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Say on Climate : quel rôle ont les actionnaires dans les politiques d’entreprises ?

Ekatarina Ghosh
Ekaterina Ghosh
étudiante en économie des villes intelligentes et des politiques climatiques à l'École polytechnique (IP Paris)
Patricia Crifo
Patricia Crifo
professeure d’économie à l’École polytechnique (IP Paris), chercheuse au CREST (CNRS) et chercheuse associée à CIRANO
En bref
  • Le Say on Climate est une résolution portant sur la stratégie climat d’une entreprise qui est soumise au vote de ses actionnaires lors d’une assemblée générale.
  • En cas de controverse importante, les actionnaires peuvent menacer d’intenter une action en justice ou de poursuivre les entreprises dont ils désapprouvent la politique.
  • De nombreuses entreprises soumettent des résolutions Say on Climate par pure formalité et sans réelle ambition : elles ont plus de chances de faire du greenwashing.
  • L’absence de clarté concernant l’autorité des parties prenantes dans les résolutions du Say on Climate a entraîné des tensions dans les discussions liées au climat.
  • La mise en place de politiques et d’initiatives de la part des parties prenantes pourraient permettre d’améliorer les résultats du Say on Climate.

Les assem­blées générales d’actionnaires sont un moment-clé de la démoc­ra­tie action­nar­i­ale – notam­ment pour les entre­pris­es cotées en bourse. En effet, c’est à ce moment que l’avis des action­naires est générale­ment sol­lic­ité sur plusieurs sujets vitaux : élec­tions du con­seil d’administration, rémunéra­tion des cadres dirigeants ou encore mod­i­fi­ca­tion du statut de l’entreprise. Sous cer­taines con­di­tions, ils peu­vent égale­ment pro­pos­er des réso­lu­tions à vot­er, comme les straté­gies cli­mat essen­tielles. C’est dans ce con­texte que le mod­èle du Say on Cli­mate est apparu.

Les actionnaires peuvent influencer les politiques climatiques

Conçu sur le mod­èle du Say on Pay, qui con­cerne la rémunéra­tion des cadres dirigeants, le Say on Cli­mate est né aux États-Unis et se développe pro­gres­sive­ment en Europe, notam­ment en France. Faisant par­tie des réso­lu­tions de l’agenda des assem­blées générales, le Say on Cli­mate peut être présen­té par l’entreprise elle-même – ou ses action­naires – pour que les action­naires votent chaque année la stratégie cli­mat des entre­pris­es cotées et ain­si assur­er un dia­logue per­ma­nent sur les ques­tions environnementales.

Dès 2009, Ceres (Coali­tion for Envi­ron­men­tal­ly Respon­si­ble Economies, une ONG spé­cial­isée dans le développe­ment durable) et plusieurs investis­seurs insti­tu­tion­nels majeurs ont envoyé une péti­tion à l’autorité finan­cière améri­caine, la SEC (Secu­ri­ty Exchange Com­mis­sion), pour deman­der à ce qu’elle exige plus de trans­parence de la part des entre­pris­es con­cer­nant leur impact cli­ma­tique et leur empreinte carbone.

En jan­vi­er 2019, 30 anciens et actuels employés d’Amazon détenant des actions gra­tu­ites ont déposé une réso­lu­tion pour qu’Amazon présente un plan d’action cli­mat. Quelques semaines plus tard, en avril 2019, plus de 6 000 employés améri­cains d’Amazon envoy­aient une let­tre à leur PDG, Jeff Bezos, pour soutenir cette initiative.

Et en décem­bre 2017, la Cal­i­for­nia Pub­lic Employ­ees’ Retire­ment Sys­tem (CalPers), le fonds de pen­sion publique le plus impor­tant des États-Unis (1,6 mil­lions de Cal­i­forniens), a lancé le Cli­mate Action 100+. Cette ini­tia­tive incite les investis­seurs qui sont engagés avec des entre­pris­es cri­ti­quables sur le plan cli­ma­tique – celles représen­tant 2/3 des émis­sions mon­di­ales de gaz à effet de serre – à déclencher les étapes néces­saires pour com­bat­tre le change­ment cli­ma­tique. Par­mi ces 166 entre­pris­es, on peut notam­ment citer Air France, KLM, Air­bus, Arcelor­Mit­tal, Pep­si, et Total­En­er­gies1.

