Vignes & Climat
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Vin : qu’importe le climat, pourvu qu’on ait l’ivresse ?

Faire évoluer la viticulture pour conserver la qualité de nos champagnes

Clément Boulle, Directeur exécutif de Polytechnique Insights
Le 18 mars 2021 |
4 min. de lecture
Marc Brévot
Marc Brévot
directeur de la R&D de MHCS, la branche Champagne du groupe LVMH
Vincent Malherbe
Vincent Malherbe
directeur Vignoble et Approvisionnements chez LVMH
En bref
  • LVMH et leur filiale Moët & Chandon constatent les effets du changement climatique sur la structure de leurs champagnes, dont la teneur en alcool augmente.
  • Pour contrer cette tendance, ils ont ainsi mis en place des unités de recherche menant des expérimentations destinées à adapter la production de leurs champagnes (caissons de refroidissement sous vide, analyses d’images par une intelligence artificielle pour caractériser l’état des raisins, etc.).
  • Pour eux, les cahiers des charges de l’INAO [l’organisme de réglementation des indications géographiques protégées] sont trop stricts, et devraient être assouplis pour permettre aux viticulteurs de mener des expérimentations sur leurs vignes sans risquer le déclassement.

Com­ment le réchauf­fe­ment cli­ma­tique affecte-t-il le vig­no­ble de Champagne ?

Vin­cent Mal­herbe. Les con­di­tions sont de plus en plus mérid­ionales et nous ont con­duits à com­mencer les ven­dan­ges au mois d’août à trois repris­es ces dix dernières années. Les print­emps étaient froids et arrosés. Ils sont désor­mais plus chauds et plus secs. La vigne arrivait à matu­rité fin sep­tem­bre, voire début octo­bre, alors qu’il fai­sait env­i­ron 4° le matin et 14° l’après-midi. Désor­mais, il peut faire plus de 25° au moment des vendanges. 

Quels sont les impacts en ter­mes de qualité ?

VM. Les matu­rités sont supérieures donc c’est béné­fique, mais cela pour­rait chang­er si le cli­mat con­tin­ue à évoluer. Par le passé, nous ven­dan­gions en octo­bre pour attein­dre la matu­rité néces­saire et nous pou­vions ren­con­tr­er deux prob­lèmes : un excès d’acidité et un risque de mal­adies liées à l’humidité. Désor­mais, les con­traintes sont nou­velles : le taux d’alcoolémie est supérieur et l’acidité baisse. Nous devons être vig­i­lants car c’est un élé­ment néces­saire à l’équilibre et au vieil­lisse­ment des cham­pagnes. En moyenne mobile sur qua­tre ans, le degré d’alcoolémie est passé de 9,6° en 2007 à 10,1° en 2020. Dans les années 1980, il était fréquent de ven­dan­ger entre 7,5° et 8°. 

