La « Finance verte » encore loin de l’Accord de Paris
La notion de finance verte existe depuis une vingtaine d’années mais elle n’est devenue mainstream qu’en 2015 avec l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat. Son essor est consécutif à la prise de conscience de l’existence de risques climatiques par les établissements financiers popularisée par « La tragédie des horizons », un discours désormais célèbre de l’ancien gouverneur de la banque d’Angleterre, Mark Carney. Ainsi, les régulateurs ont poussé les institutions financières à reconnaître les risques climatiques supportés par leurs portefeuilles d’actifs et à les rendre public auprès des investisseurs. D’abord en France, avec l’article 173 de la loi sur la Transition énergétique du 17 août 2015, puis au niveau mondial avec les recommandations de la “Task Force on Climate-Related Financial Disclosures” (TCFD) créée par le Conseil de stabilité financière – les 26 banquiers centraux principaux et les institutions internationales.
Aligner finance et climat
Le premier objectif de la finance verte est d’aligner les flux financiers avec les objectifs climatiques en minimisant les impacts négatifs et en maximisant les impacts positifs des investissements. Pour ce faire, il y existe plusieurs instruments : les produits financiers spécifiques comme les green bonds, les indices, les fameux « Paris-aligned index », les politiques d’engagement auprès les entreprises ainsi que les politiques d’exclusion des portefeuilles d’actifs des sociétés nuisibles pour le climat et pour la biodiversité. Enfin, il y a les marchés spécifiques : par exemple, celui des émissions de CO2 et celui des offsets des externalités négatives.
Le deuxième objectif est de mesurer et d’atténuer les risques financiers posés d’une part par le changement climatique et d’autre part par la transition énergétique elle-même. Les premiers s’appellent risques physiques (tempêtes, feux de forêt) et les seconds, risques de transition. Ces derniers sont provoqués par les changements réglementaires visant à atténuer l’ampleur et l’impact du changement climatique. Par exemple, une centrale à charbon ou mine de charbon peuvent devenir inexploitables en raison d’un prix du carbone trop élevé ou d’un changement de préférence des consommateurs.
Manque de résultats
Depuis 5 ans, une dynamique positive s’est enclenchée mais hormis la parenthèse Covid on ne voit pas la courbe des émissions globales s’infléchir pour le moment. Les investissements dans les énergies renouvelables sont insuffisants pour inverser la tendance et honorer les engagements de l’Accord de Paris. Le montant global des investissements dans les énergies renouvelables était de 322 milliards de dollars en 2018 (contre 933 investis dans les énergies fossiles la même année)1, alors que le scénario compatible avec la limitation du réchauffement à 1.5°C en 2100 nécessite d’investir 797 milliards par an entre 2016 et 2050.
Les résultats de la finance verte ne sont pas encore satisfaisants. Cela s’explique en partie par le manque d’investissements dans les énergies renouvelables, notamment dans les pays en développement toujours considérés à risque par les investisseurs privés. Par ailleurs, les engagements pris par des investisseurs individuels ou par des groupes d’investisseurs sont pour le moment insuffisants pour enclencher une dynamique de transition.
Besoin d’un effort mondial
L’Europe est en avance avec quelques pays modèles en termes de règlementation comme la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Aux États-Unis, même si la sortie de l’Accord de Paris sur le climat ait eu un effet médiatique négatif important, la présence d’un leader climato-sceptique à la Maison Blanche pendant quatre ans n’a pas tout à fait inversé la dynamique établie car le temps de l’investissement est long et nombre d’initiatives ont lieu au niveau des entreprises et des états. En particulier, malgré les efforts du président Donald Trump pour soutenir l’industrie traditionnelle, l’année 2019 a connu un nombre record (après 2015) de fermetures de centrales à charbon. 15 GW ont été remplacés par des renouvelables et du gaz. Notons que l’utilisation des centrales à gaz, même si elle ne permet pas la neutralité carbone et devra à terme être abandonnée, constitue un moyen rapide pour réduire les émissions, car le charbon émet presque 3 fois plus du dioxyde de carbone que le méthane pour la même quantité d’énergie produite.
La Chine, même si elle reste le premier émetteur du gaz à effet de serre et que ses émissions continuent encore d’augmenter, est aussi le pays qui investit le plus dans les énergies renouvelables. Elle s’est engagée à atteindre le « net zéro » en 2060 et est à la pointe de la finance verte, à la fois en termes de développement de marché (les « green bonds ») et de participation aux initiatives internationales (NGFS etc.). Les consommateurs jouent un rôle clé aussi dans la transition énergétique, car ce sont eux qui in fine prennent la décision de passer à la voiture électrique ou de rénover leurs logements. La finance verte peut aider à financer ces projets, cela concerne aussi bien les acteurs publics que privés, notamment les banques. Mais aussi, pour avoir un impact sur l’économie réelle, il faut que les investisseurs se désengagent majoritairement des actifs nocifs pour le climat. Tant que cela ne sera pas le cas, on ne pourra pas conclure positivement sur l’impact réel de la finance verte.
Au sein de l’Institut Polytechnique de Paris, les questions liés au développement durable, à la transition énergétique et à la finance verte sont abordées notamment au Centre « Energy for Climate » et en particulier dans l’axe « développement durable à long terme » dont je suis co-responsable. Cet axe de recherche vise à caractériser l’évolution durable du système énergétique, et la conception des marchés de l’énergie qui accompagneraient la transition vers une économie decarbonée. Nous travaillons par ailleurs sur les mesures d’impact environnemental et de l’alignement des portefeuilles des investisseurs avec un scénario de température et du risque climatique, notamment en utilisant les algorithmes de machine learning et le big data. Nous nous appuyons sur les modèles intégrés économie-climat pour évaluer les projets d’investissement dans la transition énergétique. Un dernier sujet important : l’intégration des critères ESG dans la gestion de portefeuille.