Accueil / Chroniques / RSE : pourquoi des indicateurs trop simples peuvent être trompeurs
Digital farming, digital network, Iot, and AI biotechnology in agriculture and farming. Wide format. Hand edited generative AI.
Généré par l'IA / Generated using AI
π Économie π Société

RSE : pourquoi des indicateurs trop simples peuvent être trompeurs

Cédric Gossart_VF
Cédric Gossart
directeur de recherche en gestion de l'innovation à INGENIO (CSIC-UPV)
Benoit Tezenas du Montcel_VF
Benoit Tezenas du Montcel
maître de conférences à l'Institut Mines-Télécom Business School
Jacques Combaz_VF
Jacques Combaz
ingénieur de recherche CNRS au laboratoire VERIMAG
David Ekchajzer_VF
David Ekchajzer
doctorant à l'Université Évry Paris-Saclay
En bref
  • Mesurer les impacts réels des nouvelles technologies est compliqué, car, entre autres, les comportements des utilisateurs évoluent rapidement et créent de nouvelles demandes.
  • Actuellement, les mesures sont principalement axées sur les effets directs, comme le cycle de vie des appareils, l'extraction, la fabrication, le transport, etc.
  • Or, les considérations socio-économiques sont tout aussi importantes, comme, l’entrainement des technologies, les effets rebonds, le développement des infrastructures, etc.
  • Les effets systémiques regroupent ces considérations socio-économiques pour une prise en compte dans les outils d’évaluation.
  • À l’avenir, décomplexifier les méthodes de mesure et permettre des approches ouvertes, plus dynamiques, est nécessaire, afin que les mesures soient accessibles et complètes.

Depuis des années, on nous répète que les tech­nolo­gies numériques vont sauver la planète : rem­plac­er les vols par la vidéo­con­férence, les CD par le stream­ing, opti­miser le traf­ic grâce à l’IA… La logique sem­ble claire : moins de ressources physiques, plus d’ac­tiv­ité numérique, moins d’émis­sions. Or, ce n’est qu’une par­tie de l’his­toire. Les sys­tèmes numériques peu­vent sem­bler immatériels, pour­tant, ils dépen­dent forte­ment de la réal­ité matérielle, car les puces néces­si­tent l’ex­trac­tion de ter­res rares et les cen­tres de don­nées con­som­ment d’énormes quan­tités d’eau pour leur refroidisse­ment. À mesure que ces tech­nolo­gies se pop­u­larisent, les util­isa­teurs mod­i­fient égale­ment leurs com­porte­ments, créant ain­si de nou­velles deman­des dif­fi­ciles à mesur­er. Il est dès lors dif­fi­cile de saisir l’im­pact sys­témique de ces tech­nolo­gies dans leur entière complexité.

Néan­moins, ces out­ils per­me­t­tant de saisir ces impacts sont plus impor­tants que jamais. En France, les entre­pris­es tech­nologiques sont passées d’une résis­tance aux régle­men­ta­tions envi­ron­nemen­tales à l’in­té­gra­tion volon­taire d’outils d’é­val­u­a­tion, par­fois réu­til­isés au-delà de leur champ d’ap­pli­ca­tion ini­tial. Ceux-ci devi­en­nent des instru­ments de ges­tion clé cen­sés influ­encer la stratégie, les déci­sions d’in­vestisse­ment et la com­péti­tiv­ité. Dans cet arti­cle, nous abor­dons le dou­ble défi qui con­siste à éval­uer avec pré­ci­sion les impacts envi­ron­nemen­taux des tech­nolo­gies numériques, en par­ti­c­uli­er leurs effets sys­témiques com­plex­es, et à garan­tir que ces out­ils d’é­val­u­a­tion soient pro­fondé­ment inté­grés au sein des organ­i­sa­tions afin de favoris­er une véri­ta­ble transformation.

Dans notre étude, nous exam­inons la lit­téra­ture exis­tante, les normes inter­na­tionales (telles que ISO 140401 et ITU L.14102) et four­nissons des exem­ples sur la manière dont les impacts envi­ron­nemen­taux des tech­nolo­gies numériques sont actuelle­ment mesurés.

