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Travail, handicap, armée : la révolution de l’humain augmenté

Hommes et machines : des ouvriers augmentés dans les usines ?

Marina Julienne, journaliste indépendante
Le 22 juin 2022 |
4 min. de lecture
Jean-Jacques Atain Kouadio
Jean-Jacques Atain Kouadio
expert d’assistance au laboratoire Ergonomie et Psychologie Appliquées à la Prévention (EPAP) à l’INRS
En bref
  • Les troubles musculo-squelettiques (TMS) représentent 88 % des maladies professionnelles, et 20 % des accidents du travail sont dus à des maux de dos.
  • L’INRS a lancé, en 2012, une première étude prospective qui s’intitulait « Utilisation des robots d’assistance physique à l’horizon 2030 en France » pour soulager les travailleurs.
  • Pour l’épaule par exemple, les équipes ont visionné les espaces interosseux et tendineux, grâce à des ultrasons, et ont comparé le comportement de ces articulations avec et sans assistance.
  • Mais les exosquelettes ne constituent pas, pour autant, une réponse à l’ensemble des contraintes physiques auxquelles sont exposés les salariés.

Depuis quand l’INRS s’intéresse-t-il à ce sujet ?

L’INRS a lancé, en 2012, une pre­mière étude prospec­tive qui s’intitulait « Util­i­sa­tion des robots d’assistance physique à l’horizon 2030 en France ». À l’époque, il exis­tait en France deux exosquelettes testés en entre­prise. À peine dix ans plus tard, il y a en a une quar­an­taine disponibles sur le marché ! Allant du har­nais de pos­ture qui soulage le dos à l’exosquelette robo­t­isé qui com­pense ses efforts, ou ceux de la main. Pour nous, c’est pas­sion­nant que les recherch­es et les inter­ven­tions sur le ter­rain soient syn­chrones avec l’émergence de ces tech­nolo­gies d’assistance physique.

Pourquoi les entreprises ont-elles recours à des exosquelettes ?

Les trou­bles mus­cu­lo-squelet­tiques (TMS) représen­tent 87 % des mal­adies pro­fes­sion­nelles et le mal de dos représente 20 % des acci­dents du tra­vail, c’est con­sid­érable ! Out­re les dom­mages causés aux salariés, les TMS ont un coût économique élevé pour les entre­pris­es et la sécu­rité sociale (arrêts de tra­vail). C’est pourquoi les dis­posi­tifs mécaniques ou tex­tiles des­tinés aux opéra­teurs pour les aider à com­penser leurs efforts physiques, ou les assis­ter dans leurs mou­ve­ments (soulager le tra­vail en hau­teur, redress­er le buste), sont déjà util­isés ou à l’étude dans tous les domaines : de l’automobile au nucléaire, en pas­sant par le BTP, la grande dis­tri­b­u­tion, le secteur médi­co-social, etc.

Comment étudiez-vous ces dispositifs ?

Les études en lab­o­ra­toire con­cer­nent des sit­u­a­tions de manu­ten­tion et de main­tien de charges, pour observ­er les con­séquences sur l’activité des mus­cles préservés ain­si que ceux non assistés, sur la pos­ture et sur les coor­di­na­tions motri­ces. Pour l’épaule par exem­ple, les équipes ont vision­né les espaces inter osseux et tendineux, grâce à des ultra-sons, et com­paré le com­porte­ment de cette artic­u­la­tion avec et sans assis­tance. Nous menons égale­ment des assis­tances en lien avec le réseau de préven­tion dans les entre­pris­es, pour analyser com­ment sont inté­grés ces exosquelettes, s’ils sont accep­tés, ou non, par les salariés. Il faut com­pren­dre que la dif­férence par rap­port à une assis­tance physique « clas­sique » c’est que cette tech­nolo­gie est attachée au corps de la per­son­ne. Cette assis­tance peut apporter une réduc­tion des efforts et dans le même temps être ressen­tie comme une con­trainte physique et psychologique. 

Ces dispositifs soulagent-ils effectivement l’effort physique ?

