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Que sont le vieillissement et la mort d’un point de vue biologique ?

Alexis Gautreau
Alexis Gautreau
président du Département de biologie de l'Ecole polytechnique (IP Paris)
Clémence Guillermain
Clémence Guillermain
post-doctorante spécialisée dans le vieillissement à Nantes Université
En bref
  • La mort est un concept biologique et philosophique au croisement de ces deux disciplines, ce qui complique sa définition concrète.
  • Dans de nombreuses langues, le mot « mort » désigne un état, un processus et un événement. Sa compréhension nécessite une perspective philosophique et une observation cellulaire.
  • Les recherches actuelles se concentrent sur le vieillissement, car repousser la mort implique de ralentir le processus de vieillissement pour maintenir une « vie bonne ».
  • Les études sur la longévité indiquent que la restriction calorique augmenterait l’espérance de vie et ce, jusqu’à 50 % chez certaines espèces.
  • Aujourd’hui, même si le lien entre longévité et alimentation est certain, le processus de la mort est plus complexe et reste à étudier.

Associ­er philoso­phie et biolo­gie peut paraître curieux. Pour­tant, de nom­breux sujets mobilisent les deux dis­ci­plines qui sont, en retour, néces­saires à leur com­préhen­sion. La mort en est un par­fait exem­ple. Cette réal­ité biologique reste un con­cept abstrait tant qu’on n’en a pas fait l’expérience dans nos vies. Mais aus­si abstrait soit-il, la mort repose bien sur une réal­ité biologique.

Cet arti­cle fait par­tie de notre mag­a­zine Le 3,14 sur la mort.
Décou­vrez-le ici.

Comment définir un concept aussi vague que présent dans nos vies ?

Clé­mence Guiller­main : C’est effec­tive­ment com­pliqué comme ques­tion, mais je pense qu’il y a de toute façon une clar­i­fi­ca­tion à faire entre ce qu’on appelle la mort, le vieil­lisse­ment ou encore la fin de vie. Le philosophe des sci­ences Philippe Hune­man a, juste­ment, beau­coup tra­vail­lé sur la philoso­phie de la mort. Dans son dernier livre1, il écrit que le mot « mort » désigne, dans de nom­breuses langues, au moins trois choses dif­férentes : un état, un proces­sus et un événe­ment. La mort est l’état dans lequel se trou­ve quelque chose qui est mort et qui a donc été vivant. C’est un proces­sus dans le sens où, à un moment don­né, l’organisme com­mence à mourir et meurt pro­gres­sive­ment jusqu’à être déclaré mort. Et c’est un événe­ment dans le sens où on peut iden­ti­fi­er, au moins en théorie, un moment pré­cis où l’organisme meurt.

Pour com­pren­dre ce qu’est la mort, il faudrait à la fois com­pren­dre cet événe­ment et les proces­sus par lesquels on y arrive. Mais com­ment les com­pren­dre si même leurs critères de déf­i­ni­tion dépen­dent des États, des con­ti­nents, ou même des cultures ?

Alex­is Gautreau : Ça peut dépen­dre un peu des cul­tures. Mais glob­ale­ment on par­le d’absence de pouls, de res­pi­ra­tion et d’électroencéphalogramme plat. Le prob­lème est qu’avec ces critères, il y a beau­coup de per­son­nes qui ont été déclarées clin­ique­ment mortes et qui sont « rev­enues » à la vie. Ce sont les fameuses expéri­ences de mort immi­nente (EMI), extrême­ment impres­sion­nantes, et c’est un aspect que la thèse de Clé­mence a pu abor­der. Les livres grand pub­lic, comme celui du doc­teur Moody2, rap­por­tent tous les mêmes témoignages, par exem­ple, l’impression de sor­tir de son corps ou bien voir la lumière au bout du tun­nel, quelles que soient les cul­tures et les croy­ances des per­son­nes. Nous auri­ons tous une hor­mone psy­chédélique, la diméthyl­trypt­a­mine (DMT), qui serait relarguée au moment fatal et qui nous aiderait à faire le pas­sage, le grand voy­age. Il y a très peu d’études sur la DMT, mais c’est fasci­nant. L’administration de DMT induit un état phys­i­ologique com­pa­ra­ble à celui atteint par les per­son­nes ayant fait une EMI3. Pourquoi l’évolution aurait-elle façon­né un tel sys­tème ? Faire le grand voy­age, ras­suré ou non, devrait être neu­tre du point de vue de la sélec­tion dar­wini­enne. Si l’hypothèse de la DMT relarguée au moment fatidique est vraie, ce qui est extrême­ment dif­fi­cile à démon­tr­er, il doit y avoir mal­gré tout une autre fonc­tion à cette hormone…

