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Micro-méthanisation : une piste prometteuse pour valoriser les biodéchets en ville

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Julien Thual
expert au service valorisation des déchets de l’Ademe
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Anne Trémier
directrice de recherche, procédés et filières de valorisation des déchets organiques, INRAE
En bref
  • Sur les 253 kg de déchets résiduels générés par un Français chaque année, 32,8 % sont valorisables : ce sont les biodéchets putrescibles.
  • Comme le compostage, la micro-méthanisation pourrait être une nouvelle voie de valorisation des déchets en ville.
  • Cette méthode possède deux avantages majeurs : l’autonomie et la modularité, ce qui la rend très intéressante pour un usage urbain et péri-urbain.
  • La micro-méthanisation est encore très peu présente en Europe, avec seulement 90 unités en France.
  • Les raisons : encore très peu de preuves en termes de rentabilité économique pour un investissement entre 150 000 € et 700 000 €.

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Chaque Français génère en moyenne 253 kg de déchets résidu­els (ceux des poubelles gris­es) par an1. Bonne nou­velle, la plus grande part (32,8 %) est en fait val­oris­able : ce sont les biodéchets putresci­bles (déchets ali­men­taires et déchets verts). Pour­tant, 57 % des Français jet­tent tou­jours leurs déchets ali­men­taires avec les ordures ménagères, notam­ment en rai­son de l’absence de col­lecte séparée2. La loi du 10 févri­er 2020 rel­a­tive à la lutte con­tre le gaspillage et à l’économie cir­cu­laire impose une général­i­sa­tion du tri à la source des biodéchets dès le 1er jan­vi­er 2024 pour tous les producteurs.

La micro-méthani­sa­tion est très intéres­sante pour un usage urbain ou péri-urbain.

Dès lors, que faire de ces vol­umes impor­tants de biodéchets ? À ce jour, le com­postage est la solu­tion la plus plébisc­itée : il existe 749 cen­tres de com­postage con­tre 17 unités de méthani­sa­tion de déchets ménagers3. Pour cer­tains, la micro-méthani­sa­tion pour­rait être une nou­velle voie de val­ori­sa­tion en ville.

L’autonomie, atout de la micro-méthanisation

Tout comme la méthani­sa­tion, la micro-méthani­sa­tion repose sur la fer­men­ta­tion de matière organique en l’absence d’oxygène. Elle pro­duit du méthane et un dige­s­tat util­is­able en agri­cul­ture. La par­tic­u­lar­ité du procédé ? « Les unités de méthani­sa­tion ter­ri­to­ri­ales ou agri­coles trait­ent des dizaines voire des cen­taines de mil­liers de tonnes de déchets chaque année, explique Anne Trémi­er, direc­trice de l’Unité de recherche OPAALE à INRAE. Dans une unité de micro-méthani­sa­tion, on ne dépasse pas les 1 000 tonnes par an. » Notons qu’il n’existe pas de déf­i­ni­tion har­mon­isée du terme. Cer­tains fab­ri­cants comme Try­on-envi­ron­nement se posi­tion­nent sur le marché de la micro-méthani­sa­tion avec une capac­ité de traite­ment de 1 000 à 8 000 t/an. « La régle­men­ta­tion n’adresse pas la micro-méthani­sa­tion en par­ti­c­uli­er, ajoute Julien Thual, expert au ser­vice val­ori­sa­tion des déchets de l’Ademe. À l’Ademe, nous par­lons plutôt de méthani­sa­tion autonome car c’est ce qui car­ac­térise ces unités. »

L’autonomie est l’un des atouts de la micro-méthani­sa­tion. Par exem­ple, pour l’unité BioBee­Box de Bee&Co, le biogaz ali­mente une tur­bine en cogénéra­tion qui pro­duit de la chaleur et de l’électricité. Ces derniers ali­mentent les besoins du micro-méthaniseur, notam­ment pour chauf­fer les cuves d’hygiénisation et de diges­tion. Les sur­plus d’électricité peu­vent être injec­tés sur le réseau, et la chaleur pro­duit de l’eau chaude san­i­taire. « Leur déploiement pour­rait se jus­ti­fi­er dans les ter­ri­toires isolés, là où l’autonomie est indis­pens­able, avance Julien Thual. Le micro-méthaniseur de Pux­in est par exem­ple large­ment déployé en Inde pour pro­duire du biogaz à usage domes­tique. »

