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Écologie post-mortem : l’essor des « obsèques vertes »

Martin Julier-costes
Martin Julier-Costes
sociologue, chercheur associé à l'Université Grenoble Alpes
En bref
  • En France, seuls trois modes de sépulture sont légaux : l’inhumation, la crémation et le don de son corps à la science.
  • Toutefois, ces méthodes ont un impact écologique conséquent, puisque selon une étude une seule mise en bière génère 833 kg de CO2.
  • Aujourd’hui des alternatives plus écologiques émergent : la promession, l’aquamation ou encore la terramation.
  • Ces « obsèques vertes » illustreraient les aspirations écologiques sociétales, avec des modes de sépultures synonymes d’un retour à la terre spirituel.
  • Parallèlement, les cimetières évoluent vers des espaces plus verts et accueillants pour la biodiversité.

Les rites funéraires n’échappent pas à la tran­si­tion écologique. Tan­dis que des modes de sépul­tures alter­nat­ifs van­tant la promesse d’un retour à la terre émer­gent à petits pas, les modal­ités tra­di­tion­nelles d’inhumation et de cré­ma­tion enga­gent une réduc­tion de leur impact écologique, notam­ment avec des cimetières plus verts.

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur la mort.
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Pour André Mal­raux, « la plus belle sépul­ture, c’est la mémoire des hommes ». La plus écologique, en revanche, reste à déter­min­er. Nous sommes ain­si de plus en plus soucieux de l’impact envi­ron­nemen­tal de notre mort, mais nous faisons tou­jours face à un choix lim­ité. « Seuls deux modes de sépul­ture sont légaux en France », annonce Mar­tin Juli­er Costes, soci­o­logue spé­cial­iste des ques­tions de fin de vie et de deuil. Il s’agit de l’inhumation et la cré­ma­tion. « Il existe bien une troisième voie, au tra­vers du don de son corps à la sci­ence, pré­cise-t-il, mais très rares sont les per­son­nes à faire ce choix ». La majorité (6 sur 10) des sépul­tures con­sis­tent ain­si en des inhu­ma­tions. La cré­ma­tion, quant à elle, gagne en suc­cès depuis « la fin du 19e et l’autorisation de se faire cré­ma­tis­er ». Elle atteint 41 % des obsèques en 2022 selon l’Association Française d’Information Funéraire (Afif) et dépasse les 50 % dans de nom­breuses agglomérations.

Ces rites funéraires ont une empreinte écologique non-nég­lige­able. Ils génèrent des émis­sions de gaz à effet de serre, con­som­ment des ressources naturelles et pol­lu­ent les sols. Une des seules études français­es sur le sujet1, com­mandée en 2017 par les ser­vices funéraires de la Ville de Paris éval­u­ait à 833 kg de CO2 les émis­sions car­bones pro­duites par une seule mise en bière. L’équivalent d’environ 4 000 km en voiture indi­vidu­elle ou de la pro­duc­tion de 741 litres… de bière.

Des alternatives encore balbutiantes

Si des solu­tions plus écologiques émer­gent pour ren­dre hom­mage aux défunts, aucune n’est encore légal­isée en France. Il existe la promes­sion, une ini­tia­tive sué­doise encore bal­bu­tiante et encore non-expéri­men­tée, qui con­siste à utilis­er le froid extrême (un bain d’azote liq­uide) pour con­gel­er puis réduire le corps en poudre. Le tour d’horizon des obsèques vertes con­tin­ue avec l’aqua­ma­tion, une tech­nique inverse, qui dis­sout le corps dans une solu­tion alca­line à 93 °C, avant de trans­former les osse­ments en poudre. « Cette méth­ode est légale en Amérique du Nord, pré­cise le soci­o­logue, mais son effi­cac­ité tech­nique reste à démon­tr­er ».

D’un élé­ment à l’autre, la ter­ra­ma­tion ne mobilise pas de procédés liq­uides, mais con­siste à « ren­dre le corps humain à l’état d’humus ». Un com­postage humain autrement dit, qui peut s’opérer à trois étages dif­férents. Au sol d’abord, avec un procédé d’humu­sa­tion où le cadavre est posé sur un lit de broy­at, puis recou­vert de matière organique. Hors-sol ensuite, au tra­vers de ce que pro­pose l’entreprise améri­caine Recom­pose, avec une décom­po­si­tion du corps en cap­sules (« récip­i­ents de recom­po­si­tion ») et la créa­tion d’un com­post en quelques semaines qui sera remis à la famille pour qu’elle le « retourne à la nature », dans un objec­tif de revi­tal­i­sa­tion des sols. Il existe enfin une tech­nique en sol, c’est-à-dire un enter­re­ment sans cer­cueil, en linceul et avec du broy­at pour activ­er et régénér­er les sols. Dans ce cas, « on refait du nou­veau avec du vieux, pré­cise Mar­tin Juli­er Costes, car le cer­cueil n’a été imposé qu’à l’époque de Napoléon en France ».