C. : C’est là où une ques­tion en amène une autre, et les deux ont ten­dance à se con­fon­dre. Selon Ernst Mayr4 la Biolo­gie du XXème siè­cle repose sur deux approches prin­ci­pales, avec des méth­odes et des ques­tion­nements dis­tincts. La biolo­gie des caus­es loin­taines (biolo­gie évo­lu­tion­niste) veut com­pren­dre pourquoi on meurt, mais aus­si pourquoi des car­ac­téris­tiques biologiques comme la mort et le vieil­lisse­ment n’ont pas été élim­inés par la sélec­tion naturelle. Alors que la biolo­gie des caus­es prochaines (fonc­tion­nal­istes) se demande com­ment un organ­isme meurt, c’est-à-dire quels sont les mécan­ismes sous-jacents qui font qu’un indi­vidu et ses organes se dégradent pro­gres­sive­ment jusqu’à sa mort.

Vers quelle question, les recherches actuelles sont-elles majoritairement orientées ? 

A. : Les recherch­es dépen­dent des appels d’offres et donc des finance­ments. Avant, il n’y avait que des appels d’offres sur les mal­adies pro­pre­ment dites, les can­cers, les mal­adies car­dio­vas­cu­laires et neu­rodégénéra­tives. Depuis une dizaine d’années, un accent très fort est mis sur le vieil­lisse­ment lui-même, parce qu’on a com­pris que même si l’on avait le remède mir­a­cle con­tre le can­cer ou Alzheimer, on mour­rait très vite d’autres choses après. Et donc ce qu’il faut, c’est repouss­er la mort en ralen­tis­sant le proces­sus de vieil­lisse­ment. Le but du jeu étant de décaler dans le temps toutes les mal­adies liées à l’âge, comme toutes celles que j’ai men­tion­nées, pour non seule­ment vivre longtemps, mais vivre longtemps en bonne santé !

C. : Oui, tu fais ici référence à Robert Wein­berg5 qui a mon­tré que, même si l’on par­ve­nait à guérir tous les can­cers (deux­ième cause de mor­tal­ité en France et aux États-Unis), on arriverait unique­ment à aug­menter l’espérance de vie d’environ trois ans.

A. : En tout cas, l’objectif de tout temps a plutôt été de savoir com­ment on meurt plutôt que pourquoi, même s’il y a main­tenant tous ces finance­ments con­sacrés à la longévité.

C. : Et le vieil­lisse­ment, lui aus­si, ce proces­sus qui nous mène tous irrémé­di­a­ble­ment à la mort, soulève de nom­breuses ques­tions. J’ai beau­coup tra­vail­lé dessus, et ne serait-ce que le définir est com­pliqué. À par­tir de quand vieil­lis­sons-nous ? Est-ce à par­tir de la nais­sance, de la matu­rité sex­uelle ou bien d’une forme de déclin qu’il faudrait arriv­er à iden­ti­fi­er ? Des mod­èles plus récents stip­u­lent que notre vieil­lisse­ment débute avec un ou plusieurs événe­ments pré­cis qui peu­vent être, comme l’a mon­tré Michael Rera, un de mes col­lègues, une aug­men­ta­tion dras­tique de la per­méa­bil­ité intesti­nale6, par exem­ple. Ce type de phénomène serait une indi­ca­tion d’entrée dans une fin de vie. 

