Accueil / Chroniques / « Le changement climatique est 20% plus rapide en Méditerranée »
Drobinski
π Planète

« Le changement climatique est 20% plus rapide en Méditerranée »

Philippe Drobinski
Philippe Drobinski
directeur de recherche au sein du Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD*) du CNRS et professeur à l'École polytechnique (IP Paris)

Avec les régions polaires, la Méditer­ranée est l’une des régions du monde les plus touchées par les effets du change­ment cli­ma­tique. Les tem­péra­tures y aug­mentent 20% plus vite qu’ailleurs, et sont déjà supérieures de 1,5°C aux tem­péra­tures préin­dus­trielles. Pour chaque degré gag­né, on observe une hausse sub­séquente d’environ 4% des pré­cip­i­ta­tions. Cette évo­lu­tion a un effet para­dox­al sur le cli­mat : les pré­cip­i­ta­tions devi­en­nent plus extrêmes, et les péri­odes de sécher­esse beau­coup plus longues – avec 10 à 30 % de pré­cip­i­ta­tions esti­vales en moins. 

Les pro­jec­tions les plus pes­simistes prévoient une aug­men­ta­tion des tem­péra­tures de 6,5 °C d’i­ci la fin du siè­cle. Le niveau de la mer, qui a déjà aug­men­té de 6 cm au cours des 20 dernières années, devrait donc encore aug­menter de 90 cm d’i­ci à 2100. Les prélève­ments effec­tués en mer Méditer­ranée mon­trent égale­ment une aug­men­ta­tion de la salin­ité et une acid­i­fi­ca­tion. Sans par­ler de la pro­liféra­tion d’e­spèces inva­sives ter­restres et marines, et de leurs réper­cus­sions sur la bio­di­ver­sité locale. 

L’heure est donc venue de trou­ver des solu­tions proac­tives pour préserv­er la région. En novem­bre 2020, le réseau indépen­dant d’ex­perts méditer­ranéens sur le change­ment cli­ma­tique et envi­ron­nemen­tal (MedECC), fondé en 2015, a pub­lié le rap­port « Cli­mate and Envi­ron­men­tal Change in the Mediter­ranean Basin Cur­rent Sit­u­a­tion and Risks for the Future 1st Mediter­ranean Assess­ment Report » 1. Le MedECC com­bine les efforts de 190 experts, dont je suis, provenant de 43 pays de l’UE, d’Afrique du Nord et du Moyen-Ori­ent. Appelé MAR1, le rap­port décrit les prob­lèmes cli­ma­tiques et envi­ron­nemen­taux spé­ci­fiques à la Méditer­ranée, et ce à quoi il faut s’at­ten­dre dans les années à venir. 

La transition énergétique en Méditerranée 

Dans le chapitre de MAR1 con­sacré à la tran­si­tion énergé­tique, que j’ai coor­don­né via le Cen­tre inter­dis­ci­plinaire Energy4Climate 2 et l’In­sti­tut Pierre Simon Laplace 3, nous mon­trons que la Méditer­ranée est une région qui n’est respon­s­able que d’une part rel­a­tive­ment faible des émis­sions mon­di­ales de gaz à effet de serre – à peine 6 %. Pour­tant, la région est forte­ment affec­tée par leurs effets.

Le change­ment cli­ma­tique devrait altér­er la pro­duc­tion d’én­ergie en Méditer­ranée (en rai­son des impacts sur les ressources et les infra­struc­tures) et sa con­som­ma­tion (par une diminu­tion de la demande de chauffage et une aug­men­ta­tion des besoins de refroidisse­ment). Nous prévoyons égale­ment que les com­bustibles fos­siles res­teront la prin­ci­pale source d’én­ergie jusqu’en 2040, et qu’ils seront pro­gres­sive­ment rem­placés par d’autres tech­nolo­gies. Les chiffres mon­trent que la part des éner­gies renou­ve­lables va tripler pour attein­dre jusqu’à 27 % du mix glob­al. Le réchauf­fe­ment de la région devrait cepen­dant entraîn­er des pertes dans la pro­duc­tion de cer­taines éner­gies renou­ve­lables. L’im­pact de ces pertes sera mar­gin­al si le réchauf­fe­ment de la planète ne dépasse pas 2°C (comme défi­ni dans l’Accord de Paris), mais il se détéri­or­era rad­i­cale­ment si les tem­péra­tures dépassent 2°C. 