Le retour à la terre

Pour le chercheur, qui partage ses réflex­ions et travaux sur sa page per­son­nelle2, toutes ces ini­tia­tives mobilisent l’imaginaire « de la douceur, (…) des élé­ments naturels et du retour à la terre ». Mais leur développe­ment ne s’explique pas seule­ment par une mon­tée en puis­sance des aspi­ra­tions écologiques dans la société. « Cer­taines per­son­nes s’intéressent au des­tin de leur corps en s’inspirant des nou­velles spir­i­tu­al­ités, notam­ment celles issues de courants ori­en­tal­istes comme l’hindouisme, la médi­a­tion ou le boud­dhisme ». Leur démarche est alors motivée par une cer­taine cohérence entre la vie, le corps, la nature et l’esprit. L’imaginaire du retour à la terre est ain­si sin­gulière­ment présent dans le procédé de ter­ra­ma­tion, avec l’idée de « créer un cycle vertueux entre la vie et la mort, en régénérant la nature » après l’avoir habitée un cer­tain temps. « D’autres cadres men­taux sont asso­ciés à cette dynamique, pour­suit-il, à l’instar de l’animalisme, du chaman­isme, ou encore de la nou­velle philoso­phie du vivant que por­tent des intel­lectuels comme Philippe Desco­la ou Bap­tiste Mori­zot ».

Par­al­lèle­ment, le soci­o­logue observe une indi­vid­u­al­i­sa­tion crois­sante des com­porte­ments soci­aux, qui expli­querait une « mon­tée en puis­sance de la per­son­nal­i­sa­tion des obsèques ». Il s’agit d’une nou­velle manière de se démar­quer, en organ­isant « des obsèques à son image hors des modes clas­siques de sépul­tures » trop asso­ciés à des dogmes religieux ou cul­turels dominants.

Du champ de pierres tombales au jardin de repos

En atten­dant la légal­i­sa­tion de cer­tains de ces rites funéraires éco­los, les pre­mières mesures à pren­dre pour dimin­uer l’impact envi­ron­nemen­tal de nos obsèques sont à chercher du côté des cimetières. Les espaces sépul­craux français sont, en effet, essen­tielle­ment grav­il­lon­nés et minéraux. « L’inhumation avec con­struc­tion d’un caveau et pose d’un mon­u­ment, sou­vent importé du Sud-Est asi­a­tique, équiv­aut aux émis­sions de gaz à effet de serre de plus de 5 cré­ma­tions » aler­tent, dans leur étude, les ser­vices funéraires de la ville de Paris.

Dans ce con­texte, il con­vient d’opérer une tran­si­tion pour pass­er du champ de pier­res tombales au jardin de repos. « Nos cimetières devi­en­nent petit à petit des espaces paysagers et plus verts » observe Mar­tin Juli­er Costes, à l’instar de celui du Père Lachaise à Paris ou de cer­tains autres à Niort, Ver­sailles, Lyon ou encore Greno­ble. Fouines, renards, chou­ettes hulotte y évolu­ent libre­ment aux côtés de 140 autres espèces ani­males et « plus de 220 espèces végé­tales sauvages (…) observées de 2010 à 2020 » selon la mairie de Paris.

La récente étude « Cimetières vivants » menée par l’agence de la bio­di­ver­sité d’Île-de-France démon­tre que ces espaces ont « une capac­ité d’accueil intéres­sante pour la bio­di­ver­sité ». Ils demeurent néan­moins « forte­ment minéral­isés » appelant à une réelle poli­tique de végé­tal­i­sa­tion ? Celle-ci béné­ficierait tant à l’épanouissement de la vie sauvage, qu’aux habi­tants (l’effet poumon vert urbain), qu’à celles et ceux qui y reposent ou aspirent à le faire en matière d’acceptabilité écologique. Il reste à « faire adopter cette trans­for­ma­tion auprès des agents et des citoyens, pointe Mar­tin Juli­er Costes, qui sig­nale que de plus en plus de col­lec­tiv­ités « se sai­sis­sent poli­tique­ment du verdisse­ment du funéraire » comme c’est le cas à Lyon.

S’emparer politiquement des obsèques vertes

Le tableau n’est pas com­plet et des angles morts sub­sis­tent dans l’analyse de l’empreinte écologique des obsèques. « Il n’existe par exem­ple pas d’étude solide, asso­ciant biolo­gie, hydrolo­gie et chimie, pour étudi­er les impacts envi­ron­nemen­taux de l’inhumation et de la cré­ma­tion sur le sol, l’air ou encore le cycle de l’eau, ou encore con­cer­nant la thanato­prax­ie et les soins asso­ciés », remar­que le soci­o­logue. L’étude man­datée par les ser­vices funéraires de la ville de Paris « est intéres­sante, de son point de vue, mais demeure insuff­isante ».

Il appelle donc les pou­voirs publics à s’emparer de la ques­tion, afin d’objectiver cet impact envi­ron­nemen­tal, pour ensuite pren­dre les mesures néces­saires au verdisse­ment du funéraire, et demain — peut-être — nous lover dans un cocon végé­tal et laiss­er le sol dis­pos­er de notre sépul­ture. Naturellement ?

Samuel Belaud
1https://www.servicesfuneraires.fr/wp-content/uploads/2018/07/2017-SFVP-Durapole-Verteego-Etude-sur‑l%E2%80%99empreinte-environnementale-des-rites-funeraires-CP.pdf
2mort​-anthro​polo​gie​.com/​a​u​t​h​o​r​/​m​j​u​l​i​e​r​-​c​ostes

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