A. : La per­méa­bil­ité intesti­nale est une mal­adie chronique des per­son­nes âgées, qui stim­ule énor­mé­ment le sys­tème immu­ni­taire. On s’attend à ce que tous les organes fonc­tion­nent moins bien lors du vieil­lisse­ment. En fait, c’est sou­vent le sys­tème immu­ni­taire qui fonc­tionne trop. Il devient moins dis­crim­i­nant et com­mence à atta­quer nos pro­pres organes. Les mal­adies « auto-immunes » endom­ma­gent les organ­ismes de nos aînés dans une pro­por­tion qui s’est accrue ces dernières décen­nies. Il sem­blerait tout de même qu’il reste pos­si­ble de repouss­er, ou de ralen­tir le vieil­lisse­ment. Il y a une inter­ven­tion toute sim­ple qui fonc­tionne dans beau­coup d’espèces, des lev­ures uni­cel­lu­laires, des mouch­es, des vers et des souris. En restreignant assez dras­tique­ment l’apport ali­men­taire à l’organisme, chaque espèce vivra un peu plus longtemps7. Après, plus l’organisme est sim­ple, plus le gain est élevé. Sur la lev­ure, la durée de vie est mul­ti­pliée par trois. Sur la souris, on n’est plus qu’à 50 % de gain. Chez l’homme, ce n’est évidem­ment pas démon­tré, car nous vivons déjà 80 ans en moyenne, et per­son­ne n’a fait l’expérience. Mais en gag­nant 50 %, on passerait d’une espérance de vie moyenne de 80 à 120 ans. Une autre expéri­ence a mon­tré qu’on peut isol­er des mutants qui vivent plus longtemps8. C’est une énorme sur­prise, parce que d’habitude, les mutants sont « mal fou­tus ». Alors que la plu­part de ces mutants qui vivent longtemps étaient touchés dans des gènes qui codaient pour des pro­téines impliquées dans la con­som­ma­tion de l’énergie apportée par l’alimentation. Les deux obser­va­tions vont absol­u­ment dans le même sens. C’est comme si notre métab­o­lisme avait été pro­gram­mé pour faire un cer­tain nom­bre de tours et qu’ensuite on avait un pro­gramme codé dans nos gènes pour nous faire mourir.

Si un tel programme existe, est-il possible d’intervenir dessus ?

A. : Si ce pro­gramme existe, cela sig­ni­fie qu’il a été con­servé et façon­né au cours de l’évolution des espèces. Quel serait l’avantage évo­lu­tif de nous faire mourir plus tôt ? Il sem­ble que le prix à pay­er pour cette longévité aug­men­tée en restric­tion calorique soit au niveau de la repro­duc­tion. En fait, si l’on vit avec un métab­o­lisme réduit, on arrivera certes à ralen­tir notre compte-tours, mais à côté, nous serons glob­ale­ment moins effi­caces, et notam­ment dans les dépens­es liées au fait de trou­ver un parte­naire sex­uel, de cop­uler, de pro­créer, d’amener ses petits à leur pro­pre matu­rité sex­uelle. Il y a une cer­taine logique à nous faire vivre à fond pen­dant 40 ans — le temps de faire tout ça — puis que nos capac­ités se dégradent lente­ment. Que nos capac­ités se dégradent lente­ment ou rapi­de­ment après, cela reste de toute façon en dehors du champ de la sélec­tion darwinienne.

C. : Tout ceci a été con­cep­tu­al­isé par Thomas Kirk­wood, qui a dévelop­pé une des trois grandes théories de la biolo­gie évo­lu­tion­niste sur le vieil­lisse­ment. C’est la théorie dite du soma jetable, qui repose sur l’idée que chaque indi­vidu dis­poserait d’une cer­taine quan­tité d’énergie, qu’il choisir­ait d’allouer préféren­tielle­ment, soit à la survie, soit au main­tien de l’organisme, soit à la repro­duc­tion ou d’autres mécan­ismes. Le choix fait aurait un impact sur les autres. 

