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Aviation décarbonée : rêve d'Icare ou réalité ?

Aviation : l’hydrogène tiendra-t-il ses promesses ?

Cécile Michaut, journaliste scientifique
Le 2 février 2021 |
4 min. de lecture
Johnny Deschamps
Johnny Deschamps
professeur à l'Unité chimie et procédés (UCP) de l'ENSTA Paris (IP Paris)
Samuel Saysset
Samuel Saysset
conseiller Techniques chez Engie Research
En bref
  • L’hydrogène est présenté comme le carburant « propre » le plus adapté à l’aviation de demain.
  • Airbus annonce trois concepts d’avions à l’hydrogène pour 2035 et de nombreuses start-ups se positionnent.
  • Le gouvernement français s’engage à investir plus de 7 milliards d’euros d’ici 2030 dans le secteur de l’hydrogène.
  • Il y a néanmoins de nombreux défis à relever afin que cette filière prenne son envol : stockage, production et réduction des coûts.

Le 21 sep­tem­bre dernier, Air­bus a dévoilé trois con­cepts d’avions « zéro émis­sion » des­tinés à entr­er en ser­vice en 20351. S’ils dif­fèrent par leur taille, leur design ou leur portée, tous trois utilis­eraient le même car­bu­rant : l’hydrogène. Air­bus, pre­mier con­struc­teur mon­di­al d’avions en 2019, estime que l’hydrogène « est extrême­ment promet­teur comme car­bu­rant pro­pre pour l’aviation, et sera prob­a­ble­ment une solu­tion pour le secteur aérien et bien d’autres pour rem­plir [leurs] objec­tifs de neu­tral­ité car­bone ». Par ailleurs, la France va allouer 7 mil­liards d’euros à cette nou­velle fil­ière d’ici à 20302

Effec­tive­ment, Air­bus n’est pas le seul à s’intéresser à l’hydrogène car c’est le seul mode de propul­sion hors kérosène qui sem­ble adap­té à l’aviation de masse. Si Boe­ing doute de son poten­tiel à court terme, de petites sociétés s’y intéressent. La start-up ZeroAvia a ain­si réal­isé en sep­tem­bre 2020 un vol d’essai avec un avion de six places doté d’une pile à com­bustible. De son côté, le con­struc­teur israélien d’avions-taxis Urban Aero­nau­tics tra­vaille avec la start-up cal­i­forni­enne HyPoint pour dévelop­per le City­Hawk, un aéronef à décol­lage ver­ti­cal propul­sé par une pile à com­bustible ali­men­tée en hydrogène.

Il y a deux manières d’utiliser l’hydrogène. La pre­mière con­siste à le brûler dans un moteur adap­té. C’est une tech­nolo­gie éprou­vée, notam­ment dans le domaine spa­tial. La deux­ième manière con­siste à utilis­er l’hydrogène pour pro­duire de l’électricité grâce à une pile à com­bustible. Dans les deux cas, il reste plusieurs freins tech­nologiques à lever. 

Difficulté de stockage

La dif­fi­culté prin­ci­pale est liée au stock­age de ce com­bustible. « L’hydrogène gazeux est très peu dense, rap­pelle John­ny Deschamps, enseignant-chercheur à l’unité Chimie et Procédés (UCP) de l’ENSTA Paris (IP Paris), spé­cial­iste du stock­age d’hydrogène. Même en le stock­ant sous pres­sion, il faut dans le cadre des appli­ca­tions auto­mo­biles, 210 litres pour stock­er 5 kg d’hydrogène sous une pres­sion de 350 bars (125 litres sous 700 bars) – ça reste très volumineux. »

Deux­ième solu­tion : stock­er l’hydrogène sous forme liq­uide. « Mais cela sig­ni­fie descen­dre à une tem­péra­ture de ‑253°C, donc dépenser de l’énergie pour le liqué­fi­er. De plus, aucun réser­voir cryo­génique n’est par­fait au niveau de l’isolation, une par­tie de l’hydrogène liq­uide se vapor­ise et doit être canal­isée, c’est risqué. » Il faut donc dévelop­per des matéri­aux légers et résis­tants pour les réservoirs.

De plus, ces derniers doivent être cylin­driques ou sphériques et impliquent donc de revoir entière­ment la forme des avions dont le car­bu­rant est actuelle­ment stocké dans les ailes. Compte tenu de ces con­traintes, l’arrivée sur le marché d’un avion de ligne long-cour­ri­er de plusieurs cen­taines de pas­sagers fonc­tion­nant à l’hydrogène est dif­fi­cile à imag­in­er. On se dirige plutôt vers des avions de quelques dizaines de places pour des vols courts.

