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Pourquoi États et entreprises courent après le quantique

Landry Bretheau
Landry Bretheau
professeur en physique quantique à l'École polytechnique au sein du Laboratoire de Physique de la Matière Condensée (PMC*)

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur le quan­tique.
Décou­vrez-le ici.

Le prési­dent Macron a récem­ment annon­cé le Plan Quan­tique français, promet­tant 1,8 mil­liard d’eu­ros pour la recherche quan­tique au cours des dix prochaines années. En tant que chercheur dans le domaine de la physique quan­tique, pou­vez-vous nous expli­quer pourquoi le gou­verne­ment français accorde autant d’at­ten­tion à ce domaine en ce moment ? 

Landry Bretheau. Parce que c’est en ce moment que ça se passe ! Nom­breux sont ceux qui pensent que nous entrons dans la sec­onde révo­lu­tion quantique.

Il faut d’ailleurs garder à l’e­sprit que la pre­mière s’est pro­duite dans les années 1920–30, grâce aux travaux de sci­en­tifiques aus­si con­nus qu’Einstein ou Planck. À l’époque, il s’agis­sait d’abord d’une révo­lu­tion con­ceptuelle, qui s’est pro­duite lorsque l’on a réus­si à com­pren­dre des notions telles que la « dual­ité onde-par­tic­ule », le « ray­on­nement du corps noir » ou l’« inter­ac­tion lumière-matière ». Avant l’ar­rivée de la physique quan­tique, les sci­en­tifiques ne pou­vaient pas expli­quer ces phénomènes. Leurs décou­vertes ont don­né nais­sance à des tech­nolo­gies révo­lu­tion­naires qui ont fait entr­er l’ingénierie dans l’ère numérique, comme les lasers ou les tran­sis­tors. Ces derniers per­me­t­tent de con­trôler les sig­naux élec­tron­iques, et sont à la base des processeurs informatiques.

Il y avait cepen­dant un aspect qui prê­tait à con­fu­sion pour les chercheurs : le con­cept d’« intri­ca­tion quan­tique ». Sans trop entr­er dans les détails, on a longtemps ignoré si l’in­tri­ca­tion qu’ils prédi­s­aient était un phénomène naturel, ou si elle était due à une mau­vaise com­préhen­sion de la physique quan­tique. Nous savons aujourd’hui qu’elle est naturelle, et ce grâce aux expéri­ences qui ont été réal­isées sur des objets quan­tiques indi­vidu­els, comme celles du pro­fesseur Alain Aspect, con­sid­éré comme un pio­nnier du domaine. Il a d’ailleurs joué un rôle très impor­tant dans la pro­mo­tion de la sec­onde révo­lu­tion quan­tique et dans la con­sti­tu­tion du plan quan­tique avec le gouvernement.

Quelle est l’im­por­tance d’une telle proposition ? 

En bref, le Plan Quan­tique est cen­tral parce qu’il y a une promesse de nou­velles tech­nolo­gies. Main­tenant que le phénomène de l’in­tri­ca­tion est bien établi, il est pos­si­ble d’en­vis­ager de futures appli­ca­tions util­isant des tech­nolo­gies quan­tiques pour le cal­cul, les com­mu­ni­ca­tions, la détec­tion et la sim­u­la­tion, avec des retombées poten­tielles dans les domaines de l’én­ergie, de la san­té et de la sécu­rité. Mais le prin­ci­pal argu­ment de vente, c’est l’ordi­na­teur quan­tique.

Beau­coup de gens auront enten­du par­ler des ordi­na­teurs quan­tiques sans savoir ce qu’ils sont, et il faut dire que le mot « ordi­na­teur » est légère­ment trompeur. Il est peu prob­a­ble que nous voyions à l’avenir un ordi­na­teur quan­tique uni­versel qui rem­plac­era le PC ou le smart­phone, par exem­ple. Les ordi­na­teurs quan­tiques sont en fait des super-cal­cu­la­teurs, capa­bles d’exé­cuter des algo­rithmes quan­tiques spé­ci­fiques et puis­sants beau­coup plus rapi­de­ment qu’un processeur ordinaire.

L’idée est d’ex­ploiter des phénomènes quan­tiques tels que la super­po­si­tion et l’in­tri­ca­tion pour effectuer des cal­culs plus rapi­de­ment. Un ordi­na­teur quan­tique manip­ule l’information en util­isant un grand nom­bre de bits quan­tiques, qui peu­vent être pré­parés dans des états mas­sive­ment intriqués. Cela per­met d’en­coder plusieurs résul­tats de cal­cul en une seule étape, grâce à un phénomène con­nu sous le nom de « par­al­lélisme quan­tique ». Cela peut con­duire à une accéléra­tion quan­tique pour des algo­rithmes spé­ci­fiques, tels que la fac­tori­sa­tion en nom­bres pre­miers, qui est à la base du cryptage RSA. Cette méth­ode de chiffre­ment est très large­ment util­isée pour échang­er des don­nées con­fi­den­tielles sur Inter­net, en par­ti­c­uli­er dans les trans­ac­tions ban­caires. Il est extrême­ment dif­fi­cile pour un ordi­na­teur stan­dard de cass­er le chiffre­ment RSA, mais un ordi­na­teur quan­tique pour­rait le faire bien plus rapi­de­ment, et ain­si décoder des com­mu­ni­ca­tions cryptées.

Cette tech­nolo­gie présente donc un intérêt tout par­ti­c­uli­er pour le secteur de la défense mil­i­taire. Le fait que cer­tains États acquièrent cette capac­ité pour­rait pos­er d’importants prob­lèmes de sécu­rité mil­i­taire, et c’est pour cette rai­son que le min­istère améri­cain de la Défense finance mas­sive­ment un pro­gramme de recherche sur l’in­for­ma­tique quantique. 

