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Comment lutter contre le gaspillage alimentaire

12 leviers pour réduire le gaspillage alimentaire

Le 13 septembre 2022 |
5 min. de lecture
Anne-Claire Asselin
Anne-Claire Asselin
présidente fondatrice de X-Food
Pierre Lacotte
Pierre Lacotte
trésorier et membre fondateur de X-Food
Adrien Delepelaire
Adrien Delepelaire
secrétaire général adjoint et membre fondateur de X-Food
En bref
  • Lancé fin 2018, X-Food a pour objectif d'éclairer les controverses sur les sujets liés à l'agriculture et à l'alimentation. En 2022, ils ont publié un rapport présentant 12 solutions pour aider à réduire le gaspillage alimentaire.
  • Plus de 50% des Français ne connaissent pas la différence entre la date limite de consommation et la date de péremption - elle est responsable d'environ 20% du gaspillage alimentaire des consommateurs.
  • Les critères de calibrage et d'aspect résultant de la réglementation, ainsi que les cahiers des charges de certains acheteurs, entraînent un rejet important de la production déclassée.
  • Il serait également possible, en faisant évoluer la législation, de proposer plus systématiquement aux consommateurs des produits ne répondant pas aux critères esthétiques à un prix réduit.
  • Au niveau national, une plus grande visibilité sur le sujet du gaspillage alimentaire est nécessaire.

Parmi les leviers réglementaires pour réduire le gaspillage, il y a la question des dates de consommation et de durabilité ? 

Oui, c’est un sujet impor­tant, car plus de 50 % des Français ne font pas la dif­férence entre la Date Lim­ite de Con­som­ma­tion (DLC) et la Date de Dura­bil­ité Min­i­male (DDM). La DLC, oblig­a­toire pour les den­rées rapi­de­ment périss­ables, est la date après laque­lle le pro­duit devient impro­pre à la con­som­ma­tion, car il peut présen­ter un risque pour la san­té humaine. Tan­dis que la DDM est la date après laque­lle le pro­duit perd une par­tie de ses qual­ités nutri­tion­nelles ou organolep­tiques, sans pour autant con­stituer un risque pour la san­té. Elle est indiquée par la men­tion : « À con­som­mer de préférence avant le XX/XX/XXXX ».  

On estime que cette mécon­nais­sance est à l’origine de 20 % du gaspillage ali­men­taire à l’échelle du con­som­ma­teur. De plus, cette ques­tion dépasse le cadre nation­al et se pose au niveau européen, ce qui néces­site de mod­i­fi­er la régle­men­ta­tion qui encadre l’information des consommateurs. 

Plusieurs évo­lu­tions régle­men­taires pour­raient réduire le gaspillage lié à la mau­vaise inter­pré­ta­tion de ces dates. On pour­rait, par exem­ple, refor­muler la men­tion « À con­som­mer de préférence avant le… » par « Meilleur avant le… ». On pour­rait égale­ment envis­ager une action poli­tique pour rem­plac­er cer­taines DLC par des DDM et élargir la liste des pro­duits exemp­tés de DDM. À titre d’exemple, actuelle­ment le sel ou le vinai­gre sont exemp­tés de DDM, mais pas les pâtes ou le riz.

Qu’est-ce que X‑Food ?

« Lancé fin 2018 sous l’impulsion d’anciens élèves de l’École Poly­tech­nique, X‑Food a pour objec­tif d’éclairer les con­tro­ver­s­es sur des sujets liés à l’agriculture et à l’alimentation, et de pro­mou­voir l’innovation. La tran­si­tion vers une ali­men­ta­tion saine et durable, dans un con­texte de crois­sance démo­graphique mon­di­ale, est un défi cru­cial. Nous avons une dou­ble approche, sci­en­tifique et holis­tique. Sur chaque sujet que nous étu­dions, nous asso­cions à notre réflex­ion des experts de tous hori­zons : chercheurs, indus­triels, ingénieurs, qu’ils soient issus du secteur privé, pub­lic, ou associatif. »

« Nous avons organ­isé qua­tre ren­con­tres-débats au fil de l’année 2020, en remon­tant pro­gres­sive­ment la chaîne de valeur : con­som­ma­tion et restau­ra­tion, dis­tri­b­u­tion, trans­for­ma­tion, puis pro­duc­tion, et en faisant appel à chaque fois à 3 ou 4 experts du secteur. Ces ren­con­tres ont été suiv­ies d’une con­férence de syn­thèse, de la pub­li­ca­tion d’un out­il de cal­cul des pertes des­tiné aux pro­fes­sion­nels et d’un doc­u­ment de syn­thèse d’une cinquan­taine de pages dans lequel nous pro­posons d’agir sur 12 leviers de maîtrise des pertes alimentaires. »

Anne-Claire Asselin, Prési­dente X‑Food 

D’autres leviers sont plus difficiles à actionner, car ils sont à l’interface de différents maillons de la chaîne alimentaire ? 

