Les avancées en médecine permettent-elles de guérir du VIH ?
- On peut vivre avec le VIH mais pas en guérir, car il fait partie de la famille des rétrovirus, qui sont capables d’insérer leur matériel génétique dans celui des cellules qu’ils infectent.
- Pourtant, 3 rares cas de guérison apparente existent, à chaque fois grâce à une greffe de moëlle osseuse dans le but de soigner leucémie ou lymphome.
- Mais la greffe de moëlle osseuse n’est pas un traitement généralisable : elle présente beaucoup de risques ; reste difficile à mettre en place et ne garantit pas la rémission.
- La quête d’un vaccin efficace reste compliquée à cause des capacités d’adaptation virales : tous les essais cliniques n’ont pas été concluants.
- À défaut de pouvoir guérir du VIH, on peut diminuer les risques de l’attraper avec la prophylaxie pré-exposition ou vivre avec, sans être contagieux, avec les traitements adaptés.
Éclipsé depuis 2020 par le SARS-CoV‑2, le VIH, Virus de l’Immunodéficience Humaine, est responsable d’une pandémie qui dure depuis plus de quarante ans et qui a déjà provoqué environ 40 millions de décès. Nous avons fait le point dans un précédent article sur la situation actuelle du syndrome d’immunodéficience acquise (sida) dans le monde et sur les progrès des traitements et approches préventives. Une publication parue en février dernier dans la revue Nature, décrivant un patient manifestement débarrassé du VIH1, a remis une question fondamentale sur le devant de la scène : peut-on guérir du VIH ?
Greffes de moëlle et VIH
Les trithérapies font aujourd’hui du sida une maladie chronique : on peut vivre avec le VIH, mais pas en guérir. C’est dû à une spécificité des rétrovirus, la famille dont le VIH fait partie, qui sont capables d’insérer leur matériel génétique dans celui des cellules qu’ils infectent. Le génome viral peut donc rester tapi dans l’organisme et relancer la prolifération du virus en cas d’arrêt du traitement. Ce réservoir viral persistant fait l’objet de nombreux travaux de recherche et, si on le connait de mieux en mieux2, il reste impossible de l’éliminer efficacement. À quelques très rares exceptions près.
Il est toujours délicat de parler de guérison dans le cas de maladies connues pour être persistantes, comme les cancers ou le sida. Même si aucune trace de la pathologie n’est détectée pendant de longues périodes, rien ne garantit que ce soit définitif. Les spécialistes préfèrent généralement le terme de rémission et n’utilisent celui de guérison qu’au bout d’une période considérée comme assez longue, dont la durée est forcément arbitraire et varie selon les cas.
Reste que trois patients ont été présentés comme « guéris » du VIH, avec des parcours thérapeutiques assez similaires. Le premier, Timothy Brown, est connu comme le « patient de Berlin »3. Ayant développé une leucémie, il a été traité avec une greffe de moëlle osseuse en 2007 pour remplacer ses cellules sanguines. En l’absence de VIH détectable, sa trithérapie a été stoppée en 2008 et aucun rebond viral n’a été observé jusqu’à son décès en 20204. Une dizaine d’années plus tard, en 2016, Adam Castillejo, le « patient de Londres », a subi une greffe de moëlle pour soigner un lymphome. Son traitement anti-VIH a été stoppé l’année suivante et, après plus de cinq ans, l’infection n’a toujours pas repris5. Depuis février dernier, l’anonyme « patient de Düsseldorf » allonge cette liste ! Ayant subi une greffe de moëlle en 2013 pour lutter contre une leucémie, son traitement antirétroviral a été arrêté en 2018, sans reprise de la maladie depuis. Pour comprendre comment ces greffes ont permis de contrôler le VIH, il faut faire un petit peu de biologie moléculaire.
Les quelques cas de guérison du VIH restent plus intéressants pour la recherche que directement prometteurs pour les patients.
Pour infecter une cellule, le VIH a besoin d’y entrer. Cela nécessite que la protéine d’enveloppe présente en surface du virus, qu’on peut considérer comme une clé moléculaire, rencontre les bonnes serrures. La principale est le récepteur CD4, présent notamment sur les lymphocytes T4. Mais ce n’est pas la seule, un co-récepteur est également impliqué : il peut s’agir de la protéine CXCR4 ou de la protéine CCR5. Or les donneurs de moëlle sélectionnés pour les greffes des patients de Berlin, Londres et Düsseldorf avaient été soigneusement choisis : en plus d’être compatibles avec les receveurs, tous possédaient une mutation du gène codant la protéine CCR5. Appelée Δ32, celle-ci empêche l’entrée du VIH dans les cellules. Après leurs greffes, les systèmes immunitaires des trois patients se sont reconstruits à partir de moëlle portant cette mutation, et le VIH présent dans leurs organismes s’est retrouvé face à une porte close.
Un traitement d’exception
L’idée de pouvoir guérir le VIH est enthousiasmante. Néanmoins, plusieurs limites empêchent cette approche par greffe de moëlle de constituer un traitement généralisable. La première : la procédure médicale est extrêmement lourde, peut entraîner des décès dans environ 10 % des cas et a des effets secondaires conséquents. Son utilisation est légitime en dernier recours dans le cas d’un cancer résistant aux traitements, mais, en ce qui concerne le VIH, la balance bénéfice-risque des trithérapies est indiscutablement meilleure.
Par ailleurs, pour pouvoir effectuer une telle greffe, il faut trouver un donneur compatible (ce qui est déjà délicat, comme le rappellent les campagnes d’appel au don de moëlle6) qui soit aussi porteur de la mutation Δ32. Or celle-ci est rare. Sa fréquence varie selon les populations mais, au mieux, elle n’est présente que chez environ une personne sur cent : une vraie perle rare. Une alternative consiste à produire un greffon mixte, issu de cellules souches de cordon ombilical et d’un don, tous deux partiellement compatibles. Cette approche a été utilisée en 2017 pour traiter une femme métisse porteuse du VIH et souffrant d’une leucémie. En mars 2023, il a été annoncé que le virus demeure indétectable dans son organisme alors que son traitement a été arrêté il y a plus de deux ans7. Cette rémission deviendra peut-être une guérison !
Enfin, même si cela a moins d’écho dans les médias, tous les patients ayant reçu des greffes de moëlles porteuses de la mutation Δ32 n’ont pas guéri du VIH. Qu’il s’agisse de soucis liés à la greffe et au cancer contre lequel elle devait permettre de lutter8 ou d’adaptations du virus pour se passer de CCR5 en utilisant plutôt le co-récepteur CXCR49, la réussite est loin d’être systématique.
Les quelques cas de guérison du VIH répertoriés à ce jour restent donc plus intéressants pour la recherche que directement prometteurs pour les patients, tout comme ceux des quelques personnes qui semblent naturellement capables de maîtriser ce virus10. La quête d’un vaccin efficace est quant à elle compliquée par les capacités d’adaptation virales : tous les candidats prometteurs ont fini par être décevants lors des essais cliniques de phase 3, comme le rappelle l’arrêt récent de l’essai Mosaico11. Mais, à défaut de pouvoir guérir du VIH, nous sommes loin d’être démunis face à ce virus ! La prophylaxie pré-exposition, ou PreP, diminue considérablement les risques de l’attraper12 et les traitements permettent aujourd’hui de vivre avec ce virus, sans être contagieux13.
Quelques sites utiles pour s’informer sur le VIH/sida :
https://www.sida-info-service.org