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Baisse des notes : l’activité physique à la rescousse ?

Boris Cheval
Boris Cheval
professeur assistant en psychologie à ENS Rennes
En bref
  • En près de 20 ans, les résultats de la France au classement PISA ont nettement diminué, principalement en mathématiques et en lecture.
  • Le niveau scolaire des élèves français est influencé par de nombreux paramètres tels que le capital économique, social, scolaire et culturel.
  • Des recherches ont souligné que l’activité physique doublait presque les performances cognitives et scolaires.
  • Outre ces résultats, le sport présente de nombreux avantages : absence d’effets secondaires, bénéfices pour la santé physique et mentale…
  • L’activité physique idéale pour améliorer les performances scolaires est plutôt intense, se pratique de façon collective, demande équilibre, coordination et apprentissage.
  • Ces pratiques chamboulent la représentation de la classe idéale (assise et calme), seules des interventions systémiques et structurelles permettront leur développement.

En France, plusieurs organ­ismes aler­tent sur la baisse du niveau sco­laire, notam­ment con­cer­nant cer­taines matières telles que le français ou les math­é­ma­tiques. Si ce con­stat est nuancé par cer­tains experts, depuis une ving­taine d’années, le niveau sco­laire dans ces dis­ci­plines baisse (respec­tive­ment – 11 points et – 8 points par décen­nie pour la lec­ture et les math­é­ma­tiques). Quelles en sont les caus­es ? L’activité physique peut-elle être envis­agée comme l’une des solu­tions pour y remédier ?

Une baisse relative du niveau scolaire

Il ne fait aucun doute que l’exigence sco­laire a con­sid­érable­ment aug­men­té depuis les années 1970 comme l’analy­sent Nadir Alti­nok et Claude Diebolt dans un arti­cle pour The Con­ver­sa­tion1. Néan­moins, si on se penche sur la péri­ode allant de 2000 – mar­quant le début des enquêtes dili­gen­tées par le Pro­gramme inter­na­tion­al pour le suivi des acquis des élèves2 (PISA) – à 2020, les résul­tats sont moins enthousiasmants.

Les auteurs de l’article pointent du doigt une baisse inquié­tante du niveau sco­laire en lec­ture et en math­é­ma­tiques. Pour­tant, Eric Rodi­ti rap­pelle que « Les résul­tats de la France à PISA en math­é­ma­tiques ont tou­jours été plus ou moins dans la moyenne de l’OCDE (cf fig­ure). La seule excep­tion qui existe est le 1er PISA de l’an­née 2000, où la France était net­te­ment au-dessus de la moyenne OCDE. » Néan­moins, le chercheur pré­cise « comme c’é­tait la pre­mière éval­u­a­tion PISA, il n’est pas pos­si­ble d’écarter un éventuel effet du ques­tion­naire. » Pour expli­quer cette évo­lu­tion du niveau sco­laire, il déclare : « C’est plutôt la part et le niveau des élèves « forts » et « faibles » qui évolue. Les chiffres soulig­nent aus­si la cor­réla­tion, très forte en France, entre l’o­rig­ine sociale et la per­for­mance. » En effet, comme le mon­trent les don­nées3, la pro­por­tion des élèves en dif­fi­culté aug­mente pas­sant de 17 % en 2003 à 30 % en 2022. En par­al­lèle, celle des élèves per­for­mants baisse de 15 % à 7 % en 19 ans.

La per­for­mance sco­laire en baisse. Chiffres (non-pub­liés) four­nis par Pr. Jean-François Ches­né et Pr. Eric Rodi­ti4.

Si l’origine sociale sem­ble être un fac­teur déter­mi­nant de la per­for­mance sco­laire, encore faut-il en cern­er les mécan­ismes mis en jeu. Plusieurs con­stats de longue date ont été pro­posés par la soci­olo­gie : faible cap­i­tal économique, social, sco­laire et cul­turel. Il existe néan­moins un cap­i­tal oublié, qui aurait toute sa place aux côtés de ses caus­es macro­scopiques, et que seules des inter­ven­tions sys­témiques et struc­turelles peu­vent pal­li­er : le cap­i­tal physique et cognitif.

