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Comment le système financier gère-t-il le risque de transition climatique ?

Vincent Bouchet
Vincent Bouchet
chercheur à l'EDHEC Business School
En bref
  • Au-delà des risques physiques du réchauffement climatique, il existe un « risque de transition » qui implique la transition écologique pour le système financier.
  • Ce risque de transition provient des différents changements réglementaires imposés lors d’une transition vers une économie bas-carbone.
  • Les entreprises liées au secteur des énergies fossiles et de la production d’électricité sont particulièrement exposées au risque de transition.
  • Pour ces dernières, les investisseurs prennent déjà partiellement en compte le risque de transition, ce qui impacte le coût de leur dette.
  • La prise en compte du risque de transition est nécessaire pour les pouvoirs publics, les entreprises, ainsi que le système financier, afin d’éviter un choc systémique.

Le risque de tran­si­tion cor­re­spond à l’ensemble des risques liés aux efforts de réduc­tion du réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Une des sources de ce risque de tran­si­tion est la régle­men­ta­tion, avec ses instru­ments comme la fix­a­tion du prix du car­bone, les tax­es, seuils et quo­tas, pour inciter les entre­pris­es à réduire leurs émis­sions de gaz à effet de serre. Le pas­sage à une économie bas car­bone implique donc de nom­breuses trans­for­ma­tions pour les entre­pris­es. D’un point de vue financier, ces boule­verse­ments génèrent une incer­ti­tude, qui se traduit en ter­mes de risques financiers, avec une crainte de baisse de l’activité, puis des revenus, et un effet pos­si­ble sur le sys­tème financier. 

Pourquoi le risque de tran­si­tion est-il une notion impor­tante à étudi­er dans la lutte con­tre le réchauf­fe­ment climatique ?

Quand on par­le de réchauf­fe­ment cli­ma­tique, on pense en pre­mier lieu aux risques physiques, comme les inon­da­tions et les cat­a­stro­phes naturelles. Or, pour baiss­er les émis­sions de gaz à effet de serre, les secteurs émet­teurs vont devoir se trans­former, ce qui va entraîn­er des boule­verse­ments économiques. Le risque de tran­si­tion est la con­séquence des efforts poli­tiques et socié­taux pour atténuer le change­ment cli­ma­tique. En 2015, Mark Car­ney, alors gou­verneur de la Banque d’Angleterre, évoque les tran­si­tions mul­ti­ples à venir, qui risquent de désta­bilis­er l’économie et la finance. L’Accord de Paris est signé quelques semaines après par 180 par­ties, et prévoit, entre autres, de main­tenir l’augmentation de la tem­péra­ture moyenne à 2 °C d’ici 2100, avec un objec­tif de 1,5 °C, par rap­port à la tem­péra­ture moyenne de l’ère préindustrielle. 

La régle­men­ta­tion est, à la fois, une des sources du risque de tran­si­tion et une manière de le prévenir. 

Si les investis­seurs insti­tu­tion­nels pensent qu’une tran­si­tion va avoir lieu, ils peu­vent avoir ten­dance à ven­dre les act­ifs les plus exposés de leur porte­feuille à cette tran­si­tion, par exem­ple des entre­pris­es pétrolières. À l’échelle du sys­tème financier, ce phénomène peut entraîn­er des déval­ori­sa­tions soudaines et avoir un effet de domi­no sur d’autres insti­tu­tions finan­cières. Plus la tran­si­tion qu’on envis­age est rad­i­cale, plus le risque aug­mente. Il existe donc une ten­sion entre la tran­si­tion néces­saire pour lut­ter con­tre le change­ment cli­ma­tique et le risque de tran­si­tion. Cette notion peut être util­isée à bon ou mau­vais escient. 

Quels boule­verse­ments les entre­pris­es peu­vent-elles subir face à ce risque de transition ? 

Les entre­pris­es les plus exposées sont dans la néces­sité de chang­er de mod­èle d’activité, sans quoi elles peu­vent con­naître une baisse d’activité puis de revenus, ou encore une aug­men­ta­tion des coûts. Un autre effet, plus sub­til, peut con­cern­er la déval­ori­sa­tion des act­ifs, à l’image des entre­pris­es pétrolières détenant des réserves d’énergie fos­sile. Ces entre­pris­es subis­sent un effet direct du risque sur leurs ventes, et un effet futur qui est lié à leurs émis­sions à venir. Cet effet futur peut d’ores et déjà être analysé en obser­vant non seule­ment les réserves détenues, mais encore les investisse­ments à long terme réal­isés dans des pro­jets d’extraction d’énergie fos­sile. Sur les marchés financiers, la valeur d’un titre peut baiss­er, non pas parce que ses activ­ités ont bais­sé aujourd’hui, mais car le marché estime que ses activ­ités vont baiss­er dans le futur et que ses réserves ne vau­dront plus grand-chose dans un scé­nario bas-carbone.