Voilà ce qu’on appelle un engagement actionnarial

Très com­munes aux États-Unis, ces récla­ma­tions résul­tent sou­vent d’un dia­logue infructueux avec la direc­tion de l’entreprise. Engager un dia­logue avec les entre­pris­es et dépos­er des pro­jets de réso­lu­tions pré­sup­pose de détenir une pro­por­tion sig­nifi­ante de cap­i­tal pour exercer une réelle influ­ence sur les entre­pris­es ou pen­dant l’assemblée générale. En général, les régu­la­tions fix­ent un seuil min­i­mum d’actions pour être en mesure de pro­pos­er des réso­lu­tions. En France, ce seuil est de 5 % d’actions pour les SARL et SA : aux États-Unis, il est suff­isant d’avoir des actions d’une valeur de 2 000 $.

Aux États-Unis, les réso­lu­tions externes étaient prin­ci­pale­ment liées à la direc­tion, notam­ment la rémunéra­tion des cadres avant l’adoption du Say on Pay. Mais, depuis 10 ans, ce sont les ques­tions d’ESG qui ont con­sti­tué la plu­part des réso­lu­tions externes. Les réso­lu­tions envi­ron­nemen­tales, notam­ment celles liées au cli­mat, sont doré­na­vant aus­si nom­breuses que les réso­lu­tions direc­tion­nelles. C’est prob­a­ble­ment dû au fait que les régu­la­tions envi­ron­nemen­tales améri­caines sont moins restric­tives, ce qui fait que les action­naires se sub­stituent à l’État. À l’heure actuelle, le vote sur les réso­lu­tions du Say on Cli­mate est pure­ment con­sul­tatif. De plus, en l’absence d’un cadre lég­is­latif, les opin­ions prodiguées ne sont pas légale­ment contraignantes.

En France, la majorité des réso­lu­tions externes con­cerne des ques­tions de gou­ver­nance (désig­na­tion des directeurs, rémunéra­tion des dirigeants, etc.). Le pre­mier cas observé de réso­lu­tion liée au cli­mat était Total­En­er­gies, en 2020, avec un pro­jet d’amendement des statuts prévoy­ant que l’entreprise fixe des réduc­tions d’émissions de caté­gories 1, 2 et 3 à moyen et long terme en appli­ca­tion des Accords de Paris sur le cli­mat2.

Les entreprises européennes sont de la partie

L’association Share liste un total de onze réso­lu­tions liées au cli­mat en Europe en 2020 : six en Norvège, qua­tre au Roy­aume-Uni et une en France. À l’exception de la banque bri­tan­nique Bar­clays, elles visent toutes des com­pag­nies pétrolières. Bien que ces réso­lu­tions demeurent des cas isolés, leur nom­bre aug­mente sen­si­ble­ment. En moyenne, on dénom­brait moins de deux cas par an avant 2015 : on en compte cinq entre 2015 et 2019.

Dix entre­pris­es français­es ont par­ticipé au test du Say on Cli­mate en 2022, à savoir Amun­di, Car­refour, EDF, Elis, Engie, Getlink, Icade, Mer­cialys, Nex­i­ty et Total­En­er­gies3. Le taux moyen d’ap­pro­ba­tion des plans cli­mat pro­posés par ces dix entre­pris­es était de 93 %. Selon le FIR, ces résul­tats soulig­nent le « pro­grès con­cer­nant l’harmonisation des rap­ports avec des indi­ca­teurs et des critères pré­cis »4.

Le taux d’approbation des réso­lu­tions tombe à 37 % pour les réso­lu­tions non approu­vées par le Con­seil (plus de 98 % pour les réso­lu­tions approu­vées par le Con­seil). L’identité des pro­mo­teurs a égale­ment changé : aux côtés d’associations ou d’ONG, on observe désor­mais plus d’investisseurs insti­tu­tion­nels. Les réso­lu­tions liées au cli­mat peu­vent être classées en deux caté­gories : celles qui deman­dent plus d’informations sur les objec­tifs cli­ma­tiques et les moyens cor­re­spon­dants à met­tre en œuvre ; celles qui guident les opérations.

Dans les sit­u­a­tions de con­tro­verse les plus impor­tantes, les action­naires ou les groupes d’actionnaires peu­vent men­ac­er d’intenter une action en jus­tice ou de pour­suiv­re les entre­pris­es dont ils dés­ap­prou­vent la poli­tique. Dans le cas des risques cli­ma­tiques, les plaig­nants sont le plus sou­vent des ONG ou des villes – vic­times directes des con­séquences du change­ment cli­ma­tique – et rarement des action­naires. Par exem­ple, l’État français a été con­damné pour inac­tion cli­ma­tique par le tri­bunal admin­is­tratif de Paris en 2021 : cette ini­tia­tive s’inscrivait dans la lignée d’autres actions entre­pris­es en 2019 par Green­peace, Oxfam, la Fon­da­tion Nico­las Hulot pour la Nature et l’Homme et Notre Affaire à Tous.