Oui, c’est le cas du gaspillage des fruits et légumes, par exem­ple. Les pro­duc­teurs ne peu­vent pas tou­jours écouler toute leur pro­duc­tion, à cause des aléas cli­ma­tiques, de dynamiques de marché, ou de con­traintes san­i­taires et régle­men­taires. Les critères de cal­i­brage issus de la régle­men­ta­tion, ain­si que cer­tains cahiers des charges de cer­tains acheteurs, entraî­nent un rejet impor­tant de pro­duc­tions ain­si déclassées. Si les critères san­i­taires sont incon­testa­bles, les critères de qual­ité (taux de sucre, taux de pro­téines…), ou esthé­tiques (couleur, taille, forme…) sem­blent plus dis­cuta­bles. Ils génèrent d’importants rejets de fruits et légumes dits « moches ». Or la régle­men­ta­tion européenne impose de tels critères de cal­i­brage et d’apparence à dix caté­gories de pro­duits qui représen­tent env­i­ron 75 % du marché ! Écar­tant les fruits et légumes déclassés des cir­cuits clas­siques de distribution…

On a là un bel exem­ple de la com­plex­ité de la lutte con­tre le gaspillage. On pour­rait val­oris­er ces ali­ments abîmés en pro­duisant des con­serves. Mais il faudrait alors que cette fil­ière de pro­duc­tion soit appro­vi­sion­née régulière­ment, ce qui est con­tra­dic­toire quand on par­le de fruits et légumes abîmés. On pour­rait égale­ment, en mod­i­fi­ant la lég­is­la­tion, les pro­pos­er de façon plus sys­té­ma­tique aux con­som­ma­teurs, à prix réduit. 

Il ne suffit pas de permettre la vente de produits non calibrés, encore faut-il que les consommateurs aient envie de les acheter ? 

Oui, comme on peut le voir ici encore, la lutte con­tre le gaspillage implique plusieurs acteurs. En l’occurrence, les pro­duc­teurs con­tin­u­ent à pro­duire des ali­ments cal­i­brés, car le con­som­ma­teur les demande. Il est donc néces­saire d’inciter les per­son­nes en bout de chaîne à acheter ces pro­duits par des cam­pagnes de pro­mo­tion, comme celle qui a été réal­isée sur les « Gueules Cassées » ou les « Légumes moches ».

D’autant que les rayons ou paniers « anti-gaspi » ou con­tenant des pro­duits « proches de la date lim­ite de con­som­ma­tion » souf­frent d’un défaut d’exposition quand ils ne sont pas sim­ple­ment rebu­tants, car déposés en vrac au fond du mag­a­sin. La nour­ri­t­ure moins chère est égale­ment asso­ciée à une qual­ité ali­men­taire moin­dre. Des entre­pris­es, comme Zéro Gâchis ou Smart­way, par exem­ple, pro­posent de trans­former l’image de ces rayons pour les ren­dre attrac­t­ifs, en jouant notam­ment sur l’image pos­i­tive de la lutte con­tre le gaspillage. Il faut aus­si sen­si­bilis­er les grandes sur­faces aux impacts posi­tifs de ces rayons sur le plan économique.

Les 12 leviers pour lut­ter con­tre le gaspillage et les pertes ali­men­taires cités dans le rapport

1. Align­er la déf­i­ni­tion du gaspillage ali­men­taire entre la France et d’autres organismes.

2. Clar­i­fi­er la dis­tinc­tion entre Date Lim­ite de Con­som­ma­tion (DLC) et Date de Dura­bil­ité Min­i­male (DDM), et sup­primer cer­taines DDM.

3. Mobilis­er les Plans d’Alimentation Ter­ri­to­ri­aux (PAT) et les finance­ments publics.

4. Rééquili­br­er les rap­ports com­mer­ci­aux au prof­it des agriculteurs.

5. Revis­iter les cal­i­brages et les cahiers des charges commerciaux.

6. Assou­plir les con­trats-dates entre four­nisseurs et distributeurs.

7. Faciliter le retraite­ment des sur­plus agricoles.

8. Iden­ti­fi­er et assur­er le suivi des pro­duits proches de la péremption.

9. Dévelop­per la vente de pro­duits proches de la péremption.

10. Ren­forcer et amélior­er la qual­ité du don des inven­dus alimentaires.

11. Sen­si­bilis­er les pro­fes­sion­nels et les consommateurs.

12. Met­tre en place une édu­ca­tion au gaspillage alimentaire.

Un des derniers leviers, et pas le moindre, passe par l’information et l’éducation ? 

Une source majeure de pertes et gaspillages se trou­ve à l’interface distribution/consommation ; c’est l’hyper-choix offert à un « hyper-con­som­ma­teur » qui doit s’y retrou­ver entre des pro­duits à faible impact car­bone, des pro­duits bio, des pro­mo­tions sur des pro­duits moins chers… 

Au niveau nation­al, il faut accroître la vis­i­bil­ité du sujet, et en faire, par exem­ple, une grande cause nationale, comme l’a pro­posé Guil­laume Garot lors de l’un de nos débats. Il faudrait égale­ment met­tre en place, pourquoi pas dans les écoles, une édu­ca­tion au gaspillage ali­men­taire. Les plus jeunes sont générale­ment sen­si­bles à ces sujets et peu­vent impulser un change­ment d’attitude.  

Quel sera le prochain thème de réflexion d’X‑Food ? 

La ques­tion des pertes et gaspillages ali­men­taires a été notre pre­mier sujet. En 2021–2022, nous avons choisi le thème des pro­téines ani­males : quels en sont les dif­férents impacts ? Faut-il vrai­ment en con­som­mer moins ? Un sujet tout aus­si com­plexe et sujet à con­tro­ver­s­es que celui du gaspillage alimentaire ! 

Le lien vers le rap­port est télécharge­able ici.

Propos recueillis par Marina Julienne 

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