Les exosquelettes peu­vent apporter des béné­fices sig­ni­fi­cat­ifs, mais pro­posent une assis­tance physique très local­isée, et ne con­stituent pas une réponse à l’ensemble des con­traintes physiques aux­quelles sont exposés les salariés. Surtout, ils peu­vent être à l’origine de nou­velles con­traintes bio­mé­caniques : impact sur l’activité mus­cu­laire des mus­cles non assistés par l’exosquelette, impact sur l’équilibre, sur les coor­di­na­tions motri­ces, adéqua­tion avec une organ­i­sa­tion exigeant une cadence élevée et une répéti­tiv­ité des gestes impor­tante, trans­fert des sol­lic­i­ta­tions bio­mé­caniques vers d’autres par­ties du corps, etc. La nature et l’ampleur des béné­fices ou des lim­ites observées dépen­dent de l’activité réal­isée (pos­ture de tra­vail adop­tée, charge manip­ulée, rythme de tra­vail, …), des car­ac­téris­tiques tech­niques de l’exosquelette (point de con­tact, poids, raideur, etc.), et des tâch­es identifiées.

Il n’est donc pas si simple d’introduire ces exosquelettes dans l’entreprise ?

Elles doivent énor­mé­ment réfléchir avant de choisir un matériel et s’interroger sur l’impact que cela aura sur toute l’organisation du tra­vail. Nous édi­tions des guides pour leur per­me­t­tre de se pos­er les bonnes ques­tions. Nous rap­pelons d’abord que la réflex­ion sur un éventuel recours à un exosquelette ne peut être décor­rélée d’une réflex­ion plus large visant à réduire les con­traintes liées à l’activité physique par des change­ments organ­i­sa­tion­nels, des actions de for­ma­tions… Ensuite une car­ac­téri­sa­tion pré­cise du besoin d’assistance physique est indis­pens­able (zones cor­porelles à soulager, pos­tures habituelle­ment adop­tées, poids des charges manip­ulé, etc.).

Si, in fine, la solu­tion exosquelette est retenue, il est indis­pens­able de s’engager dans une démarche de test en suiv­ant des critères pré­cis d’évaluation : dans quelle mesure l’opérateur s’est-il appro­prié l’équipement ? Est-ilsim­ple d’utilisation ?Réelle­ment utile ? Quels sont les effets de l’utilisation de l’exosquelette sur l’environnement et le col­lec­tif de tra­vail ? Sur une équipe, com­bi­en d’individus seront équipés d’un exosquelette ? Quel sera le regard des autres sur ceux qui le por­tent ? Il faut englober l’exosquelette dans l’analyse des risques du poste de tra­vail, il peut, par exem­ple, induire de nou­veaux risques de col­li­sion pour celui qui porte l’équipement.

Beau­coup d’entreprises ne se ren­dent pas compte à quel point ces matériels peu­vent boule­vers­er tout un envi­ron­nement de travail.

Quelle est la réglementation sur le sujet ?

Il faut rap­pel­er que les exosquelettes n’ont pas pour but « d’augmenter » les opéra­teurs, mais de les « assis­ter ». En clair, les opéra­teurs ne vont pas demain porter des charges qu’ils ne trans­portaient pas avant, mais porter avec moins de risques d’impact sur leur san­té des charges qu’ils por­taient déjà. En la matière, il con­vient de respecter les normes en vigueur con­cer­nant les lim­ites de charge et de con­traintes physiques pour les tâch­es de manu­ten­tion manuelle.

L’Exopush : un cas d’école

C’est en 2014 que l’entreprise Colas expéri­mente un pre­mier exosquelette robo­t­isé, « Exo­push »1, pour des chantiers routiers où les ouvri­ers doivent étaler et nivel­er des « enrobés » sur la chaussée. Une sorte de râteau robo­t­isé est mis au point. Il se com­pose d’un har­nais, d’une jambe de force qui reporte le poids de charge au sol afin de réduire les efforts et d’améliorer la pos­ture de l’utilisateur et d’un manche téle­scopique qui détecte l’intention de l’utilisateur et ampli­fie son geste. Mais sur le ter­rain ce matériel est peu util­isé. Un comité de pilotage pluridis­ci­plinaire rassem­blant les acteurs de la préven­tion internes et externes à l’entreprise est alors mis en place, auquel par­ticipe l’INRS. De nom­breuses réu­nions avec les équipes sont organ­isées, le matériel est adap­té, les ouvri­ers sont for­més, et un respon­s­able de déploiement entière­ment dédié à ce sujet est nom­mé en 2019 pour généralis­er l’utilisation de près de 90 Exo­push dans ses agences.

1INRS ; déploiement d’un exosquelette robo­t­isé, retour d’expérience par l’entreprise Colas. Sept 2021

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