La capac­ité de pro­duc­tion des cen­trales hydroélec­triques et ther­moélec­triques tra­di­tion­nelles devrait égale­ment se détéri­or­er, en rai­son de la baisse du débit des cours d’eau et de la hausse de la tem­péra­ture de la sur­face de la mer, qui pour­rait encore aug­menter de 1 à 4 °C d’i­ci la fin du siècle. 

Amélior­er l’ef­fi­cac­ité énergé­tique et déploy­er les éner­gies renou­ve­lables à grande échelle va donc devenir néces­saire pour réduire les ten­sions en matière de sécu­rité énergé­tique pour les pays impor­ta­teurs, d’améliorer les oppor­tu­nités pour les pays expor­ta­teurs et de réduire les coûts de l’én­ergie ain­si que les dom­mages envi­ron­nemen­taux pour toute la région. Même si la tran­si­tion n’est pas acquise, la région dis­pose d’un grand poten­tiel pour l’én­ergie pro­pre, en par­ti­c­uli­er l’én­ergie solaire.

Pour réus­sir sa tran­si­tion énergé­tique à grande échelle, la région aura besoin d’une plus grande col­lab­o­ra­tion entre les pays con­cernés, afin de met­tre en place des poli­tiques énergé­tiques plus inclu­sives. Il existe d’ailleurs déjà des ini­tia­tives de col­lab­o­ra­tion régionale, notam­ment autour des instances de régu­la­tion du marché de l’én­ergie comme MEDREG et MEDSO, ou MEDENER, une agence axée sur les poli­tiques envi­ron­nemen­tales et énergé­tiques du pour­tour méditerranéen. 

Des efforts comme ceux-ci encour­ageront, nous l’e­spérons, les pays à se détourn­er des com­bustibles fos­siles, tout en con­tribuant à créer des emplois et à amélior­er le bien-être des populations.

Amélior­er l’ef­fi­cac­ité énergé­tique et déploy­er les éner­gies renou­ve­lables à grande échelle va donc devenir nécessaire.

Changer les pratiques locales

La Méditer­ranée est donc, du fait de sa posi­tion géo­graphique, un « point chaud », où les effets du réchauf­fe­ment cli­ma­tique sont ampli­fiés. Mais le rap­port MAR1 évoque égale­ment d’autres prob­lèmes spé­ci­fiques au bassin méditer­ranéen, notam­ment en ce qui con­cerne la mer, dont le niveau monte et dont l’eau s’acidifie. Sur terre, on observe égale­ment une aug­men­ta­tion de la durée et de l’am­pli­tude des vagues de chaleur, ain­si qu’une diminu­tion des pré­cip­i­ta­tions esti­vales dans cer­taines régions, ce qui entraîne une aug­men­ta­tion des pénuries d’eau et une désertification. 

Mais les change­ments sont égale­ment dus à la crois­sance démo­graphique, à la pol­lu­tion de l’air, des sols, des riv­ières et des océans, ain­si qu’aux pra­tiques non durables d’exploitation des sols et de la mer. Com­binés, ces effets ont de nom­breuses con­séquences, telles que la dégra­da­tion des ressources naturelles, la réduc­tion de la disponi­bil­ité de l’eau douce, l’altération du con­fort ther­mique et l’aug­men­ta­tion des risques pour la san­té humaine. Les per­son­nes les plus touchées seront les pop­u­la­tions défa­vorisées et vul­nérables. Les con­flits provo­qués par la raré­fac­tion des ressources et les migra­tions humaines risquent en effet d’aug­menter en rai­son de la sécher­esse et de la détéri­o­ra­tion des ressources agri­coles et halieu­tiques, mais égale­ment en rai­son de fac­teurs socioé­conomiques et politiques.