Activité physique et performances scolaires : quelle efficacité ?

Avant de se deman­der com­ment l’activité physique pour­rait être effi­cace, il faut d’abord mesur­er si elle l’est vrai­ment. À ce sujet, les recherch­es en psy­cholo­gie de l’activité physique et de l’éducation ne lais­sent plus la place au doute. « L’efficacité de l’activité physique sur les per­for­mances sco­laires, notam­ment les math­é­ma­tiques, a été démon­trée par de nom­breux essais ran­domisés con­trôlés. » pointe Boris Cheval. En effet, dans la note de févri­er 2022 que le chercheur a co-rédigé à l’attention du Min­istère de l’Éducation nationale5, on con­state une aug­men­ta­tion de 48 % et de 60 % des per­for­mances cog­ni­tives et sco­laires, respectivement.

Le chercheur rap­pelle égale­ment que cette effi­cac­ité est sans doute sous-éval­uée. « Quand vous mesurez l’efficacité d’un médica­ment, vous com­parez le groupe qui reçoit la sub­stance à un groupe qui reçoit un place­bo inerte. Dans la recherche sur l’activité physique, le groupe con­trôle reste un groupe physique­ment act­if, car il ne serait pas éthique de deman­der aux enfants de ne plus rien faire. »

Enfin, l’activité physique peut se tar­guer d’une chose que ne pos­sède aucun traite­ment au monde : l’absence d’effets indésir­ables. « L’activité physique ne génère aucun effet indésir­able sur les appren­tis­sages. Au con­traire, aug­menter le temps d’activité physique et le mou­ve­ment pour­rait les ren­dre plus qual­i­tat­ifs. L’augmentation de l’activité n’amenuit jamais les appren­tis­sages. Il faut réfléchir à la qual­ité du temps util­isé, autrement dit faire moins pour faire mieux », insiste Boris Cheval. Une dynamique qui a son équiv­a­lent dans le monde du tra­vail avec la semaine de 4 jours, dont la majorité des études mon­trent qu’elle serait large­ment béné­fique à la productivité.

Les effets positifs de l’activité physique

Com­ment l’activité physique agit-t-elle sur les per­for­mances sco­laires ? Boris Cheval cite quelques mécan­ismes biologiques qui pour­raient être à l’origine de l’effet de l’activité physique sur les per­for­mances sco­laires : « l’activité physique déclenche une dérégu­la­tion de l’homéostasie (ndlr : état d’équilibre phys­i­ologique) de notre corps. Cette dérégu­la­tion engen­dre une cas­cade de réac­tions et la libéra­tion de sub­stances (myokines, endor­phines, BDNF, etc.). De cela résulte une adap­ta­tion de l’ensemble des organes du corps humain, notam­ment des mod­i­fi­ca­tions au niveau du cerveau : angiogénèse, synap­to­genèse, neu­rogénèse… Cela veut dire que l’activité physique per­met à notre corps et à notre cerveau de mieux s’organiser, de mieux com­mu­ni­quer et donc de mieux fonc­tion­ner ce qui, en retour, agit sur les per­for­mances cog­ni­tives et par con­séquent sur les per­for­mances scolaires. »

De plus, en mobil­isant les fonc­tions cog­ni­tives de haut niveau, l’activité physique pour­rait amélior­er leur util­i­sa­tion. « Cer­taines activ­ités comme la danse ou les sports d’équipes per­me­t­tent d’utiliser cer­taines struc­tures mnésiques ou des fonc­tions exéc­u­tives pri­mor­diales dans cer­taines matières comme la mémoire de tra­vail ou l’inhibition », détaille Boris Cheval. Néan­moins, cela pose la ques­tion du trans­fert de com­pé­tences d’un domaine à un autre qui, à ce jour, reste large­ment débattue dans la recherche en psychologie.

