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Aviation décarbonée : rêve d'Icare ou réalité ?

« Sans baisse du trafic aérien, pas de respect de l’accord de Paris »

Cécile Michaut, journaliste scientifique
Le 2 février 2021 |
4 min. de lecture
Aurélien Bigo
Aurélien Bigo
chercheur associé de la Chaire Énergie et Prospérité à l'Institut Louis Bachelier
En bref
  • Même si la consommation de carburant par passager a été divisée par quatre depuis 1960, les émissions augmentent à cause de la croissance du secteur à long terme.
  • Dans sa thèse à l’École polytechnique, Aurélien Bigo explore la manière dont le secteur des transports peut répondre à l’objectif de neutralité carbone en France à l’horizon 2050.
  • Il estime que les évolutions techniques ne suffiront pas, il faut aussi modifier en profondeur nos déplacements.
  • Il propose de raisonner différemment, en fonction des émissions par temps de transport - 90 kg CO2/h, pour l’avion contre 0,6 kg CO2/h pour le train.
  • Selon ses travaux, il n’y a qu’une réduction du trafic qui peut permettre de réduire les émissions et respecter l’Accord de Paris sur le climat.

Votre thèse porte sur la manière dont le secteur des trans­ports peut répon­dre à l’objectif de neu­tral­ité car­bone en France à l’horizon 2050. Quelle est la sit­u­a­tion du trans­port aérien aujourd’hui ?

Sur les dernières décen­nies, le nom­bre de pas­sagers a dou­blé tous les quinze ans. On observe aus­si une aug­men­ta­tion des dis­tances moyennes. La con­som­ma­tion moyenne par pas­sager a bais­sé, elle a été divisée par qua­tre depuis 1960, en rai­son des pro­grès tech­niques et du meilleur rem­plis­sage des avions. Néan­moins, ces pro­grès ont été plus que com­pen­sés par la hausse du traf­ic. Les émis­sions de gaz à effet de serre du secteur aérien aug­mentent donc con­tinû­ment, et seules quelques crises, comme celle après les atten­tats du 11 sep­tem­bre 2001, la crise économique ou ce que nous vivons en ce moment avec le Coro­n­avirus, sont capa­bles de frein­er tem­po­raire­ment cette croissance.

Le secteur aérien est-il capa­ble de se décarboner ?

Pour qu’il se décar­bone, il faudrait des inno­va­tions de rup­ture, afin que le secteur soit capa­ble de se pass­er de pét­role. Ces inno­va­tions peu­vent être éval­uées selon plusieurs critères : leur impact envi­ron­nemen­tal (sur le CO2, mais pas unique­ment), leur coût, et la date envis­agée de leur mise en œuvre. Or, selon ces critères, aucune tech­nolo­gie n’est com­pat­i­ble avec la tra­jec­toire de neu­tral­ité car­bone d’ici 2050, fixée dans le Plan cli­mat français, ou avec une tra­jec­toire mon­di­ale com­pat­i­ble avec la lim­i­ta­tion du réchauf­fe­ment à +2°C. Le risque est alors de reporter les efforts sur les autres secteurs.

Les bio­car­bu­rants, par exem­ple, ne sont-ils pas une solution ?

Les bio­car­bu­rants actuels, dits de pre­mière généra­tion, sont en moyenne aus­si émet­teurs de gaz à effet de serre (GES) que le pét­role, si on regarde leur analyse de cycle de vie (ACV)1. C’est dû notam­ment au change­ment d’affectation des sols : des sur­faces peu­vent être déforestées pour faire place aux cul­tures pour les bio­car­bu­rants, ce qui émet des GES. On peut envis­ager des bio­car­bu­rants de deux­ième généra­tion, util­isant des résidus de cul­ture, des biodéchets. Ces bio­car­bu­rants sont bien moins émet­teurs de GES, mais la ressource est lim­itée. Le poten­tiel est insuff­isant pour rem­plac­er les car­bu­rants pétroliers dans l’ensemble du secteur aérien. Et n’oublions pas que d’autres secteurs, comme le secteur routi­er ou le mar­itime, souhait­ent aus­si les utiliser.

La solu­tion viendrait-elle de l’hydrogène ?

Le gou­verne­ment a récem­ment annon­cé une stratégie nationale pour le développe­ment de l’hydrogène décar­boné2. On par­le des pre­miers avions à hydrogène pour 2035, mais une flotte ne se renou­velle que tous les 20 ans, min­i­mum. Ce plan ne per­met pas de respecter l’accord de Paris sur le cli­mat. Pour rester sous les 2°C de réchauf­fe­ment cli­ma­tique, il faut dimin­uer d’au moins 2,7 % nos émis­sions de gaz à effet de serre chaque année, ce qui sera impos­si­ble. Par ailleurs, l’hydrogène a un incon­vénient majeur : il est dif­fi­cile à stock­er. Il est donc réservé aux vols de petite et moyenne dis­tance. Or, les longs cour­ri­ers représen­tent la majorité des gaz à effet de serre du secteur aérien. Enfin, son coût risque de rester prohibitif.

