplier.

Cette lutte pour l’espace est même à l’origine de cer­tains antibi­o­tiques et gènes de résis­tance. Un grand nom­bre d’antibiotiques, comme la strep­to­mycine, util­isée pour soign­er la tuber­cu­lose, ont été isolées chez des bac­téries. Ces dernières pro­duisent ces molécules pour pro­téger leur espace et gag­n­er celui des bac­téries sen­si­bles avec lesquelles elles cohab­itent. De manière logique, une bac­térie syn­théti­sant un antibi­o­tique est, d’une manière ou d’une autre, une résis­tance à cette molécule. Antibi­o­tiques et résis­tances sont des phénomènes naturels dans la dynamique de nom­breuses bactéries.

Prédire la résistance

Une des prin­ci­pales ques­tions qui ani­ment les sci­en­tifiques aujourd’hui con­cerne l’apparition des résis­tances. Peut-on la prédire ? Le prob­lème est com­plexe, il repose en grande par­tie sur la sur­veil­lance des souch­es cir­cu­lantes et l’analyse de leur génome. 

On com­pile ain­si les séquences des génomes de bac­téries con­sid­érées comme présen­tant un pro­fil de résis­tance atyp­ique. Lorsqu’on ne recon­naît pas dans le génome le mécan­isme de résis­tance, les biol­o­gistes vont chercher à élu­cider le proces­sus en jeu et recon­stru­ire son his­toire évo­lu­tive. Ces infor­ma­tions pour­raient en théorie aider à prédire l’apparition de nou­velles résistances.

Néan­moins, les nou­veaux mécan­ismes sont rares et détec­tés désor­mais de plus en plus vite. Le réseau GLASS de l’OMS assure ain­si une sur­veil­lance des bac­téries résis­tantes aux antibi­o­tiques dans les pays à bas revenus. Dans le cadre du Plan pri­or­i­taire de recherche, le Com­mis­sari­at aux investisse­ments d’avenir finance le développe­ment d’une base de don­nées des génomes bac­tériens liés à l’antibiorésistance. Cet out­il, appelé ABRomics, rassem­blera dans une même struc­ture toutes les résis­tances fréquentes comme rares détec­tées sur le ter­ri­toire français et per­me­t­tra leur suivi en temps réel. De telles bases de don­nées nationales sont déployées dans dif­férents pays. Elles con­tribuent à anticiper la dis­sémi­na­tion de souch­es dif­fi­ciles à traiter.

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