Un hydrogène pas si vert

Alors que le moteur à hydrogène dégage moins d’émissions de CO2 que ceux à propul­sion clas­sique, il n’est pas dit que ce car­bu­rant soit totale­ment pro­pre. La com­bus­tion de cette molécule à haute tem­péra­ture pro­duit des oxy­des d’azote pol­lu­ants (NOx), et de la vapeur d’eau, qui con­tribue à la for­ma­tion de traînées de con­den­sa­tion et de cir­rus, néfastes pour le climat.

La pro­duc­tion d’hydrogène peut se faire à par­tir de l’eau (H2O) par élec­trol­yse ou à par­tir d’hydrocarbures comme le méthane (CH4). Pour autant, même si l’électrolyse est un procédé pro­pre, la tech­nolo­gie n’est pas encore au point pour être déployée à un niveau indus­triel. « On sait en faire à par­tir de l’électricité via l’électrolyse de l’eau, surtout lorsque cette élec­tric­ité est pro­duite de manière sta­ble, dans des cen­trales, dit Samuel Says­set, con­seiller tech­nique en chef chez Engie. Mais si l’on veut de l’hydrogène « vert », provenant de sources renou­ve­lables donc inter­mit­tentes, il faut trou­ver des tech­nolo­gies plus adap­tées. ~95% de l’hydrogène est actuelle­ment pro­duit à par­tir de pét­role, de gaz ou de char­bon, et cela émet du CO2 », pour­suit-il.

A quel prix ?

La ques­tion du prix est égale­ment cen­trale : le coût n’est pas le même en fonc­tion de la source. Aujourd’hui, l’hydrogène provenant du méthane coûte 1,5 à 2 €/kg, con­tre qua­tre à dix fois plus pour l’hydrogène obtenu par élec­trol­yse. Et c’est juste­ment pour cela que le gou­verne­ment français investit : une pro­por­tion impor­tante des 7 mil­liards d’euros est des­tiné à ren­dre le prix de l’hydrogène plus accessible.

Il existe égale­ment d’autres coûts : l’hydrogène entraîn­era des investisse­ments lourds liés à sa pro­duc­tion, la mise en place des infra­struc­tures de trans­port et de stock­age, le développe­ment de nou­veaux avions et de nou­veaux matéri­aux ain­si que le sur­coût dû au poids des réservoirs.

Mal­gré cela, l’hydrogène sem­ble intéress­er le monde de l’aviation – les con­struc­teurs comme Air­bus et le gou­verne­ment français s’y enga­gent. Cepen­dant, on ne sait pas encore com­ment les prob­lèmes en sus­pens seront réso­lus. Avec quel motoriste les avions seront-ils dévelop­pés ? Quel sera leur ren­de­ment et leur con­som­ma­tion ? Seront-ils à com­bus­tion directe ou utilis­eront-ils des piles à com­bustible ? Sous quelle forme sera stock­ée ce car­bu­rant ? L’hydrogène doit encore pren­dre son envol.

Investisse­ments privés dans l’hydrogène

Le secteur financier s’intéresse lui aus­si à l’hy­drogène pour les trans­ports, et reçoit le sou­tien d’in­vestis­seurs. Avec plus de 100 mil­liards de dol­lars d’ac­t­ifs dans le monde entier, la société d’in­vestisse­ment Ardian, par exem­ple, affirme qu’elle investit durable­ment dans les éner­gies vertes. L’hy­drogène vert représente une par­tie impor­tante de ces éner­gies, car il est con­forme aux objec­tifs de l’U­nion européenne en matière de change­ment cli­ma­tique. Amir Shar­i­fi, man­ag­ing direc­tor au sein d’Ar­dian, explique ain­si que « l’hy­drogène présente des car­ac­téris­tiques sim­i­laires à celles des com­bustibles fos­siles. Il peut être stocké sous forme de liq­uide ou de gaz, mais peut égale­ment être pro­duit de manière écologique par élec­trol­yse ». Selon le Con­seil de l’hy­drogène, l’hy­drogène devrait répon­dre à 18 % de la demande mon­di­ale d’én­ergie d’i­ci 2030.

1https://​www​.air​bus​.com/​n​e​w​s​r​o​o​m​/​p​r​e​s​s​-​r​e​l​e​a​s​e​s​/​e​n​/​2​0​2​0​/​0​9​/​a​i​r​b​u​s​-​r​e​v​e​a​l​s​-​n​e​w​-​z​e​r​o​e​m​i​s​s​i​o​n​-​c​o​n​c​e​p​t​-​a​i​r​c​r​a​f​t​.html
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