Impact environnemental : la plupart des outils ne fournissent qu’un aperçu réducteur

Les impacts numériques sont sou­vent éval­ués de manière trop restric­tive. En effet, les out­ils d’é­val­u­a­tion se con­cen­trent majori­taire­ment sur les effets de pre­mier ordre (directs), comme les impacts directs du cycle de vie des appareils, l’ex­trac­tion, la fab­ri­ca­tion, le trans­port, l’u­til­i­sa­tion, l’élim­i­na­tion des matéri­aux pour les com­posants et le coût envi­ron­nemen­tal de l’ex­ploita­tion des cen­tres de don­nées, plutôt que sur les con­sid­éra­tions socio-économiques. C’est le cas, par exem­ple, du bilan car­bone (Bilan Car­bone ©) large­ment util­isé ou des out­ils d’é­val­u­a­tion directe du cycle de vie.

Cela est per­ti­nent pour le report­ing car­bone, mais ignore les effets d’en­traîne­ment de la tech­nolo­gie, avec entre autres les boucles de rétroac­tion, comme les effets de rebond, aus­si le développe­ment des infra­struc­tures et les change­ments de com­porte­ment. Prenons l’ex­em­ple du déploiement de la 5G3. À pre­mière vue, la 5G est un atout pour l’en­vi­ron­nement. Elle trans­met plus de giga­bits par unité d’én­ergie, donc son util­i­sa­tion devrait réduire l’én­ergie util­isée pour trans­met­tre des infor­ma­tions. Cepen­dant, si la 5G met effec­tive­ment le stream­ing ultra-haute déf­i­ni­tion à la portée de tous, don­nant accès à des con­tenus rich­es en don­nées toute la journée, partout et à des prix réduits. Cette facil­ité d’ac­cès entraîne une aug­men­ta­tion de la demande, ce qui alour­dit l’im­pact de la tech­nolo­gie, notam­ment sur l’émission des gaz à effet de serre. De plus, une demande accrue implique davan­tage d’in­fra­struc­tures et de matériel, et donc davan­tage de métaux pré­cieux, d’én­ergie, d’émis­sions de car­bone et de dom­mages pour la san­té humaine tout au long du proces­sus de fabrication.

Il existe des par­al­lèles his­toriques. Tout en appor­tant d’énormes gains d’ef­fi­cac­ité, la mécan­i­sa­tion, l’élec­tri­fi­ca­tion et l’au­toma­ti­sa­tion ont toutes aug­men­té la con­som­ma­tion totale d’én­ergie4 et l’u­til­i­sa­tion des ressources à long terme. Le secteur numérique sem­ble suiv­re la même ten­dance. Ce que nous pro­posons d’ap­pel­er les « effets sys­témiques » (plus sou­vent appelés dans la lit­téra­ture effets de sec­ond et troisième ordre, regroupant les change­ments indi­rects de com­porte­ment, la crois­sance de la demande et les trans­for­ma­tions macroé­conomiques) ne sont générale­ment pas pris en compte par les out­ils d’é­val­u­a­tion, selon notre analyse.

Il existe cer­tains out­ils per­me­t­tant de saisir les effets de sec­ond et de troisième ordre, mais ceux-ci peu­vent être impré­cis et biaisés. Cela con­duit à des éval­u­a­tions extrême­ment opti­mistes, comme la pro­jec­tion de la Glob­al e‑Sustainability Ini­tia­tive (GeSI)5 selon laque­lle les TIC pour­raient réduire les émis­sions mon­di­ales de GES de 20 % d’i­ci 2030, ou l’af­fir­ma­tion de la GSMA6 selon laque­lle les réseaux mobiles ont « évité » dix fois leurs émis­sions directes7. D’autres out­ils peu­vent être gour­mands en don­nées et dif­fi­ciles à appli­quer au niveau organ­i­sa­tion­nel, comme l’analyse du cycle de vie con­séquen­tiel (CLCA)8, qui peut pro­duire des scé­nar­ios plutôt que des chiffres pré­cis. Ces out­ils, plus per­ti­nents pour l’analyse sys­témique, mais égale­ment plus com­plex­es, sont peu util­isés par les organisations.