A. : De tout cela, on retient qu’il y a des mutants qui peu­vent vivre plus longtemps. Ces mutants sont dans nos gènes, et nos gènes codent pour des pro­téines. Or les pro­téines sont les cibles des molécules phar­ma­ceu­tiques. L’effet de longévité pour­rait donc, théorique­ment, être repro­duit à l’aide d’une molécule ciblant ces pro­téines qui régu­lent notre métab­o­lisme. Aujourd’hui, la preuve de con­cept est faite. À l’aide de la rapamycine, on arrive à faire vivre plus longtemps les souris9. On pour­rait pren­dre se repro­duire d’abord et essay­er de vivre plus longtemps grâce à un tel médica­ment dans la deux­ième par­tie de sa vie.

C. : Je nuancerais un tout petit peu, dans le sens où, si on regarde les grandes études faites sur la longévité, la part géné­tique de l’espérance de vie est tout de même assez réduite10. Par ailleurs, les résul­tats obtenus sur des espèces comme le néma­tode et même la souris parais­sent plutôt extra­or­di­naires. Pour le moment, on garde l’impression que c’est plus com­plexe, et qu’il reste dif­fi­cile de trou­ver un gène ou un petit nom­bre de gènes chez les espèces plus dévelop­pées per­me­t­tant vrai­ment d’améliorer con­sid­érable­ment la durée de vie. 

A. : Évidem­ment, je suis d’accord avec toi, cela ne reste qu’un espoir pour le moment. Seule­ment, ce qui est cer­tain aujourd’hui est le lien, gros comme une mai­son, avec l’alimentation. Ce qui fait vivre longtemps, c’est la restric­tion calorique. Et cela se rap­proche beau­coup des mesures pris­es pour lut­ter con­tre le can­cer ou le dia­bète qu’il faut arrêter de nour­rir avec notam­ment des apports en sucre dis­pro­por­tion­nés. Nous avons certes des pro­grammes qui nous font mourir à 120 ans — l’âge lim­ite de l’espèce humaine —, mais ce sont ces mêmes pro­grammes qui met­tent des freins aux mul­ti­ples tumeurs qui se dévelop­pent en per­ma­nence chez nous. Le phénomène de sénes­cence, par exem­ple, empêche de nom­breuses cel­lules de for­mer des tumeurs en blo­quant irrémé­di­a­ble­ment leur pro­liféra­tion, mais ces cel­lules sénes­centes sécrè­tent aus­si des molécules inflam­ma­toires qui nous font vieil­lir. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a de nom­breux com­pro­mis de ce genre, et toute la ques­tion est de savoir si on arrivera à exploiter le bon côté sans activ­er simul­tané­ment le mau­vais côté…

Pablo Andres
1Hune­man, P. (2023). Death: Per­spec­tives from the phi­los­o­phy of biol­o­gy. Springer Nature.
2« La vie après la vie » de Ray­mond A. Moody.
3Tim­mer­mann et al., « DMT mod­els the Near-Death Expe­ri­ence » Front Psy­chol 2018. Aug 15:9:1424. doi: 10.3389/fpsyg.2018.01424.
4Mayr E. (1961) Towards a New Phi­los­o­phy of Biol­o­gy: Obser­va­tions of an Evo­lu­tion­ist. Cam­bridge (Mass.) ; Lon­don : Har­vard uni­ver­si­ty press.
5Robert Wein­berg. The Biol­o­gy of Can­cer.
6Tri­coire„ H., & Rera„ M. (2015). A new, dis­con­tin­u­ous 2 phas­es of aging mod­el: Lessons from Drosophi­la melanogaster. PloS one, 10(11), e0141920.
7Fontana et al., Sci­ence 2010. Extend­ing Healthy Life Span—from yeast to humans. Apr 16;328(5976):321–6. doi: 10.1126/science.1172539.
8Kirk­wood, T. B., & Hol­l­i­day, R. (1979). The evo­lu­tion of age­ing and longevi­ty. Pro­ceed­ings of the Roy­al Soci­ety of Lon­don. Series B. Bio­log­i­cal Sci­ences, 205(1161), 531–546.
9Brooks-Wil­son, A.Kirkwood, T. B., & Hol­l­i­day, R. (1979). The evo­lu­tion of healthy agin­gage­ing and longevi­ty. Human genet­ics, 132(12), 1323–1338.
10Brooks-Wil­son, A. R. (2013). Genet­ics of healthy aging and longevi­ty. Human genet­ics, 132(12), 1323–1338.

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