Modularité et micro-méthanisation

Autre avan­tage : la mod­u­lar­ité. L’ensemble des procédés – broy­age, hygiéni­sa­tion, diges­tion anaéro­bie, cogénéra­tion et com­postage – est inté­gré dans un con­teneur. L’emprise au sol se lim­ite à une dizaine de mètres car­rés. « Cette faible emprise fon­cière rend la micro-méthani­sa­tion très intéres­sante pour un usage urbain ou péri-urbain, avance Anne Trémi­er. À cela s’ajoute la mod­u­lar­ité : il est facile d’ajouter ou de retir­er des con­teneurs pour mod­uler la capac­ité de traite­ment. » Des chercheurs de l’IMT Atlan­tique ont analysé 15 pro­jets inter­na­tionaux de méthani­sa­tion (trai­tant presque tous plus de 1 000 t/an) urbaine4. Ils obser­vent qu’il est intéres­sant de plac­er l’unité de traite­ment au cœur des nou­veaux quartiers à faible den­sité urbaine.

À l’inverse, il est préférable de délo­calis­er le méthaniseur en périphérie des quartiers très dens­es ou déjà pourvus de sys­tèmes de ges­tion des déchets. « Avec le pro­jet de recherche Deci­sive5, nous avons mon­tré que la micro-méthani­sa­tion ne rem­place par les autres solu­tions de val­ori­sa­tion mais est com­plé­men­taire, appuie Anne Trémi­er. Au sein des nou­veaux quartiers, ces unités de prox­im­ité per­me­t­tent de repenser l’intégralité de la chaîne de val­ori­sa­tion tout en s’adaptant aux besoins. » Anne Trémi­er com­plète : « Les instal­la­tions exis­tantes de méthani­sa­tion ou com­postage ne pour­ront pas aug­menter leurs capac­ités de traite­ment. Avec l’obligation du traite­ment à la source des biodéchets, la micro-méthani­sa­tion en milieu péri-urbain peut pal­li­er ces besoins sup­plé­men­taires de val­ori­sa­tion. » Enfin, l’un des pilotes du pro­jet Decivise a mon­tré l’intérêt de met­tre en place la micro-méthani­sa­tion dans les ter­ri­toires peu dens­es, réduisant ain­si le trans­port des biodéchets.

Quels freins à la micro-méthanisation ?

Pour­tant, le procédé est encore très peu répan­du en Europe. Les pre­mières unités sont recen­sées au début des années 2000 dans des éco­quartiers en Alle­magne ou aux Pays-Bas6. SEaB Ener­gy, une société anglaise, est le leader européen de la micro-méthani­sa­tion urbaine, et quelques start-ups français­es émer­gent ces dernières années (comme Bee&Co). Un rap­port de Metha’synergie7 (les acteurs insti­tu­tion­nels et pro­fes­sion­nels de la fil­ière méthani­sa­tion en PACA) recense 875 unités de micro-méthani­sa­tion à la ferme en Europe en 2015, dont 660 en Alle­magne et 26 en France. L’autrice effectue un recense­ment plus récent en 2020 en France : 90 unités sont compt­abil­isées, dont 3 trai­tant des biodéchets. La micro-méthani­sa­tion est large­ment déployée dans les milieux agri­coles, et en France seules quelques unités-pilote tes­tent le procédé en milieu urbain. 

Il n’y a aucune instal­la­tion de micro-méthani­sa­tion sur biodéchets en France ayant démon­tré ses per­for­mances économiques.

La rai­son d’un déploiement si timide ? La rentabil­ité économique. L’investissement néces­saire à l’installation d’une unité de micro-méthani­sa­tion de biodéchets ou résidus de l’industrie agroal­i­men­taire s’élève entre 150 000 € et 700 000 €. Et l’unité con­somme chaleur et élec­tric­ité : une par­tie de la pro­duc­tion est util­isée pour l’alimenter. En con­séquence, les quan­tités de biogaz, élec­tric­ité ou chaleur ven­dues sont faibles. « Je ne con­nais aucune instal­la­tion de micro-méthani­sa­tion sur biodéchets en France ayant démon­tré ses per­for­mances économiques, nous avons pour­tant accom­pa­g­né de nom­breux pilotes, pointe Julien Thual. Le volet économique est sous-éval­ué, et les instal­la­tions de com­postage de quarti­er sont sou­vent plus abor­d­ables tech­nique­ment et économique­ment. » Cer­taines nou­velles pistes de val­ori­sa­tion sont explorées pour assur­er la rentabil­ité de ces sys­tèmes. Dans le cadre du pro­jet Deci­sive, le dige­s­tat a été util­isé comme sub­strat pour pro­duire un biopes­ti­cide sim­i­laire à un pro­duit du com­merce. « Le procédé est moins con­som­ma­teur d’énergie que celui actuelle­ment employé, développe Anne Trémi­er. Nous imag­i­nons qu’une part de la rentabil­ité de la micro-méthani­sa­tion pour­rait venir de ces pro­duits à haute valeur ajoutée issus du dige­s­tat. »