Le portrait-robot de l’activité physique idéale

Si cer­taines activ­ités physiques mobilisent des fonc­tions cérébrales par­ti­c­ulières, cela sug­gère que toutes les activ­ités physiques ne se valent pas. Fort de tous ces élé­ments, il est pos­si­ble de dress­er un por­trait-robot de l’activité physique idéale pour amélior­er les per­for­mances sco­laires. « Elle doit être d’une inten­sité mod­érée à élevée, met­tre en jeu l’équilibre, la coor­di­na­tion, l’apprentissage, être exigeante sur le plan cog­ni­tif, être plutôt col­lec­tive que soli­taire et être pra­tiquée min­i­mum trois fois par semaine », énumère Boris Cheval.

Un point nova­teur de la recherche explore l’effet de l’expérience affec­tive d’une activ­ité physique. « L’idée de nos recherch­es en cours, c’est qu’une expéri­ence sportive avec une valence pos­i­tive ne serait pas seule­ment utile pour per­sévér­er dans l’activité au long terme, mais aurait égale­ment un effet poten­tial­isa­teur des effets biologiques et cog­ni­tifs de l’activité physique à court terme », souligne le chercheur.Précisons que ces recherch­es sont extrême­ment récentes et que des inves­ti­ga­tions plus appro­fondies sont en cours.

L’activité physique comme capital cognitif

À ce stade, nous savons que l’activité physique est un véri­ta­ble atout pour amélior­er les per­for­mances sco­laires, notam­ment les math­é­ma­tiques pour lesquelles le niveau de preuve est le plus robuste. En effet, tou­jours dans la même note PISA précédem­ment citée, on observe une aug­men­ta­tion spé­ci­fique des per­for­mances en math­é­ma­tiques médiée par l’activité physique de 86 % con­tre 53 % pour les langues.

La faible volon­té poli­tique (bien que dotée de bonnes inten­tions) ne donne pas les moyens néces­saires aux enseignants pour met­tre en œuvre les mesures.

Il existe égale­ment une cor­réla­tion entre le niveau d’activité physique et le statut socio-économique. En plus du cap­i­tal économique et du cap­i­tal cul­turel, il sem­blerait que les iné­gal­ités creusent égale­ment le cap­i­tal cog­ni­tif des indi­vidus, et cela dès le plus jeune âge. Boris Cheval rap­pelle que « l’enfance est une péri­ode cri­tique où l’on développe sa réserve cog­ni­tive. Les inter­ven­tions visant à aug­menter l’activité physique sont égale­ment plus effi­caces chez les pop­u­la­tions qui ont de plus faibles niveaux d’activité physique ou de per­for­mances cognitives. »

Remettre le mouvement au cœur de l’école

Pour pal­li­er ces dif­férences en matière de cap­i­tal cog­ni­tif, il n’y a qu’une seule solu­tion : remet­tre le mou­ve­ment au cœur de l’école et de l’apprentissage. « Le mou­ve­ment est indis­pens­able pour tous les appren­tis­sages. Il par­ticipe à la créa­tion de nou­velles habi­tudes cog­ni­tives en amélio­rant les fonc­tions cog­ni­tives. Il faut sor­tir de la représen­ta­tion qui sug­gère qu’un appren­tis­sage doit tou­jours se faire assis et en étant le plus calme pos­si­ble », com­mente Boris Cheval, perplexe.

Mal­heureuse­ment, des dynamiques archi­tec­turales et poli­tiques entra­vent cet objec­tif. « La faible volon­té poli­tique (bien que dotée de bonnes inten­tions) ne donne pas les moyens néces­saires aux enseignants pour met­tre en œuvre les mesures. Il en résulte un sen­ti­ment de coerci­tion et des iné­gal­ités ter­ri­to­ri­ales qui per­durent et qui s’aggravent », déplore Boris Cheval.