Ordinateur Quantique
De gauche à droite : Jean-Damien Pil­let, Landy Bretheau et Ambroise Peugeot

Les États (Chine, États-Unis) et les entre­pris­es (Google et Face­book) les plus puis­sants investis­sent déjà dans l’in­for­ma­tique quan­tique. Y a‑t-il vrai­ment une chance pour que la France arrive à suiv­re le rythme ? 

Depuis 2018, les États-Unis ont annon­cé un investisse­ment de 2 mil­liards de dol­lars dans la recherche et la Chine aurait dépen­sé au moins 10 mil­liards pour son Lab­o­ra­toire nation­al des sci­ences de l’in­for­ma­tion quan­tique. Des finance­ments ont égale­ment été prévus en Europe . L’Alle­magne a lancé son pro­gramme il y a trois ans et l’UE finance le pro­jet Quan­tum Flag­ship depuis 2018, en offrant 1 mil­liard d’eu­ros pour les dix prochaines années. Donc, oui, le Plan Quan­tique, qui s’appuie sur la recherche d’excellence déjà présente en France, nous per­me­t­tra de suiv­re le rythme : nous ne sommes pas les pre­miers, mais nous restons extrême­ment bien placés. 

Par ailleurs, le secteur privé français sera égale­ment impliqué. Des entre­pris­es nationales et européennes comme Total ou Air­bus ont promis d’in­ve­stir. Et des start-ups appa­rais­sent dans tout le pays ; Quan­dela, Pasqal et Alice & Bob pour n’en citer que trois, sont des spin-off de lab­o­ra­toires de recherche français. Jusqu’à présent, per­son­ne ne dis­pose d’un ordi­na­teur quan­tique pleine­ment opéra­tionnel, avec une puis­sance de traite­ment sig­ni­fica­tive. Google est par­mi les plus avancés, avec un processeur lim­ité à 53 bits quan­tiques. Il s’ag­it d’un véri­ta­ble tour de force expéri­men­tal, mais il est encore trop petit pour être véri­ta­ble­ment utile. 

Vous pour­riez dire : « Oh, eh bien, ajou­tons juste plus de qubits pour ren­dre le processeur plus puis­sant », mais il y a un prob­lème. Les états quan­tiques sont très frag­iles – plus vous en avez, moins ils sont sta­bles. C’est pourquoi les ordi­na­teurs quan­tiques doivent être forte­ment con­finés. Mais cela crée en soi un para­doxe, car plus ils sont con­finés, plus il nous est dif­fi­cile de com­mu­ni­quer avec eux pour con­trôler ce qu’ils font. 

Qu’est-ce que cela sig­ni­fie pour la recherche française en physique quantique ? 

Ce n’est pas demain que nous aurons un ordi­na­teur quan­tique. Mais un finance­ment comme celui-ci est une chance. Nous n’au­rons peut-être pas un ordi­na­teur quan­tique pleine­ment opéra­tionnel dans dix ans, mais il est cer­tain que nous décou­vrirons d’autres choses pas­sion­nantes en cours de route. Et même lorsque nous en créerons un, il est peu prob­a­ble qu’il s’agisse d’un objet du quo­ti­di­en. Les ordi­na­teurs quan­tiques seront plus prob­a­ble­ment des out­ils stratégiques, ser­vant des besoins très spé­ci­fiques, comme la recherche fon­da­men­tale, la R&D, ou la défense.

D’ailleurs, les inno­va­tions ne se fer­ont pas qu’au niveau du hard­ware, c’est-à-dire des machines physiques : il y a aus­si un besoin de nou­velles idées sur le plan soft­ware. La recherche théorique, à l’in­ter­face entre la physique, l’in­for­ma­tique et les math­é­ma­tiques, doit ain­si décou­vrir de nou­veaux algo­rithmes per­me­t­tant une accéléra­tion quantique.Un tel finance­ment est donc très encour­ageant pour les jeunes qui entrent sur le marché du tra­vail ! Il peut leur per­me­t­tre d’orienter leur par­cours pro­fes­sion­nel, et de se diriger vers une car­rière de chercheurs ou d’ingénieurs quan­tiques. Et pour les plus impa­tients, nous pou­vons quand même rap­pel­er qu’il existe déjà des ordi­na­teurs quan­tique IBM acces­si­bles sur le cloud. Même si leurs per­for­mances restent assez lim­itées, ils per­me­t­tent aux étu­di­ants de se famil­iaris­er avec l’informatique quan­tique, et de réalis­er leurs pre­miers travaux !

Propos recueillis par James Bowers

Auteurs

Landry Bretheau

Landry Bretheau

professeur en physique quantique à l'École polytechnique au sein du Laboratoire de Physique de la Matière Condensée (PMC*)

Landry Bretheau est diplômé de l’X (X2005) et a effectué son doctorat au CEA Saclay. Il a ensuite effectué deux post-docs successifs à l'ENS (France) et au MIT (USA). Depuis 2017, il construit un nouveau laboratoire – le QCMX Lab – avec son collègue Jean-Damien Pillet, qui explore la physique des circuits quantiques hybrides. Pour développer cette nouvelle activité, Landry Bretheau a reçu une bourse de jeune équipe de l’X, une bourse de jeune chercheur de l'Agence nationale française de la recherche (ANR JCJC) et une ERC** Starting Grant du Conseil scientifique européen. Ses travaux ont conduit à des contributions majeures dans les domaines de la supraconductivité mésoscopique et des circuits quantiques, et ont été récompensés par l'obtention du prix de thèse de l’X et du prix scientifique Nicholas Kurti 2020.*PMC : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris. **Under the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme (grant agreement No. 947707).

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