MAR1 jette donc les bases néces­saires à la mise en place d’une réflex­ion à l’échelle de la région, afin de répon­dre cor­recte­ment aux grandes ques­tions à venir : com­ment la région peut-elle s’adapter au change­ment cli­ma­tique ? De quelles infor­ma­tions a‑t-on besoin pour déter­min­er les futures poli­tiques cli­ma­tiques de la région ? La sit­u­a­tion du bassin méditer­ranéen peut-elle devenir plus durable ?

MAR1 : la COP de la Méditerranée

Le MAR1 présente des simil­i­tudes avec les rap­ports pro­duits par le Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (GIEC), qui a rédigé cinq rap­ports d’é­val­u­a­tion entre 1990 et 2013, et dont le dernier a servi base pour les négo­ci­a­tions de l’Ac­cord de Paris en 2015 4. Comme pour le GIEC, le MedECC pro­duit une éval­u­a­tion qui four­nit des infor­ma­tions per­ti­nentes aux décideurs poli­tiques, mais qui n’est pas pre­scrip­tive et ne présente pas de recom­man­da­tions sur les actions à men­er. De plus, le MAR1 se con­cen­tre sur l’adap­ta­tion au change­ment cli­ma­tique plutôt que sur son atténu­a­tion, qui doit elle être traitée à l’échelle mondiale.

En tant que col­lec­tif, le MedECC a reçu le Prix Nord-Sud du Con­seil de l’Eu­rope 5. Il s’ag­it d’un prix qui récom­pense notam­ment des per­son­nes pour leurs efforts en matière de pro­tec­tion des droits de l’Homme – une ver­sion européenne du prix Nobel de la Paix, pour­rait-on dire. Cette année a été l’une des rares fois où il a été décerné à un groupe plutôt qu’à un individu.

1https://​www​.medecc​.org/​f​i​r​s​t​-​m​e​d​i​t​e​r​r​a​n​e​a​n​-​a​s​s​e​s​s​m​e​n​t​-​r​e​p​o​r​t​-​mar1/
2https://​www​.e4c​.ip​-paris​.fr/​#​/​a​b​o​u​t​/​press
3https://​www​.ipsl​.fr/​f​r​/​A​c​t​u​a​l​i​t​e​s​/​A​c​t​u​a​l​i​t​e​s​-​s​c​i​e​n​t​i​f​i​q​u​e​s​/​M​e​d​E​C​C​-​P​r​i​x​-​N​o​r​d​-​S​u​d​-​2​0​2​0​-​d​u​-​C​o​n​s​e​i​l​-​d​e​-​l​-​E​urope
4https://​www​.ipcc​.ch
5https://​www​.coe​.int/​e​n​/​w​e​b​/​p​o​r​t​a​l​/​-​/​2​0​2​0​-​n​o​r​t​h​-​s​o​u​t​h​-​p​r​i​z​e​-​f​o​c​u​s​e​s​-​o​n​-​r​i​g​h​t​-​t​o​-​l​i​f​e​-​a​n​d​-​c​l​i​m​a​t​e​-​c​hange

Auteurs

Philippe Drobinski

Philippe Drobinski

directeur de recherche au sein du Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD*) du CNRS et professeur à l'École polytechnique (IP Paris)

Les recherches de Philippe Drobinski portent sur la variabilité et les tendances climatiques régionales dans la région euro-méditerranéenne avec un intérêt particulier pour les ressources en eau et en énergie. Depuis 2019, il est le directeur fondateur du centre interdisciplinaire Energy4Climate, visant à aborder la complexité systémique de la transition énergétique.
*Une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, ENS, Sorbonne Université

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter