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Pourquoi le Covid n’entraîne pas de baby-boom

Sander Wagner
Sander Wagner
chercheur associé au Centre Leverhulme de Science Démographique de l’Université d’Oxford et à l’ENSAE/CREST (IP Paris)
Felix Tropf
Felix Tropf
professeur adjoint en génétique des sciences sociales au CREST/ENSAE (IP Paris)

Au début de la pandémie, alors que les gou­verne­ments com­mençaient à pren­dre con­science de l’am­pleur de la crise du Covid-19 et que les con­fine­ments étaient annon­cés, nous avons vu se mul­ti­pli­er les reportages trai­tant des con­séquences de la pandémie sur les taux de fécon­dité. Le virus se déchaî­nait, tout comme notre imagination. 

Ces pre­miers reportages étaient presque entière­ment axés sur les effets posi­tifs du con­fine­ment sur la vie sex­uelle des cou­ples, et l’on se pré­parait ain­si à un baby-boom. Des doc­u­ments faisant état d’une aug­men­ta­tion des nais­sances neuf mois après des con­fine­ments pour cat­a­stro­phes naturelles (oura­gans ou tem­pêtes de neige) étaient exhumés, et cer­tains jour­naux étaient même allés jusqu’à bap­tis­er cette nou­velle généra­tion d’en­fants les « Coronials ».

Mythe ou réalité ?

La plu­part des experts se sont toute­fois mon­trés scep­tiques face à ces réc­its. En réal­ité, les recherch­es dont nous dis­posons sur les con­fine­ments passés sont beau­coup plus mod­érées dans leurs con­clu­sions que les croy­ances pop­u­laires qui se sont imposées. Une étude rigoureuse sur la grande panne d’élec­tric­ité de New York en 1965 n’a trou­vé aucun effet sur le taux de fécon­dité 1 et, alors que les risques mod­érés de tem­pête avaient certes entraîné une hausse de 2,1 % des nais­sances, les gross­es alertes d’oura­gan avaient elles provo­qué une baisse d’en­v­i­ron 2,2 % du nom­bre de nou­veau-nés neuf mois plus tard 2.

En out­re, il existe déjà un cor­pus de recherch­es sub­stantiel sur l’évolution des taux de fécon­dité pen­dant et après les pandémies. Leurs con­clu­sions sug­gèrent que ce que la télévi­sion et les con­seillers con­ju­gaux présen­taient comme des vérités absolues était faux. L’his­toire nous apprend au con­traire que les pandémies ne sont pas à l’o­rig­ine de baby-booms. Au con­traire : la plu­part du temps, elles entraî­nent un grave effon­drement de la natalité. 

Les leçons à tirer de la grippe espagnole

L’analo­gie his­torique la plus proche de la sit­u­a­tion actuelle est sans doute la grippe espag­nole de 1918, une autre pandémie véri­ta­ble­ment mon­di­ale – bien qu’il faille not­er qu’elle a été con­sid­érable­ment plus meur­trière pour les jeunes que le Covid-19, la majorité de la sur­mor­tal­ité se pro­duisant à l’époque chez les 20–40 ans 3. Les enseigne­ments de la grippe espag­nole en matière de fécon­dité sont clairs : en France, aux États-Unis ou même en Suède 4, les taux de natal­ité de tous les pays étudiés ont chuté de manière sub­stantielle – respec­tive­ment de 13% et 8% aux États-Unis et en Suède, dès que la pandémie a éclaté.