D’autre part, les gaz à effet de serre ne sont pas le seul prob­lème de l’aviation vis-à-vis du cli­mat. Les émis­sions de NOx, les traînées de con­den­sa­tion et les cir­rus induits3, qui ont aus­si un impact réchauf­fant via les réac­tions chim­iques qu’ils entraî­nent, ont égale­ment un impact négatif. Or, ni les bio­car­bu­rants ni l’hydrogène ne résol­vent cela.

Alors quelles sont les solutions ?

Elles ne seront pas for­cé­ment tech­niques. Il faut raison­ner dif­férem­ment. Le secteur aérien souligne sou­vent que l’avion ne con­somme pas plus, par pas­sager et par kilo­mètre, que la voiture. Si l’on regarde les émis­sions de CO2 par heure, selon les dif­férents modes de trans­port, c’est très dif­férent. L’histoire des mobil­ités mon­tre que les temps de déplace­ment sont con­stants, une heure par jour en moyenne. Notre mobil­ité est donc façon­née par la vitesse des modes de trans­port : l’essor des modes rapi­des nous fait par­courir 40 à 50 kilo­mètres par jour en moyenne, con­tre 4 à 5 km il y a deux siè­cles. Pour les longues dis­tances, le même raison­nement s’applique. La rapid­ité de l’avion facilite les tra­jets longs. Si l’on regarde les émis­sions par temps de trans­port, celles de l’avion sont gigan­tesques com­paré à d’autres : de l’or­dre de 90 kg CO2/h, con­tre 7 kg CO2/h pour la voiture, et 0,6 kg CO2/h pour le train. Raison­ner par temps de trans­port mon­tre que l’avion est à la fois le mode qui a les émis­sions les plus pol­lu­antes, parce que les émis­sions par kilo­mètre sont fortes, et qui pousse à faire de plus longues distances.

Dès lors, que faire pour attein­dre une baisse suff­isante des émis­sions du secteur aérien ?

Il n’y a qu’une réduc­tion du traf­ic qui puisse per­me­t­tre cela. Mais aujourd’hui, c’est claire­ment un tabou pour les poli­tiques publiques, qui ont anticipé la crois­sance à venir avec les exten­sions d’aéroports prévues au ter­mi­nal 4 de Rois­sy, à Nice, Caen ou Lille. Le plus sim­ple est d’agir sur les vols intérieurs en fer­mant les liaisons peu fréquen­tées et fais­ables en train, en allant au-delà des 2 h 30 pré­con­isées actuelle­ment car l’impact est insuff­isant. Pour les trans­ports inter­na­tionaux, la mod­éra­tion doit être pen­sée au niveau mon­di­al pour avoir un effet sig­ni­fi­catif. Cela peut pass­er par exem­ple par la tax­a­tion des car­bu­rants. Les entre­pris­es peu­vent aus­si opter pour le train pour les tra­jets inférieurs à 4 ou 5 h et favoris­er les visio­con­férences pour réduire les grands tra­jets. Mais 75 % des tra­jets sont dus aux particuliers. 

Thèse soutenue le 23 novem­bre 2020 et disponible ici.

Pour en savoir plus sur ce sujet, voir l’ar­ti­cle d’Au­rélien Bigo dans The Con­ver­sa­tion.

1https://​www​.ademe​.fr/​e​x​p​e​r​t​i​s​e​s​/​e​n​e​r​g​i​e​s​-​r​e​n​o​u​v​e​l​a​b​l​e​s​-​e​n​r​-​p​r​o​d​u​c​t​i​o​n​-​r​e​s​e​a​u​x​-​s​t​o​c​k​a​g​e​/​p​a​s​s​e​r​-​a​-​l​a​c​t​i​o​n​/​p​r​o​d​u​i​r​e​-​b​i​o​c​a​r​b​u​r​a​n​t​s​/​d​o​s​s​i​e​r​/​p​r​o​d​u​i​r​e​-​b​i​o​c​a​r​b​u​r​a​n​t​s​-​p​r​e​m​i​e​r​e​-​g​e​n​e​r​a​t​i​o​n​/​i​m​pacts
2https://​www​.economie​.gouv​.fr/​p​r​e​s​e​n​t​a​t​i​o​n​-​s​t​r​a​t​e​g​i​e​-​n​a​t​i​o​n​a​l​e​-​d​e​v​e​l​o​p​p​e​m​e​n​t​-​h​y​d​r​o​g​e​n​e​-​d​e​c​a​r​b​o​n​e​-​f​rance
3https://​www​.sci​encedi​rect​.com/​s​c​i​e​n​c​e​/​a​r​t​i​c​l​e​/​p​i​i​/​S​1​3​5​2​2​3​1​0​2​0​3​05689

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