À cela s’ajoute la régle­men­ta­tion. Con­sid­érées comme des instal­la­tions classées pour la pro­tec­tion de l’environnement (ICPE), tout comme les unités de méthani­sa­tion de taille plus impor­tante, les unités de micro-méthani­sa­tion doivent être instal­lées à plus de 100 m des habi­ta­tions. « C’est un ver­rou très impor­tant pour ces instal­la­tions de prox­im­ité, et l’on peut se deman­der si un régime par­ti­c­uli­er pour­rait être mis en place. », con­sid­ère Anne Trémier. 

La micro-méthani­sa­tion sera-t-elle la solu­tion d’avenir en ville ? « Il est impor­tant de bien iden­ti­fi­er le con­texte ter­ri­to­r­i­al : les gise­ments de déchets disponibles, les instal­la­tions déjà présentes etc., con­clut Julien Thual. L’idée de la micro-méthani­sa­tion est séduisante, mais elle doit faire preuve de bonnes per­for­mances aupar­a­vant, y com­pris économiques. » La micro-méthani­sa­tion peut, au même titre que le com­postage de prox­im­ité, béné­fici­er d’une meilleure accep­ta­tion sociale. « De précé­dentes études89 ont mon­tré que le com­postage domes­tique pousse les riverains à mieux tri­er voire pro­duire moins de déchets, con­clut Anne Trémi­er. Nous n’avons pas encore le même recul sur la micro-méthani­sa­tion, mais espérons qu’elle béné­ficiera de la même accept­abil­ité. »

Anaïs Marechal
1Ademe (sep­tem­bre 2020), Déchets chiffres-clés, édi­tion 2020.
2Sola­gro (octo­bre 2021), Biodéchets : du tri à la source jusqu’à la méthani­sa­tion, Guide à des­ti­na­tion des col­lec­tiv­ités pour réus­sir le tri à la source des biodéchets dès 2024.
3Site inter­net con­sulté le 4 avril 2023 : https://​www​.sinoe​.org/​t​h​e​m​a​t​i​q​u​e​s​/​c​o​n​s​u​l​t​/​s​s​-​t​h​e​me/29
4Bautista Angeli, J.R., Morales, A., LeFloc’h, T. et al. Anaer­o­bic diges­tion and inte­gra­tion at urban scale: feed­back and com­par­a­tive case study. Energ Sus­tain Soc 8, 29 (2018). 
5Voir le site du pro­jet : https://​www​.deci​sive2020​.eu
6J‑R Bautista Angeli (2019), Étude de fais­abil­ité de la micro-méthani­sa­tion par co-diges­tion à l’échelle des quartiers, Thèse de doc­tor­at présen­tée à IMT Atlan­tique.
7Métha’Synergie (juin 2020), État de l’art micro-méthani­sa­tion, développe­ment de la micro-méthani­sa­tion en France, disponible sur https://methasynergie.quai13.fr/wp-content/uploads/2020/10/ALE-20_10_Methasynergie_Etat-de-lart-micro-méthanisation-.pdf
8Éval­u­a­tion de l’im­pact des quan­tités com­postées en habi­tat indi­vidu­el sur les ordures ménagères col­lec­tées par la col­lec­tiv­ité. Tech­niques Sci­ences Méth­odes. 9, 50–8 (2013)
9Mitaft­si, O., Smith, S. R.: Quan­ti­fy­ing House­hold Waste Diver­sion from Land­fill Dis­pos­al by Home com­post­ing and Kerb­side Col­lec­tion. Impe­r­i­al Col­lege Lon­don – Cen­tre for Envi­ron­men­tal Con­trol and Waste Man­age­ment, Depart­ment of Civ­il and Envi­ron­men­tal Engi­neer­ing. 165 p. (2006)

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