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π Santé et biotech
Au-delà du Covid, les promesses des vaccins ARN messager

Un vaccin ARN messager contre le cancer ?

Agnès Vernet, journaliste scientifique
Le 8 décembre 2021 |
4 min. de lecture
Suzy Scholl
Suzy Scholl
directrice du consortium européen RAIDS au sein de l’Institut Curie
En bref
  • Les tumeurs malignes utilisent une stratégie de déploiement en créant une sorte de bouclier qui modifie les acteurs de la réponse immunitaire et donc affaiblit la réponse anti-tumorale.
  • Les propriétés immunostimulatrices des ARN messager (ARNm) permettent de rééduquer le système immunitaire à reconnaître un ou plusieurs marqueurs de cellules cancéreuses. C’est pourquoi on parle de vaccin anti-cancer.
  • Du point de vue médical, ces thérapies sur-mesure sont intéressantes, mais les prototypes risquent d’être très coûteux et seront réservés aux patients soignés dans des centres experts en immunothérapie, tant leur mise en œuvre est technique.
  • Les tumeurs avancées peuvent former des métastases, malgré l’administration d’un ou plusieurs traitements. Si les molécules ARNm poursuivent avec succès leur développement, elles viendront compléter l’arsenal thérapeutique actuel, se combiner à d’autres thérapies ciblées et ainsi réduire davantage la mortalité de ces pathologies.

Plus de 300 000 nou­veaux can­cers sont diag­nos­tiqués chaque année en France, avec plus de 150 000 décès qui leur sont imputa­bles. Si la recherche clin­ique a fait des pro­grès sig­ni­fi­cat­ifs ces dernières décen­nies, en per­me­t­tant d’affiner le diag­nos­tic, de mieux soign­er, voire de guérir cer­tains types de tumeurs, les besoins de nou­velles thérapies restent immenses. La biolo­gie molécu­laire a mon­tré que les can­cers sont provo­qués par une accu­mu­la­tion d’altérations du génome des cel­lules tout au long de la vie, ce qui à terme peut aboutir à une pro­liféra­tion cel­lu­laire non con­trôlée : un can­cer. Mais les tumeurs malignes utilisent d’autres straté­gies pour se déploy­er. Ain­si, elles mod­i­fient leur « micro-envi­ron­nement » et con­stru­isent autour d’elles un nou­veau réseau de petits vais­seaux san­guins, appor­tant les élé­ments nutri­tifs qui lui sont indis­pens­ables. La mod­i­fi­ca­tion tolérisante du micro-envi­ron­nement tumoral pro­tège les tumeurs du sys­tème immu­ni­taire en créant une sorte de boucli­er. La réponse immu­ni­taire est ain­si affaib­lie, le corps com­mence à tolér­er la tumeur, réminis­cent de la toléri­sa­tion d’un fœtus et de son pla­cen­ta qui représente les antigènes des deux par­ents et pas seule­ment ceux de la mère.

Les pro­priétés immunos­tim­u­la­tri­ces des ARN mes­sagers (ARNm) de syn­thèse peu­vent aider à cor­riger ce phénomène. Cette stratégie con­siste à pro­duire des ARNm codant pour des pro­téines con­sid­érées comme étrangères au patient nor­mal, on les nomme « épi­topes tumoraux ». Ces molécules peu­vent être con­sid­érées comme des bio­mar­queurs immu­ni­taires des tumeurs. Lorsque le sys­tème immu­ni­taire recon­naît ses pro­téines, il réag­it presque comme pour des agents pathogènes (virus ou microbes), il garde en mémoire ces mar­queurs. C’est pourquoi on par­le de vac­cin anti-can­cer pour décrire ces ARNm. En injec­tant ces vac­cins aux patients, il ne s’agit pas de vac­cin­er con­tre un pathogène, mais de réé­du­quer le sys­tème immu­ni­taire à recon­naître un ou plusieurs mar­queurs de cel­lules can­céreuses. Encore faut-il iden­ti­fi­er ce, ou plutôt ces marqueurs.

Une tâche complexe, mais pas impossible

Les can­cers utilisent de mul­ti­ples voies pour se dévelop­per et ils ont une grande plas­tic­ité. Il est donc cru­cial d’étudier le génome des tumeurs de chaque patient afin d’identifier la per­ti­nence des épi­topes tumoraux. Du point de vue médi­cal, ces thérapies sur-mesure sont intéres­santes, mais les pro­to­types risquent d’être très coû­teux et seront réservés aux patients soignés dans des cen­tres experts en immunothérapie, tant leur mise en œuvre est technique.