Il y a égale­ment des cas où des entre­pris­es ont été pour­suiv­ies par des investis­seurs pour manque de trans­parence sur le risque cli­ma­tique. En août 2017, par exem­ple, des action­naires ont engagé une procé­dure judi­ci­aire con­tre la Com­mon­wealth Bank of Aus­tralia pour avoir omis de divulguer, dans leur rap­port annuel de 2016, des infor­ma­tions sur le risque cli­ma­tique lié au finance­ment d’une mine de char­bon dans le Queensland.

Le Say on Climate et les régulations

L’investissement sociale­ment respon­s­able devient un enjeu récur­rent pour les action­naires souhai­tant se pro­téger des risques liés au cli­mat ou d’un scan­dale répu­ta­tion­nel, et la norme ESG ne fait que ren­forcer cette dynamique. En Europe, l’annonce récente d’une série de direc­tives lég­isla­tives sur la divul­ga­tion des infor­ma­tions rel­a­tives au développe­ment durable pour­rait con­tribuer à accroître non seule­ment la quan­tité mais aus­si la qual­ité des réso­lu­tions du Say on Cli­mate.

S’il est facile d’avoir l’ambition de com­bat­tre les effets négat­ifs du change­ment cli­ma­tique, c’est une autre affaire que de se pencher sur sa mise en œuvre effec­tive : elle reste dif­fi­cile à définir, soulève des inquié­tudes et nour­rit des doutes légitimes. Con­crète­ment, quelles sont les nou­velles pra­tiques à met­tre en œuvre ? Com­ment pass­er de l’ambition à l’action ? Se pencher sur les engage­ments cli­ma­tiques des entre­pris­es per­met de se ren­dre compte que nom­bre d’entre eux sont insuff­isam­ment défi­nis. Et par­fois, les plans d’actions faibles ne résul­tent pas d’une inadap­ta­tion inten­tion­nelle mais plutôt d’un manque de con­nais­sances et de ressources pour éval­uer cet impact.

De nom­breuses entre­pris­es se con­tentent de soumet­tre des réso­lu­tions Say on Cli­matepar pure formalité.

C’est tout aus­si vrai pour les dossiers du Say on Cli­mate, dont le sujet peut vari­er en fonc­tion de l’émetteur du dossier : par exem­ple, un acteur qui con­stru­it un plan de tran­si­tion énergé­tique ou un acteur qui s’intéresse aux poli­tiques cli­ma­tiques pour la pre­mière fois. Con­séquence : plus de chances de faire du green­wash­ing quand de nom­breuses entre­pris­es se con­tentent de soumet­tre des réso­lu­tions Say on Cli­mate par pure for­mal­ité, sans plans d’actions trans­par­ents, sans straté­gies con­crètes, sans réelle ambi­tion. Si on com­prend aisé­ment qu’établir une stratégie cli­mat solide est com­pliqué, surtout la pre­mière fois, les réso­lu­tions cli­ma­tiques se doivent d’aboutir à des actions véri­fi­ables et alignées sur la science.

Par con­séquent, main­tenir l’engagement action­nar­i­al est essen­tiel pour que l’ambition cli­ma­tique des entre­pris­es et les infor­ma­tions com­mu­niquées par les dirigeants puis­sent être analysées et révisées régulière­ment. Pour­tant, selon le MSCI, la plu­part des votes (58 %) du Say on Cli­mate en 2021 n’étaient que ponctuels, avec seule­ment 24 % des votes qui font l’objet d’un suivi annuel5. Alors com­ment faire en sorte que l’action en faveur du cli­mat ne soit pas une sim­ple dis­trac­tion pour les investis­seurs ? La mise en place de poli­tiques et d’initiatives de la part des par­ties prenantes pour­raient per­me­t­tre d’améliorer les résul­tats du Say on Cli­mate.

Comment ces politiques vont-elles interagir avec le Say on Climate ?

Étant don­né les man­dats de report­ing faisant par­tie de l’European Green Deal en 2021, et l’accessibilité gran­dis­sante aux don­nées ESG, on s’attend à ce que les action­naires se fassent davan­tage enten­dre et soient plus stricts dans leurs deman­des de réso­lu­tions Say on Cli­mate. En France, un appel a déjà été lancé à l’autorité des marchés financiers (AMF) pour qu’elle demande à toutes les entre­pris­es soumis­es à la direc­tive sur la respon­s­abil­ité sociale des entre­pris­es (CSRD) de par­ticiper au Say on Cli­mate6. Les entre­pris­es béné­ficieront égale­ment du fait qu’elles ont déjà col­lec­té une grande par­tie de leurs don­nées ESG pour se con­former à la régle­men­ta­tion, et qu’elles seront habil­itées à présen­ter un avis sur les propo­si­tions rel­a­tives au climat.

