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L’océan, dernier rempart contre le changement climatique ?

L’océan, un garde-fou climatique

Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche en océanographie au CNRS à Sorbonne Université et IDDRI-Sciences Po et Alexandre Magnan, chercheur sénior "adaptation au changement climatique" à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI-Sciences Po)
Le 25 janvier 2022 |
4 min. de lecture
Jean-Pierre Gattuso
Jean-Pierre Gattuso
directeur de recherche en océanographie au CNRS à Sorbonne Université et IDDRI-Sciences Po
MAGNAN_Alexandre
Alexandre Magnan
chercheur sénior "adaptation au changement climatique" à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI-Sciences Po)
En bref
  • L’océan est un « régulateur climatique » pour la planète. En 50 ans, il aura absorbé 93 % de l’excès de chaleur sur terre, et 25 % des rejets de CO2 par les activités humaines, limitant ainsi le réchauffement de l’atmosphère.
  • C’est toutefois au prix de répercussions importantes sur son fonctionnement chimique et physique, entre réchauffement, acidification, désoxygénation et élévation du niveau de la mer.
  • L’océan propose différentes solutions pour limiter le réchauffement climatique, que les chercheurs ont catégorisé. On a ainsi des solutions dites Décisives, À faible regret, Non prouvées et Risquées.
  • Si les mesures Décisives et À faible regret sont à l’évidence à prioriser pour l’action, elles ne seront pas suffisantes. La recherche scientifique doit continuer à explorer le champ des solutions Non prouvées et à comprendre les conditions d’application des solutions Risquées.

L’objectif est clair : main­tenir le réchauf­fe­ment glob­al « bien en dessous de +2°C » en 2100 – hausse con­sid­érée par rap­port à la péri­ode préin­dus­trielle. Cepen­dant, les efforts mon­di­aux mis en place pour atténuer les émis­sions de gaz à effet de serre sont insuff­isants. Pour favoris­er l’atteinte des objec­tifs de développe­ment durable des Nations unies, il est désor­mais cri­tique de relever l’ambition poli­tique tant en matière d’atténuation que d’adaptation des écosys­tèmes et des sociétés. Dans cette per­spec­tive, la ques­tion des oppor­tu­nités offertes par l’océan pour soutenir l’action cli­ma­tique inter­na­tionale se pose.

« À la fois acteur et victime, l’océan est une source de solutions »

L’océan — mers com­pris­es — est un « régu­la­teur cli­ma­tique » pour la planète (Fig. 1). Depuis les années 1970, il a absorbé 93 % de l’excès de chaleur sur terre, lim­i­tant ain­si le réchauf­fe­ment de l’atmosphère. Il a égale­ment piégé 25 à 30 % des émis­sions de CO2 d’origine humaine depuis 1750. Tout cela en plus d’avoir reçu la qua­si-total­ité de l’eau libérée par la fonte des glac­i­ers et des calottes polaires. Sans l’océan, le change­ment cli­ma­tique serait donc beau­coup plus intense qu’il ne l’est aujourd’hui.

C’est toute­fois au prix de réper­cus­sions impor­tantes sur son fonc­tion­nements chim­ique et physique, entre réchauf­fe­ment, acid­i­fi­ca­tion, désoxygé­na­tion et élé­va­tion du niveau marin. Ces boule­verse­ments ont des impli­ca­tions, déjà détecta­bles, sur les écosys­tèmes et leurs ser­vices, et sur les sociétés à tra­vers le monde12.

L’océan est donc à la fois un acteur et une vic­time du change­ment cli­ma­tique, et à ce titre, il est égale­ment une source de solu­tions poten­tielles. Nous avons éval­ué les prin­ci­pales mesures fondées sur l’océan qui ont été décrites dans la lit­téra­ture3. Elles cou­vrent à la fois l’atténuation et l’adaptation45 et font référence à la lutte con­tre les caus­es du change­ment cli­ma­tique, la pro­mo­tion de l’adaptation biologique, écologique et socié­tale, ain­si que la ges­tion des radi­a­tions solaires.

Catégoriser pour mieux agir

Selon dif­férents critères — l’efficacité, la fais­abil­ité, la durée des effets, les co-béné­fices, les désa­van­tages, la rentabil­ité et la gou­vern­abil­ité — ces approches fondées sur l’océan ont été éval­uées puis regroupées en 4 caté­gories : Déci­sives, À faible regret, Non prou­vées, et Risquées. Une telle caté­gori­sa­tion a voca­tion à guider l’élaboration et la mise en œuvre de poli­tiques cli­mat, mêlant atténu­a­tion et adap­ta­tion, et ce à divers­es échelles d’action. Du niveau inter­na­tion­al, dans le cadre de la révi­sion des Con­tri­bu­tions déter­minées au niveau nation­al, au niveau local, par des straté­gies d’actions con­crètes et plan­i­fiées, et en pas­sant par le niveau nation­al lors de la déf­i­ni­tion de Plans Climat.

