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Garbage pile in trash dump or landfill. Pollution concept.
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Déchets plastiques : la nécessité d’agir vite pour ne pas être submergé

Isabelle Méjean
Isabelle Méjean
professeure d'économie à Sciences Po
julien martin
Julien Martin
professeur au département des Sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal (ESG-UQAM) et chercheur associé au CREST et au CEPR

[Cet arti­cle est la syn­thèse d’une note pub­liée par l’Institut des poli­tiques publiques. Pour lire le texte orig­i­nal, cliquez ici.]

En jan­vi­er 2021, la Com­mis­sion européenne a inter­dit l’ex­por­ta­tion de déchets dif­fi­ciles à recy­cler vers les pays non-mem­bres de l’OCDE. Nous avons éval­ué l’im­pact poten­tiel de cette nou­velle mesure pour les expor­ta­teurs français en la com­para­nt avec celle de la Chine, qui a bru­tale­ment décidé de ban­nir les impor­ta­tions de déchets plas­tiques en 2017.

Le plastique comme matière première

On estime que 6,3 mil­liards de tonnes de déchets plas­tiques ont été pro­duites dans le monde entre 1950 et 20151. Seuls env­i­ron 20 % de ces déchets ont été recy­clés ou inc­inérés. Le reste s’est accu­mulé dans des décharges ou dans la nature2. Les déchets plas­tiques sont main­tenant un bien com­mer­cial­isé ven­du à la tonne. En théorie, les pays en développe­ment (à faible coût de main d’œuvre) devraient pou­voir en tir­er un prof­it économique en les impor­tant, mais en pra­tique, la plu­part d’en­tre eux ne dis­posent pas d’infrastructures adéquates pour les traiter cor­recte­ment. Ils se con­tentent donc de les met­tre en décharge.

Mal­gré la Con­ven­tion de Bâle sur le con­trôle des mou­ve­ments trans­frontal­iers de déchets dan­gereux et de leur élim­i­na­tion, signée en 1989 pour pro­téger ces pays con­tre le « dump­ing » écologique, les expor­ta­tions de déchets nocifs sont restées élevées. Pour con­tr­er ce phénomène, cer­tains pays émer­gents ont adop­té des mesures uni­latérales. La plus rad­i­cale d’en­tre elles a été l’in­ter­dic­tion en 2017 de la Chine, qui ne souhaitait plus être « la poubelle du monde » (fig­ure 1). 

Jusqu’en 2018, la Chine était le pre­mier impor­ta­teur mon­di­al de déchets plastiques.

Cette mesure a non seule­ment changé le statu quo de la ges­tion des déchets plas­tiques à l’échelle mon­di­ale, mais elle a égale­ment révélé de façon dra­ma­tique des carences nationales. Tant et si bien que l’Europe a dû réa­gir. En effet, la Com­mis­sion européenne a adop­té une nou­velle régle­men­ta­tion à compter du 1er jan­vi­er 2021, tant au sein de l’UE qu’en­tre l’UE et le reste du monde. À l’ex­cep­tion des déchets pro­pres envoyés pour recy­clage, l’ex­por­ta­tion de déchets plas­tiques de l’UE vers des pays non-mem­bres de l’OCDE (c’est-à-dire les pays peu indus­tri­al­isés) est désor­mais inter­dite. Les expor­ta­tions vers les pays de l’OCDE et au sein de l’UE sont égale­ment plus stricte­ment réglementées.

L’interdiction de la Chine comme point de comparaison

La France a exporté 4 mil­lions de tonnes métriques (Mt) de déchets plas­tiques entre 2010 et 2019. Env­i­ron un quart de ces déchets a été expédié prin­ci­pale­ment vers la Chine, le reste a été envoyé majori­taire­ment vers d’autres pays de l’UE. Pour mieux prévoir l’im­pact des nou­veaux change­ments régle­men­taires mis en place par la Com­mis­sion européenne, nous avons analysé com­ment les expor­ta­teurs français s’étaient adap­tés à l’in­ter­dic­tion chi­noise – en ter­mes de quan­tités exportées, de des­ti­na­tions et de prix. 

Nous avons util­isé un ensem­ble de don­nées fournies par les douanes français­es, qui ne pren­nent cepen­dant pas en compte le com­merce clan­des­tin, dif­fi­cile à estimer. Nous avons com­paré l’évolution de deux groupes d’entreprises à la suite de la déci­sion chi­noise. Le pre­mier (que nous avons nom­mé le « groupe traité ») expor­tait active­ment vers la Chine en 2016 ou 2017. Le deux­ième (le « groupe témoin ») n’ex­por­tait pas vers ces destinations. 

Que montre l’étude ?

Un effon­drement du com­merce mon­di­al de déchets plas­tiques, qui a été divisé par deux dès 2018. Elle souligne égale­ment que la moitié des déchets précédem­ment dirigés vers la Chine a été réori­en­tée vers d’autres pays (fig­ure 2). Donc, le prob­lème a en grande par­tie été déplacé.

L’impact de l’interdiction chi­noise sur les expor­ta­teurs français de déchets plas­tiques vers la Chine.

En ce qui con­cerne la France, elle a aug­men­té ses expor­ta­tions vers la Malaisie et d’autres pays d’Asie de l’Est, mais pas vrai­ment vers l’UE, ce qui implique que ce dernier marché était déjà sat­uré. Dans l’ensem­ble, ses expor­ta­tions ont chuté de 30 000 tonnes en 2018, ce qui sug­gère qu’une plus grande quan­tité de déchets plas­tiques a dû être traitée au niveau nation­al. Les entre­pris­es français­es traitées étaient égale­ment 15 % plus sus­cep­ti­bles d’ex­porter vers l’UE en 2018, et 22 % plus sus­cep­ti­bles en 2019. Les chiffres sont plus élevés pour les expor­ta­tions en dehors de l’UE, avec une aug­men­ta­tion addi­tion­nelle de 39 % en 2018 et 37 % en 2019.

Nous avons cepen­dant con­staté que la dynamique est assez dif­férente pour les deux ensem­bles de des­ti­na­tions : les entre­pris­es traitées ont immé­di­ate­ment réa­gi en redirigeant leurs expor­ta­tions vers des pays extérieurs à l’UE, mais égale­ment vers des parte­naires européens, à par­tir de 2018 mais surtout en 2019. Une péri­ode de temps plus longue serait néces­saire pour con­firmer ces tendances.

La qualité des exportations françaises et les prix

L’in­ter­dic­tion de la Chine a égale­ment eu un impact sur le type de déchets plas­tiques exportés par la France vers dif­férents pays. Les don­nées indiquent que la Malaisie a pris la place de la Chine pour les déchets de mau­vaise qual­ité. Ces derniers sont ven­dus en moyenne 60 % moins cher que le prix moyen des expor­ta­tions vers les Pays-Bas (un parte­naire com­mer­cial impor­tant pour la France) pour les mêmes caté­gories de produits.

De plus, les pays européens sem­blent avoir réor­gan­isé la ges­tion de leurs déchets plas­tiques, avec une forme de spé­cial­i­sa­tion. La Bel­gique est dev­enue une plate­forme, tan­dis que l’Allemagne et les Pays-Bas impor­tent les déchets les moins chers pour les brûler et pro­duire une énergie en prove­nance du recy­clage. Cer­tains pays, comme l’Italie et l’Espagne, sem­blent se spé­cialis­er dans le traite­ment de déchets de meilleure qual­ité, plus chers.

Conclusions

La manière dont l’in­ter­dic­tion chi­noise de 2017 a affec­té les expor­ta­tions français­es à la fois au sein du marché européen et dans le reste du monde peut fournir des infor­ma­tions pré­cieuses sur la façon dont la France s’adaptera à la nou­velle régle­men­ta­tion européenne de 2021. Une con­séquence impor­tante : une grande par­tie des déchets français dif­fi­ciles à recy­cler devront désor­mais être traités au niveau nation­al. À court terme, cela néces­sit­era un investisse­ment mas­sif dans des capac­ités de tri et de recy­clage mod­ernes et effi­caces – surtout si nous voulons éviter l’augmentation du com­merce illé­gal dans ce secteur lucratif, ce qui arrive générale­ment lorsque l’on durcit les règles sans investir.

Notre étude donne des pistes pour agir vite en util­isant les plans tels que le Pacte vert pour l’Eu­rope, qui vise à recy­cler 50 % des déchets plas­tiques générés par l’UE d’i­ci 2030. Grâce à une coor­di­na­tion intra-UE, le com­merce des déchets plas­tiques pour­rait devenir une source de gains économiques pour notre con­ti­nent d’i­ci 2030, tout en prof­i­tant à l’environnement.

Synthèse par Isabelle Dumé
1https://​advances​.sci​encemag​.org/​c​o​n​t​e​n​t​/​3​/​7​/​e​1​7​00782
2https://​sci​ence​.sci​encemag​.org/​c​o​n​t​e​n​t​/​3​4​7​/​6​2​2​3/768

Auteurs

Isabelle Méjean

Isabelle Méjean

professeure d'économie à Sciences Po

Isabelle Méjean est professeure d'économie à Sciences Po. Membre du CEPR depuis 2017, elle est aussi conseillère scientifique au CEPII et membre du réseau de recherche CESifo depuis janvier 2025. Elle a été professeure titulaire à l'École polytechnique (IP Paris) de 2017 à 2021.

julien martin

Julien Martin

professeur au département des Sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal (ESG-UQAM) et chercheur associé au CREST et au CEPR

Les intérêts de recherche de Julien Martin sont liés au commerce international, à l’économie urbaine et à la macroéconomie. Il est titulaire de la Chaire de recherche de l’UQAM sur l’impact local des firmes multinationales depuis 2019.

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