Grâce à l’introduction de tax­onomies durables, les action­naires et les ges­tion­naires peu­vent utilis­er un cadre nor­mal­isé pour iden­ti­fi­er les activ­ités axées sur l’environnement. Ceci leur per­me­t­tra de com­mu­ni­quer effi­cace­ment en util­isant une ter­mi­nolo­gie com­mune et d’aligner leurs objec­tifs. Enfin, les exi­gences en matière de pub­li­ca­tion oblig­a­toire d’informations sur le développe­ment durable devraient inspir­er le Say on Cli­mate et se traduire par de bonnes pra­tiques pour les plans cli­ma­tiques des entre­pris­es, par exem­ple en inté­grant les émis­sions indi­rectes (portée 2 et 3) et en garan­tis­sant des objec­tifs et des voies de tran­si­tion fondés sur la science.

Quel avenir pour le Say on Climate ?

Alors que l’initiative Say on Cli­mate prend de l’ampleur en Europe, il est néces­saire que les acteurs économiques con­tin­u­ent à tra­vailler à l’amélioration de la nature du dis­cours et des réso­lu­tions liés au cli­mat, et veil­lent à ce qu’ils ne devi­en­nent pas un exer­ci­ce à la mode sans substance.

Cer­taines par­ties prenantes pré­conisent la mise en place d’un cadre juridique pour le Say on Cli­mate, afin d’améliorer les résul­tats des réso­lu­tions. Étant don­né que le Say on Cli­mate est avant tout une ini­tia­tive privée et non un man­dat régle­men­taire, tout cadre devrait se con­cen­tr­er sur la délé­ga­tion des fonc­tions du Say on Cli­mate et sur la manière dont les motions émanant de la direc­tion de l’entreprise, du con­seil d’administration ou des action­naires devraient être traitées. Actuelle­ment, l’absence de clarté et les inter­pré­ta­tions divers­es con­cer­nant l’étendue de l’autorité de chaque par­tie prenante dans les réso­lu­tions du Say on Cli­mate ont entraîné des ten­sions et des con­flits dans les dis­cus­sions liées au climat.

Néan­moins, les actions poli­tiques, telles que les ini­tia­tives du cadre de finance­ment durable de l’UE, devraient soutenir l’engagement des action­naires et inter­a­gir pos­i­tive­ment avec lui. En four­nissant des lignes direc­tri­ces aux entre­pris­es, en réduisant l’incertitude et la las­si­tude des investis­seurs, les poli­tiques devraient faciliter la com­préhen­sion de l’ESG d’une entre­prise et plan­i­fi­er sa tran­si­tion vers le développe­ment durable. L’harmonisation de la régle­men­ta­tion avec les ini­tia­tives et les préoc­cu­pa­tions du secteur privé reste pri­mor­diale pour mobilis­er tous les secteurs de l’économie afin d’orienter les finance­ments vers l’investissement durable, d’instaurer la con­fi­ance et d’atteindre des objec­tifs communs.

1https://​www​.cli​mate​ac​tion100​.org/
2P. CHARLÉTY, “Finan­cial Investors: Effec­tive Activists in the Face of Cli­mate Risks?”, Revue d’économie finan­cière n°138, 2020, pp. 139–155.
3https://​www​.lin​fo​durable​.fr/​i​n​v​e​s​t​i​r​-​d​u​r​a​b​l​e​/​e​n​-​b​r​e​f​/​l​e​s​-​e​n​t​r​e​p​r​i​s​e​s​-​f​r​a​n​c​a​i​s​e​s​-​e​n​-​p​r​o​g​r​e​s​-​s​u​r​-​l​e​-​r​e​p​o​r​t​i​n​g​-​32785
4https://​www​.french​sif​.org/​i​s​r​_​e​s​g​/​p​l​a​t​e​f​o​r​m​e​-​e​n​g​a​g​e​m​e​n​t​/​s​a​y​-​o​n​-​c​l​i​mate/
5https://​www​.msci​.com/​w​w​w​/​b​l​o​g​-​p​o​s​t​s​/​s​a​y​-​o​n​-​c​l​i​m​a​t​e​-​i​n​v​e​s​t​o​r​/​0​3​0​1​4​7​05312
6https://​esgclar​i​ty​.com/​c​a​l​l​s​-​t​o​-​m​a​n​d​a​t​e​-​s​a​y​-​o​n​-​c​l​i​m​a​t​e​-​v​o​t​e​s​-​i​n​-​f​r​ance/

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