Cette caté­gori­sa­tion sug­gère que, quelle que soit l’échelle de déci­sion per­ti­nente, des con­tri­bu­tions plus ambitieuses devraient stim­uler l’action reposant sur des solu­tions fondées sur l’océan en don­nant la pri­or­ité aux mesures Déci­sives (par exem­ple, les éner­gies marines renou­ve­lables) et À faible regret (par exem­ple, la con­ser­va­tion et la restau­ra­tion de la végé­ta­tion côtière, l’implication des com­mu­nautés locales dans les actions d’adaptation, ou encore la révi­sion des poli­tiques de réduc­tion du risque pour mieux tenir compte des évo­lu­tions cli­ma­tiques anticipées).

Les mesures Non Prou­vées ont une effi­cac­ité poten­tielle très élevée, mais ont pour l’heure été peu ou pas testées. Cer­taines d’entre elles, comme l’amélioration de la pro­duc­tiv­ité en haute mer et l’alcalinisation, peu­vent présen­ter des incon­vénients poten­tiels élevés. Il con­vient d’améliorer les con­nais­sances sur ces mesures Non prou­vées ain­si que celles qui sont jugées Risquées compte-tenu de leurs poten­tiels effets col­latéraux négat­ifs (par exem­ple, la régu­la­tion des radi­a­tions solaires).

Pas d’action sans planification

Il est égale­ment cru­cial de not­er que la per­ti­nence de cer­taines mesures dépen­dra forte­ment du con­texte dans lequel elles seront déployées. Si l’adaptation fondée sur les infra­struc­tures (digues côtières par exem­ple) peut, dans cer­taines sit­u­a­tions, offrir une solu­tion durable pour la réduc­tion du risque cli­ma­tique (Déci­sive), dans d’autres con­textes elle s’avérera con­tre-pro­duc­tive sur le long terme (Risquée). De même, la relo­cal­i­sa­tion des per­son­nes et des activ­ités économiques peut être déter­mi­nante à terme pour les lit­toraux de basse alti­tude (Déci­sive), à con­di­tion qu’un long proces­sus de plan­i­fi­ca­tion et d’accompagnement lui soit asso­cié en amont, et sans lequel il y a un risque élevé d’accroissement de la vul­néra­bil­ité des pop­u­la­tions et activ­ités délo­cal­isées (Risquée).

Un autre élé­ment de com­plex­ité repose sur le con­stat qu’aucune des mesures ne se suf­fi­ra à elle seule. C’est donc dans des com­bi­naisons de répons­es — en fonc­tion des spé­ci­ficités con­textuelles — qu’il fau­dra chercher l’identification d’une « solu­tion cli­mat » robuste. Si les mesures Déci­sives et À faible regret sont à l’évidence à pri­oris­er pour l’action, il est impor­tant de com­pren­dre que la mise en œuvre inté­grale des mesures Déci­sives n’éliminera pas com­plète­ment les risques côtiers. De même, l’efficacité à long terme des mesures À faible regret, en par­ti­c­uli­er les solu­tions fondées sur la nature, sera en par­tie déter­minée par le niveau futur de réchauf­fe­ment plané­taire. Dès lors, la recherche sci­en­tifique doit con­tin­uer à explor­er le champ des solu­tions Non prou­vées et à com­pren­dre les con­di­tions d’application des solu­tions Risquées.

Cet élé­ment de diag­nos­tic ren­voie à un principe clé de l’action cli­ma­tique : ne pas penser en ter­mes de solu­tions indi­vidu­elles idéal­isées, mais en terme de « tra­jec­toires » d’atténuation et d’adaptation. Des tra­jec­toires reposant sur le séquençage d’une diver­sité de répons­es dans le temps, en fonc­tion des nou­velles con­nais­sances sur le change­ment cli­ma­tique et de ses impacts au niveau glob­al comme territorial.

1https://​doi​.org/​1​0​.​1​1​2​6​/​s​c​i​e​n​c​e​.​a​a​c4722
2https://​www​.iddri​.org/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​i​m​p​o​r​t​/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​p​b​0​4​1​5​_​a​m​-​e​t​-​a​l​.​_​o​c​e​a​n​s​-​a​n​d​-​c​l​i​m​a​t​e​-​f​r.pdf
3https://​doi​.org/​1​0​.​3​3​8​9​/​f​m​a​r​s​.​2​0​1​8​.​00337
4https://​www​.iddri​.org/​f​r​/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​-​e​t​-​e​v​e​n​e​m​e​n​t​s​/​p​r​o​p​o​s​i​t​i​o​n​s​/​l​e​-​r​o​l​e​-​p​o​t​e​n​t​i​e​l​-​d​e​-​l​o​c​e​a​n​-​d​a​n​s​-​l​a​c​t​i​o​n​-​c​l​i​m​a​tique
5https://​www​.ipcc​.ch/​s​i​t​e​/​a​s​s​e​t​s​/​u​p​l​o​a​d​s​/​s​i​t​e​s​/​3​/​2​0​1​9​/​1​1​/​0​5​_​S​R​O​C​C​_​C​h​0​1​_​F​I​N​A​L.pdf

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