Pour con­tr­er ces dynamiques, il faut des mesures fortes. On peut citer par exem­ple, des for­ma­tions pour appren­dre et accom­pa­g­n­er les enseignants du pri­maire dans la mise en place d’activité de qual­ité ou d’un sou­tien économique. Il faut que les enseignants se sen­tent autonomes et accom­pa­g­nés. Les théories en psy­cholo­gie de la moti­va­tion, la théorie de l’auto-détermination ou encore celle du com­porte­ment plan­i­fié ont bien mis en évi­dence cela : pour adhér­er et per­sévér­er dans un com­porte­ment, il faut avant tout se sen­tir autonome, com­pé­tent et créer du lien. Sans ces ingré­di­ents, les bonnes inten­tions du gou­verne­ment res­teront prob­a­ble­ment vaines et les heures d’éducation physique et sportive au pro­gramme con­tin­ueront d’être les pre­mières à être annulées au besoin.

L’activité physique au-delà des performances scolaires

Pour con­clure, il faut évidem­ment rap­pel­er que l’activité physique n’est pas unique­ment un catal­y­seur de per­for­mances sco­laires. Son impact majeur con­cerne avant tout la san­té physique et men­tale. En effet, il est urgent d’agir sur le mode de vie des plus jeunes. Il faut lut­ter con­tre la perte de capac­ités car­dio-res­pi­ra­toires, l’obésité, le dia­bète de type 2 et toutes ces patholo­gies de plus en plus pré­co­ces. Sans une bonne san­té physique, la sco­lar­ité ne peut pas être qualitative.

Une édu­ca­tion physique bien menée à l’école per­me­t­trait d’inculquer le goût de l’effort, de la com­péti­tion, de la coopéra­tion et du dépasse­ment de soi. Tant de com­pé­tences qui sont utiles dans la vie sociale et pro­fes­sion­nelle. Ancr­er l’activité physique dans une expéri­ence affec­tive pos­i­tive per­me­t­trait de préserv­er le bien-être, la san­té physique et men­tale. Par la même occa­sion, c’est un moyen de préven­tion con­tre les iné­gal­ités socio-économiques et genrées.

Julien Hernandez
1https://​the​con​ver​sa​tion​.com/​m​a​t​h​s​-​l​e​c​t​u​r​e​-​l​e​-​n​i​v​e​a​u​-​d​e​s​-​e​l​e​v​e​s​-​b​a​i​s​s​e​-​t​-​i​l​-​v​r​a​i​m​e​n​t​-​1​98432
2https://​laviedesidees​.fr/​P​I​S​A​-​u​n​e​-​e​n​q​u​e​t​e​-​b​a​ncale
3https://​www​.ped​a​gogie​.ac​-nice​.fr/​c​p​e​/​2​0​2​3​/​1​2​/​0​6​/​n​o​t​e​-​d​i​n​f​o​r​m​a​t​i​o​n​-​d​e​-​l​a​-​d​e​p​p​-​n​2​3​-​4​8​-​r​e​s​u​l​t​a​t​s​-​p​i​s​a​-​2022/
4Jean-François Ches­né est pro­fesseur agrégé de math­é­ma­tiques, doc­teur en didac­tique des math­é­ma­tiques et coor­di­na­teur exé­cu­tif du Cen­tre nation­al d’étude des sys­tèmes sco­laires et Eric Rodi­ti est Pro­fesseur en sci­ences de l’éducation et de la for­ma­tion & didac­ti­cien des math­é­ma­tiques
5https://​www​.reseau​-canope​.fr/​f​i​l​e​a​d​m​i​n​/​u​s​e​r​_​u​p​l​o​a​d​/​P​r​o​j​e​t​s​/​c​o​n​s​e​i​l​_​s​c​i​e​n​t​i​f​i​q​u​e​_​e​d​u​c​a​t​i​o​n​_​n​a​t​i​o​n​a​l​e​/​N​o​t​e​_​C​S​E​N​_​2​0​2​2​_​0​6.pdf

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