Marc Brévot. L’évolution du con­texte cli­ma­tique impacte tous les com­par­ti­ments de l’écosystème vigne. On voit par exem­ple des mod­i­fi­ca­tions du micro­biote des raisins pou­vant amen­er des arômes jusqu’alors incon­nus. On observe aus­si cer­taines années une désyn­chro­ni­sa­tion de la vérai­son [mod­i­fi­ca­tion de la couleur des baies], ce qui se traduit par une accu­mu­la­tion des sucres en avance sur la matu­rité phéno­lique et aro­ma­tique. Autre exem­ple, en com­para­nt des analy­ses de com­po­si­tion de moûts actuels avec celles des années 1980 sur les mêmes par­celles, on con­state que la matière azotée n’est plus la même. On perd en quan­tité et par ailleurs, la com­po­si­tion en acides aminés devient moins prop­ice à la vini­fi­ca­tion. Nous devons donc pilot­er plus fine­ment l’élaboration des vins, pour éviter des écarts organolep­tiques avec le style désiré. Nous avons pour cela dévelop­pé en R&D puis déployé un con­trôle en temps réel des fer­men­ta­tions dans le nou­veau site de vini­fi­ca­tion Moët & Chan­don de Mon­taigu. Nous testons aus­si de nou­velles tech­nolo­gies pour le futur, comme des cais­sons de refroidisse­ment sous vide pour obtenir rapi­de­ment et effi­cace­ment une tem­péra­ture idéale des raisins en vue de la vini­fi­ca­tion, ou des tech­niques d’analyse d’images traitées par intel­li­gence arti­fi­cielle pour car­ac­téris­er l’état des raisins, au vig­no­ble ou après cueil­lette, pour obtenir une matière pre­mière con­forme à nos stan­dards de qual­ité. Nous avançons égale­ment en recherche pour mieux com­pren­dre le micro­biote et son influ­ence sur la qual­ité de nos pro­duits, inté­gr­er de nou­veaux indi­ca­teurs pré­co­ces de sen­si­bil­ité aux mal­adies pour aider les opéra­tionnels dans leur prise de déci­sion (ex : indices de fragilité de la pel­licule de raisin), ou encore iden­ti­fi­er les futures var­iétés de vignes à poten­tiel dans le nou­veau con­texte climatique.

Prélève­ment pour analyse micro­biote raisin ©R&D MHCS

Quels sont les leviers pour con­tr­er les effets de l’évolution climatique ?

VM. La con­duite de la vigne évolue, la taille notam­ment. On adapte le matériel végé­tal en util­isant par exem­ple des porte-greffes d’autres régions. Mais les cahiers des charges de l’INAO [l’organisme de régle­men­ta­tion des indi­ca­tions géo­graphiques pro­tégées] sont très stricts. Il ne faut pas figer nos recettes dans le mar­bre alors que l’en­vi­ron­nement évolue. Nous deman­dons un droit à l’expérimentation autant d’un point de vue écologique qu’agronomique sans ris­quer le déclasse­ment. Les Alle­mands, les Suiss­es et les Ital­iens sont plus sou­ples que nous. La tra­di­tion d’au­jour­d’hui n’est pas souten­able à long terme, et il n’est pas non plus souhaitable d’entrer dans une stratégie de rup­ture. Nous devons évoluer pour main­tenir le style et la qual­ité de nos vins. Il y a un siè­cle et demi, le Chardon­nay n’existait pas en Cham­pagne. Les anciens ont su évoluer.

A l’avenir, on aura besoin de cépages au cycle végé­tatif plus tardif, car il y a une cor­réla­tion entre la matu­rité et l’expression du fruit. 

MB. Il y a une pres­sion con­sid­érable sur la dura­bil­ité de l’agriculture d’une part, et une oblig­a­tion à s’adapter au cli­mat d’autre part. L’optimisation con­tin­ue comme mod­èle de l’agriculture d’après-guerre est ter­minée. Nous devons dévelop­per des approches sys­témiques et non plus ana­ly­tiques. L’agroécologie est en cela une piste pas­sion­nante. C’est un pilotage d’écosystème com­plexe dans lequel la vigne n’est plus isolée, mais bien par­tie inté­grante de l’en­vi­ron­nement, de la bio­di­ver­sité et du climat.

Quel est l’avenir du vig­no­ble cham­p­enois ? Êtes-vous intéressés par les nou­veaux vig­no­bles, comme ceux du sud de l’Angleterre ?

VM. Con­sid­érant ce que nous venons de dire, le vig­no­ble cham­p­enois a un avenir radieux et ensoleil­lé… à con­di­tion de nous don­ner les moyens de faire évoluer, raisonnable­ment, nos pra­tiques cul­tur­ales. La solu­tion passe par l’innovation dans le respect de nos tra­di­tions. Nous avons énor­mé­ment à faire sur nos 1 200 hectares en Cham­pagne, l’expansion sur des vig­no­bles dans le sud de l’Angleterre n’est pas d’actualité, même si nous suiv­ons d’un œil atten­tif l’évolution des pra­tiques et tech­niques outre-Manche.

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