Les don­nées rel­a­tives à la grippe espag­nole mon­trent une chute du taux de natal­ité 9 mois après le pic de la pandémie. La chute a été par­ti­c­ulière­ment forte dans les villes qui n’ont mis en place que de faibles mesures pour endiguer le virus (ligne noire) © Sander Wagner

Peu après que les pre­mières mesures de con­fine­ment aient été pris­es en France, nous avons décidé d’ex­am­in­er com­ment les villes améri­caines qui ont mis en œuvre des inter­ven­tions non médi­cales, telles que le con­fine­ment des pop­u­la­tions ou les fer­me­tures d’en­tre­pris­es et d’é­coles pen­dant la pandémie de grippe espag­nole de 1918, se sont com­portées en ter­mes de fer­til­ité 5. Comme on pou­vait s’y atten­dre, la fécon­dité a chuté en moyenne de 10 à 15 % dans les villes étudiées. Cepen­dant, la chute a été moins pronon­cée dans les villes qui ont mis en œuvre des mesures plus durables et plus strictes. Le lien entre le fait de rester chez soi et l’aug­men­ta­tion du nom­bre de rap­ports sex­uels n’é­tait, après tout, peut-être pas inex­is­tant ?  Cepen­dant, nous avons remar­qué que ces villes avaient égale­ment con­nu des formes moins graves de l’épidémie, et que leur taux de mor­tal­ité était bien plus faible qu’ailleurs.

Nous avons donc émis l’hypothèse que les con­fine­ments ne s’étaient traduits par une aug­men­ta­tion de la natal­ité que parce qu’ils avaient per­mis de réduire le sen­ti­ment d’insécurité – inci­tant donc ain­si les indi­vidus à main­tenir leurs pro­jets d’enfants. 

Pour con­trôler cette hypothèse, nous avons inclus l’intensité de la pandémie dans nos mod­èles sta­tis­tiques. L’ef­fet des con­fine­ments sur le taux de fécon­dité s’est alors révélé négatif – ce qui sig­ni­fie que moins de nais­sances sont directe­ment liées aux confinements. 

Les « bébés Covid »

Pour en revenir à la sit­u­a­tion actuelle, les pre­mières prévi­sions se sont basées sur des enquêtes sta­tis­tiques et les recherch­es Google. Des enquêtes menées en mars et avril 2020 en France, en Alle­magne, en Espagne, en Ital­ie et au Roy­aume-Uni ont mon­tré que les 18–34 ans prévoy­aient de plus en plus de reporter, voire d’a­ban­don­ner, leurs pro­jets de pro­créa­tion. En Ital­ie, où l’épidémie a été par­ti­c­ulière­ment forte, seules 26 % des per­son­nes qui prévoy­aient d’avoir un enfant en 2020 ont déclaré qu’elles avaient tou­jours ce pro­jet, 37 % prévoy­ant de le reporter et 37 % déclarant l’avoir aban­don­né. En France, seuls 14 % ont déclaré avoir aban­don­né leur pro­jet d’en­fant, mais 51 % ont indiqué qu’ils le reporteraient si pos­si­ble 6.

Les don­nées de l’IN­SEE mon­trent que le nom­bre de décès en France (ligne jaune) a forte­ment aug­men­té alors que les nais­sances ont dimin­ué (ligne bleue). © Bilan Démo­graphique 2020

Une autre approche a con­sisté à utilis­er les recherch­es sur Google. Il est pos­si­ble de prédire les taux de fer­til­ité en obser­vant la fréquence de recherch­es telles que « ovu­la­tion », « test de grossesse » et « nausées mati­nales ». En appli­quant cette analyse aux États-Unis, les experts ont prévu une baisse de la fer­til­ité de 15 % dans les mois à venir 7.

Finale­ment, nous com­mençons à avoir un pre­mier aperçu des taux de fécon­dité pour 2020 et, ce faisant, nous con­sta­tons qu’elles sou­ti­en­nent l’hy­pothèse du baby crash. La fécon­dité a chuté de 2% en France en 2020, et de 3,8% aux États-Unis – avec un creux à ‑8% pour le mois de décem­bre, lorsque les effets de la pandémie ont com­mencé à se man­i­fester réelle­ment 8.