Nous con­sta­tons ain­si que, ren­dre les méth­odes d’é­val­u­a­tion plus rigoureuses et plus pré­cis­es peut aus­si les ren­dre si com­plex­es qu’elles ne per­me­t­tent plus d’ap­pren­dre ou de con­duire le changement.

Un changement culturel, et pas seulement un calcul, est nécessaire

Même la meilleure méth­ode est impuis­sante si elle reste l’a­panage des spé­cial­istes. De nom­breuses organ­i­sa­tions exter­nalisent l’empreinte numérique et ne reçoivent en retour qu’un rap­port. Cepen­dant, l’ap­pren­tis­sage et le change­ment poten­tiel de men­tal­ité se pro­duisent au cours du proces­sus lui-même, et pas seule­ment lors de la pro­duc­tion des chiffres fin­aux. Les recherch­es mon­trent que les out­ils ne peu­vent sus­citer le change­ment que s’ils sont inté­grés dans les rou­tines, dis­cutés entre les équipes et réex­am­inés au fil du temps. Con­fron­tées à des objec­tifs envi­ron­nemen­taux non atteints, cer­taines entre­pris­es s’engagent dans un retour en arrière, abais­sant leurs objec­tifs plutôt que de chang­er de stratégie, et main­ti­en­nent le « statu quo » sous un autre label écologique.

Notre analyse sug­gère que la dynamique envi­ron­nemen­tale de la numéri­sa­tion néces­site de pass­er d’une approche sta­tique et attribu­tive à une approche plus dynamique, sys­témique et con­séquente. Il faut pass­er d’un report­ing isolé à un appren­tis­sage col­lab­o­ratif, et de dis­cours ras­sur­ants à un réal­isme fondé sur des preuves. Nous pro­posons d’u­tilis­er les approches ouvertes comme levi­er pour y par­venir. Les approches ouvertes ren­dent les résul­tats plus représen­tat­ifs et plus faciles à reli­er à leurs hypothès­es sous-jacentes. Elles per­me­t­tent aux organ­i­sa­tions d’ap­préhen­der ces méth­odes, même sans bud­get impor­tant. Enfin, nous avons besoin de recherch­es con­crètes sur la manière dont ces méth­odes sont appliquées dans la pra­tique, afin de com­pren­dre com­ment elles aident réelle­ment les organ­i­sa­tions à appren­dre et à se transformer.

1https://​www​.iso​.org/​s​t​a​n​d​a​r​d​/​3​7​4​5​6​.html
2https://www.itu.int/rec/T‑REC‑L.1410/fr
3https://​www​.poly​tech​nique​-insights​.com/​d​o​s​s​i​e​r​s​/​d​i​g​i​t​a​l​/​5​g​-​6​g​/​5​g​-​a​m​e​l​i​o​r​a​t​i​o​n​-​o​u​-​a​g​g​r​a​v​a​t​i​o​n​-​d​u​-​b​i​l​a​n​-​c​a​r​bone/
4https://www.annales.org/re/2021/re101/2021–01-03.pdf
5https://​unfc​cc​.int/​n​e​w​s​/​i​c​t​-​c​a​n​-​r​e​d​u​c​e​-​e​m​i​s​s​i​o​n​s​-​a​n​d​-​b​o​o​s​t​-​e​c​o​n​o​m​y​-​b​y​-​t​r​i​l​lions
6[NDLR : la Glob­al Sys­tem for Mobile Com­mu­ni­ca­tion est une asso­ci­a­tion inter­na­tionale regroupant les acteurs tra­vail­lant dans le domaine de la télé­com­mu­ni­ca­tion]
7https://​www​.gsma​.com/​s​o​l​u​t​i​o​n​s​-​a​n​d​-​i​m​p​a​c​t​/​c​o​n​n​e​c​t​i​v​i​t​y​-​f​o​r​-​g​o​o​d​/​e​x​t​e​r​n​a​l​-​a​f​f​a​i​r​s​/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​1​9​/​1​2​/​G​S​M​A​_​E​n​a​b​l​e​m​e​n​t​_​E​f​f​e​c​t.pdf
8https://​con​se​quen​tial​-lca​.org/​c​l​c​a​/​w​h​y​-​a​n​d​-​when/

Soutenez une information fiable basée sur la méthode scientifique.

Faire un don