Afin de sim­pli­fi­er le champ d’investigation, des entre­pris­es bio­médi­cales envis­agent la pro­duc­tion d’ARNm ciblant des antigènes tumoraux fréquents et bien con­nus. La société alle­mande BioN­Tech, qui s’est fait con­naître pour avoir dévelop­pé le vac­cin anti-Covid avec Pfiz­er, est très en avance sur ces pro­grammes. Elle dis­pose ain­si d’ores et déjà de plusieurs ARNm-can­di­dats, étudiés dans des tumeurs héma­tologiques ain­si que dans de nom­breuses tumeurs solides.

Par­mi les épi­topes antigéniques tumoraux, cer­tains sont com­muns à des can­cers sur­venant dans des organes dif­férents. C’est le cas, par exem­ple, de cer­tains récep­teurs mem­branaires tels que l’EGFR (HER1) (qui sont activés par des muta­tions acti­va­tri­ces présen­tant des épi­topes antigéniques dif­férents des récep­teurs nor­maux) dans de nom­breux adéno­car­ci­nomes, c’est-à-dire dans des sous-groupes de can­cers du sein, de la prostate, de la thy­roïde, du pan­créas, des ovaires, du rein, du foie, du can­cer col­orec­tal. Néan­moins, dans les tumeurs avancées, plusieurs oncogènes sont activés, et surtout, un grand nom­bre de gènes sup­presseurs (les freins phys­i­ologiques de la pro­liféra­tion cel­lu­laire) sont per­dus, per­me­t­tant une avancée tumorale sans contrainte.

Une mise sur le marché pas si lointaine ?

La plu­part de ces can­di­dats-vac­cins sont actuelle­ment en phase d’étude clin­ique de type 1 ou 2, tes­tant leur tolérance et leur effi­cac­ité con­tre des mélanomes métas­ta­tiques, des can­cers de la tête et du cou, des tumeurs ovari­ennes et des can­cers col­orec­taux. Alors qu’il est d’usage de faire une étude de phase 3 com­par­a­tive avec les traite­ments « stan­dard » précé­dents avant de sol­liciter l’autorisation de mise sur le marché, dans ce cas, cela risque d’être com­pliqué. Il est en effet déli­cat sur le plan éthique de con­stru­ire un essai clin­ique où cer­tains patients sont traités par une chimio­thérapie con­ven­tion­nelle dévelop­pée empirique­ment en clin­ique sur la base d’un taux de réponse et de la durée de cette réponse. Les chimio­thérapies con­ven­tion­nelles fréquem­ment util­isées agis­sent en entra­vant des fonc­tions cel­lu­laires, par exem­ple en empêchant la répa­ra­tion de l’ADN, ou en blo­quant le fuse­au mito­tique, mais les résis­tances à ces mécan­ismes com­men­cent seule­ment à être élu­cidés. Dans un con­texte de tumeurs évoluées avec altéra­tions mul­ti­ples, il pour­ra être aus­si très com­plexe de con­stru­ire des groupes à com­par­er, c’est-à-dire avec des patients partageant exacte­ment les mêmes anom­alies molécu­laires dans le bras act­if et le bras témoin. Ces inno­va­tions pour­raient donc poten­tielle­ment accéder au marché à par­tir de solides don­nées de phase 2.

In fine, les tumeurs avancées sont très hétérogènes tout en étant pourvues d’une grande plas­tic­ité. Lorsqu’elles se dis­persent dans le corps, for­mant des métas­tases, mal­gré l’administration d’un ou plusieurs traite­ments, les cel­lules tumorales « per­sis­tantes » sont remar­quables par leur adapt­abil­ité et par la présence de nom­breux défauts qui les empêchent de mourir. Dans cette sit­u­a­tion, il est com­muné­ment admis qu’il fau­dra cibler le can­cer par de mul­ti­ples approches con­join­te­ment. Un très grand nom­bre de lab­o­ra­toires s’intéressent aux ARN dans le cadre de futurs traite­ments con­tre le can­cer. Si elles pour­suiv­ent avec suc­cès leur développe­ment, elles vien­dront com­pléter l’arsenal thérapeu­tique actuel, et util­isés con­join­te­ment avec d’autres thérapies ciblées devraient réduire davan­tage la mor­tal­ité de ces pathologies.

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