Votre étude s’intéresse au rap­port entre les acteurs financiers et le risque de tran­si­tion. Quel est le point de départ de votre tra­vail ? Quelle méth­ode avez-vous util­isée pour étudi­er ce rapport ? 

Dans un précé­dent arti­cle1, nous avions d’abord ten­té de savoir quels secteurs étaient les plus exposés au risque de tran­si­tion. Nous avions en par­ti­c­uli­er mis en avant ceux des éner­gies fos­siles, de la pro­duc­tion d’électricité, et des matéri­aux. Nous nous sommes ensuite demandé dans quelle mesure ces risques étaient déjà pris en compte par les acteurs financiers. 

Les investis­seurs ont-ils con­science de ces secteurs par­ti­c­ulière­ment exposés ? Pour le savoir, nous avons étudié le coût de la dette, soit le taux d’intérêt d’un emprunt. Nous avons col­lec­té des don­nées sur 200 entre­pris­es appar­tenant à des secteurs plus ou moins sen­si­bles au risque de tran­si­tion entre 2012 et 2017. Nous avons con­stru­it deux scores, un « risque actuel », à par­tir des émis­sions de gaz à effet de serre et de la pro­duc­tion d’énergies fos­siles, et un « risque futur », à par­tir des réserves d’énergie fos­sile et des investisse­ments liés au gaz et au pétrole.

Les investis­seurs retran­scrivent-ils alors le risque de tran­si­tion dans le coût de la dette des entre­pris­es les plus exposées ? 

Les investis­seurs sem­blent inté­gr­er en par­tie le risque de tran­si­tion dans le coût de la dette, qui évolue en fonc­tion du risque actuel. En revanche, on ne trou­ve pas de cor­réla­tion avec le risque futur – soit avec les réserves de pét­role ou les investisse­ments dans des éner­gies pol­lu­antes. Cepen­dant, il sem­ble qu’un change­ment s’opère en 2015, une année charnière, avec le dis­cours de Mark Car­ney et l’Accord de Paris. Le résul­tat est, toute­fois, à pren­dre avec des pincettes, l’étude ne per­me­t­tant pas de savoir si le coût de la dette aug­mente de manière suff­isante pour cou­vrir l’ampleur des risques potentiels. 

Quel rôle joue la régle­men­ta­tion dans le risque de transition ? 

La régle­men­ta­tion est, à la fois, une des sources du risque de tran­si­tion et une manière de le prévenir. À tra­vers le prix du car­bone, par exem­ple, les pou­voirs publics imposent aux insti­tu­tions finan­cières et non-finan­cières de pren­dre en compte ce risque et de l’anticiper. Il y a, par ailleurs, des exi­gences régle­men­taires en ter­mes de trans­parence sur la ges­tion de ce risque : les insti­tu­tions doivent faire des plans et com­mu­ni­quer sur leur manière de gér­er ces nou­velles règles. Le régu­la­teur fait donc en sorte que les acteurs économiques anticipent au mieux les tran­si­tions à venir pour éviter des chocs économiques et financiers importants. 

Que pré­conisez-vous pour une meilleure prise en compte de ce risque de tran­si­tion par le sys­tème financier ? 

Il faudrait ren­forcer les exi­gences de prise en compte des risques cli­ma­tiques par les insti­tu­tions finan­cières, et deman­der plus de trans­parence afin d’éviter les pris­es en compte trop tar­dives qui pour­raient causer des effets sys­témiques. Pour cela, il faut mul­ti­pli­er les exer­ci­ces de sim­u­la­tion de prise en compte de risque, comme les tests de résis­tance. Il y en a déjà eu, en France, mais aus­si au niveau de la Banque cen­trale européenne. Sur le risque de tran­si­tion future, il faudrait que les investis­seurs soient incités à ral­longer leurs hori­zons de ges­tions de risque. Actuelle­ment, c’est 2 ou 3 ans, or, les risques – physiques ou de tran­si­tion – sont à plus long terme : il faudrait les gér­er sur 10, 20 ou 30 ans. 

Sirinie Azouaoui
1Bouchet, V., & Le Guenedal, T. (2022). Sen­si­bil­ité du risque de crédit au prix du car­bone. Revue économique, 73(2), 151–172.

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