Néan­moins, de nom­breuses inter­ro­ga­tions demeurent. Les con­fine­ments et les fer­me­tures d’é­coles ont-ils eu un effet sup­plé­men­taire, indépen­dant de la pandémie ? Les aides économiques, là où il y en avait, ont-t-elles suff­isam­ment ras­suré les indi­vidus pour qu’ils main­ti­en­nent leurs pro­jets d’enfant, atténu­ant ain­si la chute de la fécon­dité ? Le boom économique prévu à la suite de la crise du Covid entraîn­era-t-il un rat­tra­page de la fécon­dité, com­pen­sant les nais­sances per­dues ? Toutes ces ques­tions sont autant de prob­lé­ma­tiques aux­quelles sont con­fron­tés les chercheurs.

1Richard Evans & Yingyao Hu & Zhong Zhao, 2010. « The fer­til­i­ty effect of cat­a­stro­phe: U.S. hur­ri­cane births, » Jour­nal of Pop­u­la­tion Eco­nom­ics, Springer;European Soci­ety for Pop­u­la­tion Eco­nom­ics, vol. 23(1), pages 1–36, Jan­u­ary.
2Udry JR. The effect of the great black­out of 1965 on births in New York City. Demog­ra­phy. 1970 Aug;7(3):325–7. PMID: 5524637.
3Aassve A, Cav­al­li N, Men­car­i­ni L, Plach S, Livi Bac­ci M. The COVID-19 pan­dem­ic and human fer­til­i­ty. Sci­ence. 2020 Jul 24;369(6502):370–371. doi: 10.1126/science.abc9520. PMID: 32703862.
4Gavrilo­va NS, Gavrilov LA. Pat­terns of mor­tal­i­ty dur­ing pan­dem­ic: An exam­ple of Span­ish flu pan­dem­ic of 1918. Pop­ul Econ. 2020;4(2):56–64. doi:10.3897/popecon.4.e53492
5Wag­n­er, S., Tropf, F. C., Cav­al­li, N., & Mills, M. C. (2020, Novem­ber 24). Pan­demics, Pub­lic Health Inter­ven­tions and Fer­til­i­ty: Evi­dence from the 1918 Influen­za. https://​doi​.org/​1​0​.​3​1​2​3​5​/​o​s​f​.​i​o​/​f3hv8
6LUPPI, F., Arpino, B., & Rosi­na, A. (2020, May 22). The impact of COVID-19 on fer­til­i­ty plans in Italy, Ger­many, France, Spain and UK. https://​doi​.org/​1​0​.​3​1​2​3​5​/​o​s​f​.​i​o​/​wr9jb
7Joshua Wilde & Wei Chen & Sophie Lohmann, 2020. « COVID-19 and the future of US fer­til­i­ty: what can we learn from Google?, » MPIDR Work­ing Papers WP-2020–034, Max Planck Insti­tute for Demo­graph­ic Research, Ros­tock, Ger­many.
8Cohen, P. N. (2021, March 17). Baby Bust: Falling Fer­til­i­ty in US Coun­ties Is Asso­ci­at­ed with COVID-19 Preva­lence and Mobil­i­ty Reduc­tions. https://​doi​.org/​1​0​.​3​1​2​3​5​/​o​s​f​.​i​o​/​qwxz3

Auteurs

Sander Wagner

Sander Wagner

chercheur associé au Centre Leverhulme de Science Démographique de l’Université d’Oxford et à l’ENSAE/CREST (IP Paris)

Sander Wagner est chercheur associé au Leverhulme Centre de Science Démographique de l’Université d’Oxford et chercheur affilié à l’ENSAE/CREST. Ses recherches portent sur la démographie, la maternité, la stratification sociale, la mobilité intergénérationnelle et la richesse.

Felix Tropf

Felix Tropf

professeur adjoint en génétique des sciences sociales au CREST/ENSAE (IP Paris)

Felix Tropf est sociologue et s’intéresse à la démographie, à la génétique et au parcours de vie. Il est professeur adjoint en génétique des sciences sociales au CREST/ENSAE, membre associé du Nuffield College à Oxford et scientifique invité au Queensland Institute for Medical Research (QIMR) en Australie. Il a reçu le prix européen de démographie pour la meilleure thèse de doctorat.

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