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Du pétrole au lithium, la transition énergétique redistribue les cartes de la géopolitique

Le passage à la voiture électrique accentue notre dépendance à la Chine

María Eugenia Sanin,
maîtresse de conférences en économie à l’Université Paris Saclay et coordinatrice de l'axe Politiques Sectorielles à la Chaire Energie et Prospérité
et Olivier Perrin, associé dans le secteur de l’énergie, des ressources et de l’industrie chez Deloitte
Le 26 septembre 2023 |
4 min. de lecture
Maria Eugenia Sanin
María Eugenia Sanin
maîtresse de conférences en économie à l’Université Paris Saclay et coordinatrice de l'axe Politiques Sectorielles à la Chaire Energie et Prospérité
Olivier Perrin
Olivier Perrin
associé dans le secteur de l’énergie, des ressources et de l’industrie chez Deloitte
En bref
  • Le secteur des transports est un des plus gros émetteurs de GES, avec 16 % des émissions françaises produites par la voiture.
  • L’industrie de la voiture électrique soulève des enjeux économiques et géopolitiques majeurs.
  • L’implication centrale de la Chine dans la confection des batteries pose la question de la dépendance économique.
  • Les réglementations sur les voitures thermiques et l’embûche économicopolitique des voitures électriques menace l’industrie automobile européenne.

Depuis l’avènement de la révo­lu­tion indus­trielle, les modes de pro­duc­tions et les besoins de nos sociétés ont atteint un tel seuil qu’un retour en arrière sem­blerait presque infais­able. « Sou­vent, on entend dire que la tran­si­tion énergé­tique est quelque chose de très dif­fi­cile, explique Maria Euge­nia Sanin, chercheuse asso­ciée à l’École poly­tech­nique (IP Paris). Alors que la vérité est que l’on n’a pas le choix. »

De nom­breux secteurs sont ain­si en ligne de mire pour per­me­t­tre une tran­si­tion effi­cace. Les efforts doivent cepen­dant se con­cen­tr­er sur l’un des plus impor­tants con­cer­nant les émis­sions de gaz à effet de serre : celui du trans­port (la voiture représente 16 % des émis­sions français­es). « Le trans­port compte pour beau­coup dans les émis­sions car­bones, développe Olivi­er Per­rin, asso­cié dans le secteur de l’énergie, des ressources et de l’industrie chez Deloitte. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés aux dif­férents moyens de le décar­bon­er.»

Ain­si, une atten­tion forte est portée aux voitures élec­triques. « On dit que la décen­nie qui arrive est la décen­nie des bat­ter­ies, atteste la chercheuse. Seule­ment, pour pro­duire ces bat­ter­ies, on a besoin de graphite, de cobalt, et en grande par­tie de lithi­um. » En prenant en compte tout le proces­sus de fab­ri­ca­tion de ces voitures, et les matières pre­mières néces­saires, les béné­fices ne sem­blent plus aus­si fla­grants. De l’extraction des matières pre­mières à l’assemblage final du véhicule, le pari de l’électrique soulève de nom­breux enjeux, autant économiques que géopoli­tiques, sans par­ler de l’aspect écologique. 

De l’extraction jusqu’à nos voitures

« D’un point de vue économique, on par­le de trois marchés pour les matières pre­mières, explique Maria Euge­nia Sanin. Il y a d’abord le marché en amont, ensuite celui en aval, et, entre les deux, le marché à mi-chemin. » Le marché en amont com­prend l’étape d’extraction minière des ressources. Celui dit à mi-chemin cor­re­spond à l’étape de trans­for­ma­tion, comme le raf­fi­nage, de ces ressources. Une fois trans­for­mées, elles peu­vent être util­isées à la con­cep­tion de divers objets, comme l’assemblage des bat­ter­ies, c’est le marché en aval.

L’impact car­bone d’une voiture élec­trique ne se résume donc pas seule­ment à celui de son util­i­sa­tion. Tout ce proces­sus, et cha­cune des étapes qui le com­posent émet­tent de manière plus ou moins forte. De plus, la final­ité de ce type de proces­sus linéaire dépend des étapes la précé­dant : si le marché en amont est obstrué, le marché en aval ne peut se faire. « Il y a un enjeu géopoli­tique majeur, insiste-t-elle, car la Chine domine les par­ties hautes de ce marché [marché en amont et à mi-chemin], notam­ment pour le lithi­um, pri­mor­dial à la con­fec­tion de bat­terie. Et donc, le développe­ment des autres marchés à grande échelle dépend de matières actuelle­ment dom­inées par une seule région. »  

Une mainmise du « made in China »

La con­fec­tion de bat­terie pour les voitures élec­triques se fait en 4 étapes : la pre­mière est l’extraction des dif­férentes matières pre­mières. La deux­ième cor­re­spond au pro­cess­ing (raf­fi­nage) de ces matières. Ensuite, il y a la créa­tion des anodes et cath­odes. La qua­trième et dernière étape est l’assemblage final des bat­ter­ies. « En analysant le marché, et en prenant en compte toutes les étapes, nous nous ren­dons compte qu’on est dépen­dant de la Chine, insiste Olivi­er Per­rin. Pour les min­erais, la répar­ti­tion mon­di­ale est accept­able, car nous y retrou­vons 10 – 15 pays. Mais arrivés au pro­cess­ing, il y a incon­testable­ment un lead­er­ship très fort de la Chine. Con­cer­nant les anodes et cath­odes, la Chine a plus de 50 % du marché mon­di­al. Alors que pour l’assemblage final d’une bat­terie, elle a 70 %. »

Cet enjeu géopoli­tique est cou­plé à celui écologique, car la Chine pos­sède une énergie très car­bonée (plus de 50 % provi­en­nent du char­bon). Son indus­trie, et donc celle de la voiture élec­trique, émet beau­coup. « Le bilan car­bone de la fab­ri­ca­tion à l’utilisation d’un véhicule élec­trique est assez sig­ni­fi­catif, ajoute-t-il, et le gain par rap­port à la voiture ther­mique n’est pas si évi­dent. Pour qu’il le soit, il faudrait une util­i­sa­tion assez con­séquente du véhicule*. »

Le lièvre et la tortue

Selon Maria Euge­nia Sanin : « l’Europe n’a pas suff­isam­ment investi dans la par­tie haute du marché»,c’est-à-dire l’amont et le mi-chemin. Cela aura pour effet que l’offre des matières pre­mières ne pour­ra pas suiv­re la demande européenne. « Pour don­ner un exem­ple, ajoute-t-elle, les pro­jec­tions de l’expansion de la demande du lithi­um sont de plus de 20 % par an d’ici 2040, tan­dis que l’offre ne pour­ra pas s’expandre à ce niveau d’ici 5 ans. »

A con­trario, un effort récent a été fait par l’Union européenne pour mieux s’armer sur le marché en aval. Des pro­jets de gigafac­to­ries, ces usines géantes dédiées à la con­fec­tion de bat­ter­ies et moteurs, ont vu le jour en Europe. Deux ont déjà ouvert leur porte, une en Alle­magne et l’autre en France. « Cela reste des usines d’assemblage, insiste Olivi­er Per­rin. Il fau­dra bien que ces usines achè­tent les com­posants pour assem­bler les bat­ter­ies. »

Pour se dis­soci­er de cette dépen­dance que nous avons vis-à-vis de la Chine, le con­sul­tant de chez Deloitte met beau­coup d’espoir sur le recy­clage. « Le tra­vail sur la sec­onde vie des bat­ter­ies est très impor­tant, estime-t-il. L’Europe doit absol­u­ment en être un acteur majeur. » Le devenir per­me­t­trait au vieux con­ti­nent de se détach­er du marché chi­nois. Surtout qu’au vu de l’objectif posé pour 2035 — à savoir que l’Europe ne pro­duira plus de véhicules ther­miques dans leurs usines — Olivi­er Per­rin le main­tien : « On risque de voir la fin de l’industrie auto­mo­bile européenne.»

Le con­sul­tant estime que l’Europe a encore ses chances, à con­di­tion que cha­cun des états la com­posant agisse main dans la main. « L’industrie auto­mo­bile européenne, si elle est capa­ble de s’allier, peut totale­ment lut­ter con­tre l’industrie chi­noise, améri­caine et japon­aise, assure-t-il. Si cha­cun y va de son côté, je ne donne pas cher de nos chances. »

Pablo Andres

*Après pub­li­ca­tion, une erreur factuelle a été cor­rigée dans cet arti­cle le 1er octo­bre 2023. La ver­sion orig­i­nale indi­quait que « pour avoir un bilan car­bone évidem­ment plus bas que la voiture ther­mique, il faudrait que l’utilisation d’un véhicule atteigne 20 000 km/an. » Ce chiffre étant erroné, il a été supprimé. 

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